Tribunal de Pontoise : « J’ai neuf balles pour toi ! »

Publié le 25/08/2022

Le 12 juillet, le tribunal correctionnel de Pontoise a jugé Larbi, 38 ans, pour des violences sur son ex-compagne, Djamila. Après l’avoir brutalisée, il a posé les balles de son pistolet sur la table en lui expliquant qu’elles étaient pour elle.

Tribunal de Pontoise : « J’ai neuf balles pour toi ! »
Tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

 

Larbi et Djamila se connaissaient « de vue » depuis un certain temps, et puis en novembre 2021 ils ont débuté une liaison. Un mois après, Djamila tombe enceinte. Elle est ravie et se rêve déjà mariée avec Larbi.

Mais Larbi ne veut ni mariage, ni enfant. Cet entrepreneur de 38 ans a déjà un garçon de 10 ans et n’envisage pas d’en élever un autre. Quand Djamila lui envoie une photo de son test de grossesse positif le 6 janvier 2022, il la bloque sur WhatsApp. Et lorsqu’ils se revoient, Larbi lui demande d’avorter. D’abord récalcitrante, elle finit par s’y résoudre. Le 12 janvier, il l’accompagne chez le médecin, le 14, Djamila subit une interruption volontaire de grossesse.

Les deux restent malgré tout en contact. D’après Larbi, Djamila insiste pour le voir, celle-ci ne dément pas. Le 2 février, elle se rend chez lui. Ils parlent beaucoup, s’engueulent et se font aussi des câlins. Arrivée à 21 h 52, Djamila rentre chez elle à 1 h 14 du matin.

La soirée s’est mal passée, elle raconte à une amie qu’elle a subi des violences et des menaces. Sur son conseil, Djamila finit par se rendre à la gendarmerie. Elle raconte que Larbi l’a humiliée en exigeant qu’elle lui lave les pieds. Plus tard dans la soirée, il lui a mis quatre gifles, l’a poussée ; elle est tombée, il a alors posé son pied sur sa poitrine et a appuyé. Puis, il a ôté les balles d’un pistolet semi-automatique et les a déposées sur la table en lui disant calmement :  « J’ai neuf balles pour toi ».

Sachant le suspect armé, les policiers de la brigade de Domont envoient les grands moyens. Le 11 février, une colonne d’assaut du PSIG (Peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie) interpelle Larbi à son domicile. L’inconscient a l’idée saugrenue d’accueillir les militaires une arme à la main et ne doit qu’à leur sang-froid de ne pas avoir été abattu sur-le-champ. Il est désarmé, mis à terre et placé en garde à vue.

« Ça ne va pas de brandir une arme quand la police vient vous chercher ? »

Cinq mois plus tard, le président des comparutions immédiates de Pontoise avise ce solide gaillard dans sa chemise à pois blancs : « ça ne va pas de brandir une arme quand la police vient vous chercher ? » Larbi secoue la tête, conscient d’avoir frôlé la mort.

Les enquêteurs ont trouvé chez lui l’arme de catégorie B ainsi qu’une faible quantité de cocaïne, ce sont deux infractions, mais s’il comparait devant le tribunal c’est pour les violences et menaces commises à l’encontre de Djamila. Bien qu’elle se refuse à porter plainte, sans doute pour ne pas enfoncer son amant, la jeune femme s’est présentée au tribunal.

Elle raconte de nouveau les faits, mais sa version dans le prétoire est radicalement différente de celle livrée aux gendarmes. « Il m’a demandé de lui laver les pieds, pour moi c’était normal car j’étais amoureuse » minimise la jeune femme. Les violences ? « Je l’ai provoqué en utilisant un terme arabe insultant », l’excuse-t-elle, sans parvenir à se souvenir du mot qu’elle a utilisé. Il l’a certes poussée, mais si elle est tombée c’est parce qu’elle a été surprise. Quant aux balles, elle affirme désormais ne pas les avoir vues. Aux gendarmes elle avait dit : « Il a retiré les balles d’un chargeur et les a déposées sur la table devant moi. » Devant les juges, elle explique : « Je ne savais pas quoi dire aux gendarmes. » Le pied sur la poitrine ? « Je me suis mal exprimée. » Le président l’interrompt : « Non, soit vous avez inventé complètement, soit vous êtes dépassée par la proportion de cette affaire et vous ne voulez pas qu’il soit condamné, donc vous minimisez. Soit vous avez très peur des représailles, soit vous l’aimez toujours. Il y a des détails que vous donnez aux gendarmes qui sont difficiles à inventer. » Le président montre des photos aux assesseurs : prises par les gendarmes, elles révèlent les traces de coups sur le corps de Djamila. On y voit un bleu sur la poitrine, mais aussi une trace de strangulation – car Djamila avait également rapporté que Larbi lui avait serré le cou.

« Djamila, elle marque beaucoup »

C’est au tour du prévenu de raconter sa version de l’histoire. « Elle est devenue hystérique, elle voulait absolument garder l’enfant. Je lui ai dit que je ne voulais de toute façon pas le reconnaître. Mais je ne l’ai pas menacée pour l’avortement, ce n’est pas dans mes pratiques » assure-t-il. Quant à la fameuse soirée :  « Il y a eu une longue discussion, avec des hauts et des bas ». Les gifles ? « Vous avez vu mon gabarit ? Si je l’avais tapée … » Le président se tourne vers l’avocat de la défense, qui arbore un sourire crispé : « Maître, il faudrait dire à vos clients d’arrêter avec ce genre d’arguments. » Larbi n’insiste pas. En garde à vue, il avait déjà avancé pour sa défense cette autre formule aussi usée que discutable : « Djamila, elle marque beaucoup. »

« Ce n’est pas parce que des victimes connues se sentent incapables de déposer plainte que la police ne doit pas intervenir pour faire cesser les violences. Dans ce dossier, il y a des photos qui corroborent les déclarations de la victime », souligne la procureure. Elle requiert 12 mois de prison avec sursis probatoire, une interdiction de contact et une obligation de soins, ainsi qu’un stage de sensibilisation aux violences conjugales.

L’avocat de Larbi est survolté : « Ils ont deux rapports sexuels en tout et pour tout ! Madame est une femme de 36 ans qui pensait être stérile, lorsqu’elle tombe enceinte ça arrive comme une providence ! Mais on ne sait pas s’il est le père. Est-ce que deux relations sexuelles suffisent pour tomber enceinte ? » Il raconte que Djamila a une attitude de quasi harceleuse : elle s’installe à côté de chez lui, lui écrit tout le temps. Lorsqu’elle tombe enceinte, elle propose elle-même d’avorter, menace de boire du poison, puis elle le « harcèle » pour qu’il reconnaisse l’enfant, avant d’accepter l’IVG. Sur les faits, il déclare : « Quel aurait été son intérêt de commettre ces violences ? » Il sous-entend que les accusations de Djamila participent de cette même stratégie de harcèlement. « Je suis déçu du parquet, que je trouve peu courageux. Il fonde ses réquisitions sur un dossier vide. On ne peut pas accorder du crédit à une jeune femme qui revient sur ses déclarations. »

Larbi attend la décision, pas Djamila. Il est déclaré coupable et condamné à 6 mois de prison avec sursis probatoire, ainsi qu’aux obligations demandées par le parquet. Il demande s’il peut récupérer son téléphone, c’est non : « Votre avocat n’a pas demandé sa restitution, il fallait y penser avant ! » cingle le magistrat.

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