Tribunal de Pontoise : « je crains la justice, je ne vous mens pas, j’ai peur d’aller en prison »

Publié le 02/06/2023

Le 11 avril, Yamina a comparu pour avoir commis des violences et formulé des outrages contre des policiers, Le 7 avril à Bezons, en bas de son domicile où ils étaient venus l’interpeller.

Tribunal de Pontoise : « je crains la justice, je ne vous mens pas, j’ai peur d’aller en prison »
Tribunal judiciaire de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Une jeune femme aux joues rondes, Yamina, s’approche de la vitre du box des comparutions immédiates. Elle comparaît pour avoir outragé quatre policiers et commis des violences sur une policière, en récidive. « Parfois c’est des ‘sa mère la pute’, parfois c’est des crachats, parfois c’est des pressages de testicules, parfois c’est des tirages de cheveux », résume la présidente en montant dans les tours. Ses joues qui rosissent traduisent son agacement. Elle reprend : « C’est votre père qui a appelé la police parce que votre comportement était violent, inquiétant, comment vous l’expliquez ?

— J’avais bu pendant deux jours non-stop et j’avais pas dormi, pas mangé non plus…

— …et ça a dégénéré quand vous avez compris que vous alliez être emmenée au commissariat.

— C’est la policière qui a commencé. On aurait dit qu’elle était venue exprès pour ça. Elle me tape quand je suis menottée, ensuite ils m’ont jetée comme un sac de patate dans la voiture, et le monsieur qui fait au moins 1 m 94 est resté tout le trajet avec ses genoux sur moi.

— Et les deux autres, pourquoi vous les insultez ?

— Parce qu’ils m’insultaient. Et lui, il n’a pas voulu me donner d’eau.

— Et l’infirmière ?

— Pareil, elle n’a pas voulu me donner un verre d’eau.

— Avez-vous déjà envisagé de revoir votre attitude envers les autres ?

— Oui, mais pas ceux-là. Eux, ils insultent, ils frappent. Vous ne vous en rendez pas compte. Vous ne savez pas tout cela. »

« Même à froid vous conservez cette hargne »

La prévenue de 29 ans refuse d’endosser l’entière responsabilité des violences. D’abord ulcérées, les juges comprennent qu’elles ont face à elles une jeune femme déboussolée, à fleur de peau. Une assesseure relance : « Est-ce que vous avez l’impression de vous présenter sous votre meilleur jour ?

— Non, mais je dis ce que je pense.

— C’est justement ce que l’on vous reproche, de ne pas mettre de filtre. En vous observant, on voit très bien comment vous pouvez monter en énervement. On a l’impression que même à froid vous conservez cette hargne.

— Excusez-moi, c’est l’adrénaline, je suis stressée.

— On comprend, mais il faut travailler sur le mécanisme de contrôle de soi.

— Désolée, soyez indulgents, ça ne se produira plus jamais, je vais faire un énorme travail sur moi, quitte à partir au pays prendre l’air. »

La présidente reprend la main. « Vous avez déjà eu des convocations devant la justice, pourquoi vous n’êtes jamais venue ?

— Parce que j’avais peur. »

« On est dans un pays libre, non ?»

Le procureur se lève. « Ce qui est surprenant, c’est que vous avez été interpellée à trois reprises, avez été placée en garde à vue et convoquée. Ce rapport à la police et à la justice, vous l’avez déjà.

— Moi je crains la justice, je ne vous mens pas. J’ai peur d’aller en prison.

— Trois jugements ont été rendus contre vous, et à chaque fois vous étiez absente.

— Oui, je suis désolée.

— Six mois de prison avec sursis, puis 3 mois… , le procureur interrompt la lecture de sa liste, pourquoi ? interroge-t-il.

— Je suis une enfant maltraitée, je ne supporte pas qu’on me touche.

— Et pourquoi l’ivresse ?

— Je sais pas, on est dans un pays libre, non ?

— Et votre relation à vos parents ?

— Il faut que ça change. Je vais prendre mon envol. » Elle marque une pause. « C’est toujours avec les policiers, on dirait que c’est une malédiction.

— C’est à cause de vous, Madame, c’est parce que vous êtes en état d’ivresse manifeste, c’est pour vous protéger car vous êtes une personne vulnérable. Comment vous envisagez la suite ?

— Il faut que ça cesse, moi je ne veux plus de cette vie. C’est ma faute, je reconnais. Il me faut du soutien. Je n’ai pas d’ami. »

La présidente reprend la parole : « Vous êtes arrivée en France en 2005, n’avez jamais travaillée. Pourquoi ?

— Je ne sais pas, c’est un choix de vie.

— A 29 ans ? De ne rien faire et de toucher le RSA ?

— Je me sens seule au monde, je ne sais pas comment vous expliquer. »

L’assesseure, à son tour : « Vous avez déjà été vue par un psychologue ? Non ? Vous y avez déjà pensé ?

— On me l’a dit plusieurs fois.

— A votre avis, pourquoi on vous l’a dit ?

— Je ne sais pas, peut-être que je donne l’impression de ne pas être normale. » Yamina dit qu’elle serait disposée à être suivie par un psychologue.

« Peut-être qu’un jour je serai comme vous »

Après la discussion, les réquisitions. Le procureur prévient : « S’il n’y a pas de remise en cause, ce sera la prison ferme. C’est un mélange d’impulsivité, de mal-être et de dépendance à l’alcool. » Il requiert huit mois, avec une obligation de soins, de travail et d’indemnisation des victimes.

L’avocat en défense prévient : « Il faut toujours prendre les outrages à personnes dépositaires de l’autorité publique avec des pincettes. On ne peut jamais vraiment savoir qui est à l’origine des embrouilles. » Il note que sa cliente a une situation sociable stable.

Avant d’être condamnée à hauteur des réquisitions, Yamina a eu un dernier mot : « J’espère arrêter tout ça et, peut-être qu’un jour je serai comme vous », puis elle est partie dans un rire joyeux.

Plan
X