Tribunal de Pontoise : « Je l’ai pas tapée cette fois-là ! »

Publié le 28/09/2023 à 12h56

Abdallah, condamné par défaut le 21 octobre 2020, a fait opposition au jugement. Il comparait, ce 6 septembre,  devant le tribunal correctionnel de Pontoise, qui le juge pour des faits de violences sur sa compagne, d’outrages et de rébellion à l’encontre des gendarmes qui sont intervenus.

Tribunal de Pontoise : « Je l’ai pas tapée cette fois-là ! »
Tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

D’un gabarit impressionnant, Abdallah remplit quasiment le minuscule prétoire de la salle n°4 du tribunal de Pontoise. La stature des trois gendarmes partie civile, assis au premier rang, témoigne d’une pratique assidue de la salle de sport. Un écusson PSIG (Peloton de Sécurité et d’Intervention de la Gendarmerie) orne leur épaule.

La compagne d’Abdallah est également présente, dans les rangs du public. « On est toujours ensemble, elle m’a jamais fait la tête », indique Abdallah à la juge. Sauf, apparemment, le 31 août 2019 aux alentours de la gare de Persan. Les gendarmes en patrouille aperçoivent un homme violenter une femme dans la rue. « Ils vous ont vu en train de serrer ses bras et de bousculer Madame, elle semblait apeurée. Vous lui auriez mis un coup, main ouverte, en haut de la poitrine. Un enfant en bas âge est assis dans une poussette à côté », résume la magistrate qui siège à juge unique. La femme explique aux militaires qu’ils sont séparés, qu’il la violentait et que ce n’était pas la première fois. Abdallah est embarqué. Dans la voiture, ils les traite de tous les noms et tente de les frapper. Ils le maîtrisent par la force.

Abdallah fait non de sa grosse tête sans cou, et veut à tout prix intervenir. « Alors, qu’est-ce que vous nous dites aujourd’hui ? » Le prévenu libère un flot de paroles.

« Ils sortent comme des cow-boys et me frappent devant mon fils »

« — Moi et ma femme on était à côté de la gare, elle pleurait parce qu’on parlait de notre situation difficile, on était en galère, et les gendarmes passent à ce moment-là et voient ma femme pleurer. Ils sortent de leur voiture comme des cow-boys et me frappent devant mon fils.

— Si c’est une simple dispute, comment expliquer que les quatre gendarmes se sentent obliger de sortir ?

— Les gendarmes sont venus parler à ma femme et ils ont dit qu’ils me mettraient en prison. »

Abdallah s’agite de plus en plus.

« —Montrez la vidéosurveillance, il y a des caméras là-bas, vous verrez, vous verrez !

— Monsieur, les faits datent de 2019 »

La juge cite son audition : « Vous avez signé le procès-verbal dans lequel vous admettiez lui avoir mis une pichenette dans la bouche après qu’elle vous a agressé. Monsieur, je vous le redemande : Avez-vous frappé votre femme ?

— Non c’est pas vrai.

— Elle l’a dit en audition ; c’est quoi son intérêt de mentir vu que vous êtes toujours en couple ?

— Je l’ai pas tapée cette fois-là !

— Donc vous l’avez déjà frappée ?

— Non, enfin oui parfois on se dispute, on se bat, je lui en mets une, normal.

— Non monsieur, ce n’est pas normal ! » Abdallah continue de parler, s’emporte, la procureure se lève et lui demande de se calmer, le prévenu n’écoute pas et parle de plus en plus vite en levant sa paluche qui décrit des petits cercles dans l’air saturé de CO2 de la salle bondée.

« On va arrêter là ! » lance la juge, ce qui met fin au brouhaha.

« Je n’ai pas la même vision du dossier »

La présidente demande aux gendarmes ce qu’ils en pensent : « La même chose que ce qu’on a dit en audition. On va demander 1 000 euros. » Ils se rassoient en faisant saillir leurs triceps.

Le temps du réquisitoire est venu. « Je le dis d’emblée, je n’ai pas la même vision du dossier que lui, et j’espère qu’il va être capable de l’entendre sans m’interrompre », lance la procureure. Elle demande la condamnation pour l’ensemble, sur la foi des témoignages de la femme d’Abdallah, et des gendarmes. Comme les faits sont anciens, qu’ils sont toujours en couple et qu’il est inséré, elle requiert huit mois avec sursis.

« Il est heureux de voir que quand quelqu’un fait la démarche de venir devant le tribunal, madame le procureur requiert une peine plus sévère » que celle qui a été prononcée, ironise l’avocat de la défense. Il souligne : « quatre ans après les faits, le temps a passé et il n’a pas commis de nouveaux faits, on peut le mettre au crédit du prévenu. »

« S’il avait mis un coup de poing à madame, il y aurait eu un certain nombre de traces »

Puis, plus du tout ironique (hélas), l’avocat poursuit : « Il est costaud, s’il avait mis un coup de poing à madame, je pense qu’il y aurait eu un certain nombre de traces. » Il parachève : « Est-ce que c’est si compliqué à imaginer un couple qui se chamaille, elle qui le dispute et lui qui la repousse ? »

Sur le siège* et en moins de vingt secondes, la juge a décidé : coupable. Le prévenu est condamné à cinq mois avec sursis ; les gendarmes obtiennent 400 euros chacun. Abdallah repart en rouspétant avec sa femme.

 

* En principe, le tribunal se retire pour délibérer puis revient dans la salle lire ses jugements aux intéressés. Mais il arrive que la décision soit prononcée immédiatement. On dit alors qu’elle est rendue « sur le siège ».

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