Tribunal de Pontoise : « je me souviens très bien lui avoir dit « je vais t’éclater ta gueule » »

Publié le 12/10/2022

Vendredi 7 octobre, Aimen, 22 ans, est jugé en comparution immédiate pour deux séries de faits sans liens entre eux, commis à près d’un an d’intervalle. Dans les deux cas, des policiers ont porté plainte. Le prévenu conteste une partie des accusations.

Tribunal de Pontoise : "je me souviens très bien lui avoir dit « je vais t’éclater ta gueule »"
Palais de justice de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Les policiers d’Argenteuil sont presque arrivés à destination, un immeuble de Bezons, quand sous leurs yeux ébahis deux bras propulsent par une fenêtre divers objets, dont un sac de sport et un tableau de type Velleda. Ces objets atterrissent sur le toit d’une chaufferie. Tandis que des policiers rejoignent le lieu où leur renfort est requis, d’autres ramassent les objets jetés. Dans le sac : 210 sachets d’herbe (1782 grammes au total), 15 boites contenant de gros morceaux de résine de cannabis. Sur le tableau : des comptes, des tarifs reliés à des produits.

Arrivés à l’étage indiqué, les policiers trouvent un serrurier affairé sur la porte qu’il doit ouvrir pour qu’un huissier de justice, légèrement en retrait, procède à une expulsion locative. A l’intérieur du logement, un homme bloque leur entrée ; c’est lui qui a jeté le sac et le tableau par la fenêtre. Il pousse comme un fou pour retarder l’inéluctable. Quand les policiers parviennent enfin à ouvrir la porte, l’un d’eux glisse sa jambe dans l’espace pour ouvrir le passage, mais l’homme dans un ultime sursaut de force parvient à lui claquer l’huis sur le genou. Le policier « pousse un hurlement de douleur », constate l’huissier. L’assaut finit par avoir raison de la résistance vaine de l’homme, qui est immédiatement appréhendé par les policiers. La perquisition permet de retrouver tout l’attirail du trafiquant (balances, sachets de conditionnement, produits).

« Je sais pas, j’ai été bête »

C’était le 8 octobre 2021. Un an plus tard, Aimen, 22 ans aujourd’hui, s’explique devant le tribunal correctionnel de Pontoise (détention de produits stupéfiant, violences sur policier). La présidente l’interroge. « Qu’est-ce que vous faisiez ?

– J’étais en train de dormir.

– C’était chez vous ?

– Non, c’est chez quelqu’un qui habite là-bas.

– Qui ?

– On l’appelle Tounsi, car c’est un Tunisien.

– Et ce que vous jetez, c’est à vous ?

– Non.

– Vous saviez que c’était du cannabis ?

– Oui, j’ai vu les comptes sur le tableau et les sacs, pas besoin d’être intelligent pour deviner. Ça, je l’assume. J’ai entendu des voix et j’ai bloqué la porte, je me doutais que c’était la police, je vais pas vous mentir.

– Et la jambe du policier que vous avez coincée ?

– Si je l’avais vu, j’aurais pas poussé la porte.

– Vous avez entendu un cri de douleur ? interroge un assesseur.

– Sans mentir, j’ai entendu un cri, genre « nique ta mère je vais te niquer », ça ressemblait à un cri de douleur oui. Mais de toute façon je savais pertinemment que j’allais partir en garde à vue.

– Pourquoi résister alors ?

– Je sais pas, j’ai été bête. »

Après la garde à vue, Aimen est laissé libre et sera convoqué plus tard. Mais une deuxième série de faits va accélérer le processus judiciaire.

Le 5 septembre 2022, Aimen circule à vélo au Val d’Argenteuil. Des policiers l’aperçoivent ; certains le connaissent bien, et savent qu’un contrôle judiciaire lui interdit de se rendre dans le Val d’Oise. Lorsque Aimen les aperçoit à son tour, il les couvre d’insulte, disent les policiers. Ces derniers poursuivent leur mission et reviennent quelques minutes plus tard pour s’occuper de lui.

Ils procèdent à un contrôle, Aimen s’énerve, insulte et enlève ses vêtements comme pour en découdre, si bien que d’autres jeunes s’attroupent autour de l’embrouille naissante. Les policiers conduisent Aimen dans une ruelle plus calme, où il devient agressif, les menace, résiste à son interpellation.

« T’as insulté mon collègue là ? »

C’est ainsi que la présidente résume cette deuxième affaire, sur la foi des déclarations des fonctionnaires. « Les quatre policiers déposent plainte dans des termes très similaires, pour ne pas dire qu’ils ont fait des copier-coller, ce qui est plutôt désagréable », souligne-t-elle.

Ces déclarations sont partiellement corroborées par les caméras piétons que deux policiers ont activé en cour d’interpellation. Aimen est déjà énervé : on l’entend dire « nique ta mère », on le voit retirer sa veste. Quand un policier s’approche, il a un mouvement de recul et lui lance : « je vais t’éclater ta mère ! »

Aimen n’est pas du tout d’accord avec la version policière. Il prend le tribunal à témoin : « Déjà, c’est impossible que je leur ai insulté sa mère quand ils passent dans la rue, vous voyez ce que je veux dire. » Incongru en effet le fait qu’un homme en violation de son contrôle judiciaire attire la police en insultant gratuitement une patrouille dans la rue.

Il raconte qu’il était à vélo, s’est arrêté pour discuter 5 minutes avec « des petits du Val d’Argenteuil », quand le contrôle de police lui tombe sur la tête. L’un des policiers, Vincent V., le connait bien ; il l’emmène à part et lui dit « t’as insulté mon collègue là ? ». « Alors je lui réponds ‘Non, est-ce que j’ai déjà insulté ta mère ?’

– Mais vous étiez énervé, là ? » demande la présidente.

– Non, j’étais très calme.

– Pourquoi vous enlevez votre montre alors ?

– J’étais un peu sur les nerfs.

– Est-ce que vous reconnaissez avoir menacé de mort Monsieur V. ?

– Non, mais je me souviens très bien lui avoir dit « je vais t’éclater ta gueule ».

Aimen parvient à échapper aux policiers, mais il ne court pas longtemps. Un autre équipage l’intercepte, et deux coups de Taser stoppent sa course.

Le prévenu devait être jugé le 7 septembre, mais son affaire avait été renvoyée. Aujourd’hui, il est en détention provisoire dans le cadre d’une instruction ouverte contre lui, ce qui explique le contrôle judiciaire et cette interdiction de paraître dans le 95.

La procureure requiert 10 mois de prison pour l’ensemble de ces infractions, car « clairement, Monsieur a un problème avec l’autorité ». Son avocat s’émeut des de l’utilisation du copier-coller dans les PV : « on est à la limite du faux ! ». Il plaide que le fait de jeter un sac par la fenêtre ne fait pas de son client le détenteur du cannabis qu’il renfermait. Pour le reste, il admet. Il demande simplement que la peine soit inférieure aux réquisitions.

Accordé : Aimen est condamné à 9 mois de prison avec mandat de dépôt, et les policiers, reconnus victimes, percevront entre 150 et 250 euros chacun, selon le préjudice.