Tribunal de Pontoise : « Je suis choqué, ils m’ont lynché »

Publié le 13/12/2023

Les policiers interpellent un jeune sur un point de deal, dans une cité du Val d’Oise. Devant le tribunal de Pontoise, le prévenu nie farouchement, et dénonce la violence des policiers de la BAC.

Tribunal de Pontoise : « Je suis choqué, ils m’ont lynché »
Tribunal judiciaire de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Polaire rouge brique sur le dos, compresse sur l’arcade sourcilière gauche, Kilian est prêt à s’expliquer, mais d’abord, il écoute la présidente des comparutions immédiates de Pontoise raconter, ce 14 novembre, l’action qui a mené à son interpellation.

C’est une opération de la BAC au sein d’une cité de Saint-Ouen-l’Aumône où le trafic de stupéfiants est intense. Top départ, deux policiers se ruent vers l’entrée, le guetteur, posé sur une chaise de camping, tente de les arrêter. L’un des deux policiers parvient à entrer dans l’immeuble et monte les étages en courant. Rejoint par son collègue entre le 5e et 6e étage, « nous tombons nez à nez avec un individu très défavorablement connu, responsable du point de deal sur lequel il travaille quotidiennement », écrit-il. C’est Kilian, qui se met à crier « Artena ! », pour sonner l’alerte. Il leur met des coups de pied pour les faire descendre, tente de leur mettre des coups de poing. Ils décrivent un homme déchaîné, qu’ils finissent par maîtriser en lui claquant la tête contre le mur.

Kilian n’a rien sur lui, mais à l’étage au-dessus, les policiers découvrent 335 grammes de cannabis en barrettes, et 130 euros dissimulés dans un sac en plastique noir. Kilian leur dit : « Je vends pas, je fais le chouf (guetteur) ». Il est placé en garde à vue et déféré pour complicité d’offre ou de cession de produits stupéfiants. Le voilà dans le box, prêt à tout donner pour sa défense.

« J’ai juste crié de douleur »

La présidente : « Est-ce que vous reconnaissez les faits ?

— Je venais acheter un bout de 10 euros et passer la soirée avec ma copine. Je montais les marches. Le policier est tombé sur moi et il m’a roué de coups. Ce sont deux personnes qui ont l’âge de mon père ! Je suis choqué, ils m’ont lynché, rien que de vous parler j’ai mal à la mâchoire.

— Est-ce que vous les avez bloqués ?

— Je n’ai rien fait. Il m’a pris en traître.

— Est-ce que vous avez crié Artena ?

— Je n’ai jamais crié de ma vie. J’ai juste crié de douleur.

— Les policiers mentent ?

— Oui.

— Pourquoi mentent-ils ?

— Parce qu’ils pensaient que j’étais le vendeur. Ils m’ont frappé et n’ont rien trouvé, du coup ils ont trouvé un truc plus haut.

— Vous avez dit ‘j’suis pas vendeur j’suis chouf’.

— Je n’ai jamais dit ça. À aucun moment de ma vie je n’étais chouf, je suis préparateur de commande. Je suis quelqu’un qui essaie de m’insérer, ma famille je leur donne de l’argent tous les mois, de l’argent propre, qui sent la sueur. Les policiers ont pris ma tête et ils l’ont mis contre le mur, avec leurs chaussures, ils m’ont écrasé ! je pourrais être leur fils. Je suis choqué madame !

— Vous n’avez pas porté plainte ?

— Non.

— Vous avez dit ‘s’ils portent plainte, je porte plainte’.

— Je veux pas porter plainte parce que c’est des gens que je vois régulièrement, je veux pas avoir de problème. »

« Ça m’arrange pas du tout »

Kilian se défend avec une vivacité et une certaine éloquence qui tranche avec l’apathie ou le mutisme d’autres jeunes hommes prévenus de faits similaires. À 20 ans, il n’a vraiment pas envie de retourner en prison, d’où il est sorti en février 2023. Il informe le tribunal : « Moi je suis là, mais ça m’arrange pas du tout.

— Je vous arrête, je crois que ça n’arrange personne.

— Si je me retrouve dans une maison d’arrêt, je vous respecte tous un par un, mais je verrai ça comme une injustice ».

Le procureur rebondit, et lance d’une voix sonore stentor : « Je ne vois pas en quoi est l’injustice dans ce dossier » Puis il fait un laïus sur « les nuisances générées par ce trafic de stupéfiant », cet « espace public confisqué aux occupants d’un immeuble », « avec des locataires et propriétaires fouillés par les trafiquants ».

« Faut arrêter les mensonges ! »

« Quand il vient dire qu’on l’a lynché, qu’on lui a écrasé la tête avec des rangers, faut arrêter les mensonges, ils n’ont aucun intérêt ! » Contre Kilian le gérant du point de deal (« trop malin pour vendre »), il demande 8 mois de prison avec mandat de dépôt.

L’avocat n’a pas le même point de vue. Il note l’absence de « témoin objectif », et remarque que « seul le policier, qui n’est pas présent à cette audience », témoigne. « La version de mon client n’est pas aberrante, ni infondée ni incompréhensible », mais elle ne sera pas retenue par le tribunal, qui condamne Kilian aux réquisitions.

 

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