Tribunal de Pontoise : « Je suis désolé pour ma mère et mon petit frère »

Publié le 30/07/2024

Vendredi 5 juillet, les comparutions immédiates de Pontoise ont dû renvoyer un gros dossier que la présidente n’avait pas eu le temps d’étudier. L’audience a donc porté sur les mesures de sûreté qui seraient prises en attendant le procès au fond, renvoyé au 30 juillet.

Tribunal de Pontoise : « Je suis désolé pour ma mère et mon petit frère »
Tribunal judiciaire de Pontoise, salle des comparutions immédiates (Photo : ©J. Mucchielli)

Si ce dossier de « proxénétisme aggravé » a été orienté en comparution immédiate, c’est parce que le parquet jugeait qu’il était suffisamment simple pour être absorbé dans le flux d’affaires correctionnelles du jour. Mais après avoir tâté l’épais dossier et l’avoir indiqué à ses collègues, la présidente a affirmé sans hésiter, en s’adressant aux prévenus, que « le tribunal n’est pas en mesure de vous juger, où s’il vous jugeait aujourd’hui il vous jugerait mal, car je n’ai pas eu le temps de lire le dossier en intégralité. » C’est donc un renvoi d’office devant lequel le parquet s’incline.

Cinq prostituées

Les quatre prévenus qui avaient accepté d’être jugé immédiatement ont hoché la tête quand le « magistrat en formation », initialement chargé de rapporter le dossier, leur a indiqué qu’il allait donc être décidé, dans l’attente de leur comparution, du sort qui leur serait fait : liberté, contrôle judiciaire ou détention provisoire. Une décision qui repose sur des critères listés à l’article 144 du code de procédure pénale, comprenant notamment : le renouvellement des faits, un risque de concertation et les garanties de représentation.

Les faits se sont déroulés dans le Val-d’Oise, à des périodes de prévention variables selon les prévenus, de décembre 2023 à juillet 2024. Il y a cinq victimes, cinq jeunes femmes qui sont des connaissances voire des relations de prévenus, qui se sont prostituées dans des appartements et des hôtels sous la houlette de ces quatre-là, nés entre 2001 et 2005. C’est tout ce qu’on apprendra des faits.

Le tribunal aborde pour débuter le cas du plus jeune. Élias a 18 ans, une mention au casier (tribunal pour enfant, vol aggravé, 12 juillet 2022), mais suit une scolarité studieuse en BTS en alternance. Il a arrêté sa consommation de cannabis « il y a quelques mois » et cherche une nouvelle alternance après avoir démissionné de son entreprise, située trop loin de son domicile. Contre lui, la procureure demande un contrôle judiciaire, et l’avocat ne se fait pas prier pour exprimer son accord avec cette mesure de sûreté.

« Il a fait le chauffeur pour 20 euros »

Ahmed est le plus âgé du groupe : 23 ans. Il affiche trois condamnations à son casier, toutes pour des infractions liées à la législation sur les stupéfiants. Il était sous sursis probatoire au moment de la période de prévention, et il est de toute façon actuellement détenu pour une condamnation à 6 mois tombée le 30 mai – à laquelle se sont ajoutés deux mois d’une révocation partielle de sursis. Libérable en février 2025, il attendra de toute façon son procès en prison.

La question est : sous quel régime ? Détention provisoire ou en exécution de peine (ce qui lui serait plus favorable) ? La procureure requiert la détention provisoire, l’avocat préfèrerais un contrôle judiciaire, qui lui permettrait de ne pas repousser sa date de sortie. Ahmed a quelque chose à ajouter : « Je suis désolé pour ma mère qui assiste à ça. »

Gami, 21 ans, n’a jamais été condamné. Sans formation, il a travaillé en intérim et depuis le mois de mai recherche un emploi. « Vous avez travaillé combien de temps ? – Une semaine – Et avant ça ? – Rien. » Gami souhaite se former pour devenir chauffeur de bus.

La procureure pense que son rôle dans les faits commande de le placer en détention, son avocate répond qu’il doit « y avoir erreur ». « Il a fait le chauffeur pour 20 euros, il n’y avait rien en perquisition. Monsieur G. il est pauvre, et en plus il a reconnu une grande partie des faits. »

« Je viens d’apprendre le décès de ma grand-mère »

Patou, 22 ans, regarde intensément sa mère et son petit frère qui s’agitent sur le banc pendant qu’on lui rappelle son unique condamnation : 6 mois de prison, placement sous surveillance électronique. Son conseiller d’insertion évoque un « jeune monsieur pas trop investi ». Il a arrêté un CAP plomberie et est employé depuis un mois, après avoir fait des missions diverses en intérim. Il finit par lever le doigt : « Je voudrais poser une question à ma mère.

— Ah, eh bien ce n’est pas possible Monsieur.

— Parce que je viens d’apprendre le décès de ma grand-mère.

— Quand ?

— Là, à l’instant.

— D’accord, vous voulez poser quoi comme question ?

— Elle est morte quand ?

— Madame ?

— (La mère de Patou) Aujourd’hui, à trois heures (elle répète deux fois d’une voix rauque et plaintive). »

Il est 16h43. Patou baisse la tête et sanglote tandis que la procureure requiert la détention provisoire contre lui, il continue à pleurer alors que son avocat plaide son placement sous contrôle judiciaire, et explique que c’est du proxénétisme de bas étage, tout en bas de l’échelle. « Ils font n’importe quoi et ils le font mal. » En fin de compte, Patou a le dernier mot : « Je suis désolé pour ma mère et mon petit frère. »

Après en avoir délibéré, le tribunal renvoi l’affaire au 30 juillet et place les quatre prévenus en détention provisoire.

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