Tribunal de Pontoise : « Je suis tétanisé par cette audience »

Publié le 12/03/2024

Un accrochage entre deux voitures, des coups de feu sur l’autoroute : le 24 février, les policiers ont cru à un règlement de compte. Ce n’était qu’un accrochage et, selon le prévenu jugé mardi 27 février, il n’y a même pas eu de coup de feu.

Tribunal de Pontoise : « Je suis tétanisé par cette audience »
Palais de justice de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Alors qu’il est en train de s’insérer sur l’A15 en direction de Paris, l’homme, ce 24 février, est pressé par une BMW nerveuse qui force le passage pour s’engager, tente de le doubler par la droite, et après que l’homme l’eut bloqué, fini par le dépasser par la gauche. L’homme voit la BMW se porter à sa hauteur ; le passager, qui le regarde, tend son bras qui tient une arme de poing. L’homme entend une « faible détonation », baisse la tête et se rabat sur la bande d’arrêt d’urgence. La berline allemande poursuit sa route, l’homme, sa femme et son fils, passagers, sont abasourdis.

Comme il a relevé la plaque d’immatriculation, les policiers n’ont aucun mal à cueillir Redouane, 27 ans, qui circule à bord du même véhicule lorsqu’ils l’interpellent. Redouane est tout aussi étonné. Il se souvient de la scène : le véhicule qui le précédait lui a fait une queue de poisson ; il a même heurté le coin avant droit de son véhicule, conduit par son épouse. « C’était une petite altercation », commente-t-il. Il ne comprend pas les accusations dont il fait l’objet : « Je suis quelqu’un de doux et d’attentionné, je suis incapable de tenir une arme, je ne suis pas comme ça. » Il est placé en garde à vue.

« Vous aviez dit que vous n’avez pas d’armes »

S’ensuit une perquisition à son domicile, dans lequel les policiers trouvent une mallette contenant la notice d’utilisation d’un Glock et des boîtes de cartouches, en plus d’un sac contenant une carabine à plomb avec viseur. « Alors que vous aviez dit que vous n’avez pas d’armes ?

—J’avais dit au policier que j’avais une carabine à plomb de fête Foraine, il a dit qu’il allait le rajouter dans le procès-verbal, mais il a oublié.

—Quelles explications donnez-vous ?

—On a déménagé récemment. J’ai pris cette mallette qui appartenait à mon grand frère depuis longtemps, je l’ai posée c’est resté sur le bureau. Si j’avais eu quelque chose à me reprocher, je n’aurais pas cassé moi-même la porte de mon domicile pour les policiers qui n’arrivaient pas à entrer chez moi.

—Ce n’est pas la question… vous dites que vous gardiez les munitions en souvenir… Il manque 10 cartouches !

—C’était des choses qui appartenaient à mon grand frère, je les ai prises et posées sur mon bureau, ça ne valait rien. Je serais en incapacité de faire du mal à qui que ce soit », lâche-t-il d’une voix étranglée ».

« C’est complètement fou »

L’opposition radicale des deux scénarios oblige le tribunal à trancher en faveur de l’un ou de l’autre. Nulle trace dans le discours du prévenu d’une reconnaissance in petto, entre les lignes, des faits, même en les minimisant. Ces violences avec arme qu’on lui reproche, pour lui, ont été purement et simplement inventées, et il ne sait pas pourquoi. Le président lui lit les témoignages des victimes (absentes, qui ne se sont pas constituées partie civile). « Qu’est-ce que vous pensez de tous ces éléments ?

—Je ne comprends pas pourquoi j’ai été accusé de ça, aujourd’hui je suis traumatisé car je me retrouve dans une position de coupable.

—Vous en pensez quoi ?

—C’est complètement fou.

—Pourquoi à votre avis ?

—Je ne sais pas, Madame.

—Mais comme par hasard on a ces témoignages et les policiers trouvent ça chez vous. Et pourquoi dire que vous n’avez pas d’arme chez vous ?

—J’ai dit que j’avais cette carabine à plomb avec laquelle je tire sur des canettes, dans le jardin.

—Et pourquoi votre compagne dit que vous n’avez pas d’arme ?

—Elle ne le savait pas que j’avais cette mallette, sinon elle aurait fait le ménage avant la perquisition. »

Il ajoute :

« — Je suis tétanisé par cette audience. Si vous regardez mon parcours… je ne suis pas comme ça.

—Effectivement votre parcours n’est pas un parcours de violence avec arme, mais de délinquant routier », cinq mentions au casier, tout de même ».

« C’est véritablement n’importe quoi comme explication »

Redouane est un entrepreneur passionné et reconnu dans son secteur, et il en est fier. Le procureur l’a remarqué. « Il se vend bien, se présente bien, le bon citoyen patron d’entreprise, un être paisible et calme qui ne saurait commettre de violence. Mais il est connu pour des faits de refus d’obtempérer ! » Première banderille. « Vous croyez sincèrement que les victimes vont inventer que le passager d’un véhicule leur a tiré dessus, si ça ne s’était pas passé ? » Implacable. « Ensuite on trouve cette mallette de Glock en perquisition », et autant dire que le procureur n’est pas convaincu. « C’est véritablement n’importe quoi comme explication, si vous gardez une arme vous ne gardez pas la mallette et les cartouches ! » L’évidence même. Il demande 8 mois de prison avec aménagement ab initio sous la forme d’une détention à domicile sous surveillance électronique.

L’avocate grimace. Malgré la virulence des réquisitions, « on aura un peu de mal à motiver une condamnation », considère-t-elle. « On amène au tribunal un dossier particulièrement vide. Pas d’exploitation des vidéos surveillance sur l’autoroute, alors qu’on les exploite pour à peu près toutes les infractions. » Elle rappelle que l’une des trois victimes (le fils) n’a vu qu’un bras et pas d’arme, qu’à un mètre de distance, cela semble impossible de louper une voiture (vierge d’impact de balle) alors que son client a l’habitude de shooter des canettes dans son jardin. Elle échafaude des hypothèses : est-ce un « mensonge éhonté » pour détourner l’attention de son propre comportement de chauffard ? N’était-ce pas un téléphone par exemple dans ses mains, et non une arme ? Vraiment, pense-t-elle, ce dossier ne tient pas.

Si, répond le tribunal après la suspension d’audience. La présidente explique qu’ils ont été convaincus qu’il avait bien tiré, sans s’expliquer plus avant. Redouane est condamné aux réquisitions.

 

 

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