Tribunal de Pontoise : « Je vais péter les jambes à ta maman, même si tu es là »

Publié le 12/12/2022

Un homme de 32 ans comparaît libre pour des violences commises contre son ex-compagne. À l’audience, l’interrogatoire de la présidente révèle le caractère inquiétant du prévenu autant que la détresse de la fille de la victime, âgée de treize ans.

Tribunal de Pontoise : « Je vais péter les jambes à ta maman, même si tu es là »
Palais de justice de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

 Un soir, Issa est venu toquer à la porte de Cindy, son ex-compagne. Il voulait récupérer des affaires qu’il avait laissées chez elle, après deux ans de relation, mais il n’y avait pas mis les formes, venant à l’improviste alors que leur relation était devenue tendue. Cindy s’est sentie dérangée par cet ex encombrant qui soudain réclamait de rentrer chez elle et sa fille de 13 ans. De quelles affaires parle-t-il ? Elle n’a pas le souvenir qu’il ait laissé grand-chose. Cela peut attendre. À travers la porte, elle a décidé de l’envoyer bouler. Échange d’insultes. Elle le menace d’appeler la police, il part en la menaçant de violences.

Le lendemain est le 1er août 2022. Cindy sort de chez elle en milieu de matinée, accompagnée de sa fille. Issa l’attendait à la sortie de sa résidence. Encore une fois, il lui demande de récupérer ses affaires. Elle lui répond qu’elle n’a pas le temps pour le moment, qu’ils peuvent s’organiser une autre fois. Issa retourne à sa voiture, sort un club de golf et revient vers Cindy, lui met une forte claque puis plusieurs coups de club dans les jambes, jusqu’à en briser le manche. Les deux voisins témoins de la scène sont terrifiés. « Il n’a rien dit, il était froid, silencieux, il a massacré la dame et il est parti », témoigne l’un d’eux. Il lui a d’abord jeté son café au visage, et aussi, selon la fille de Cindy, une canette pleine.

C’est l’adolescente de 13 ans qui appelle la police pour dire que sa mère vient d’être tabassée par son ex-compagnon. Une enquête est ouverte pour tentative de meurtre. La police vient et ne trouve pas Issa. Elle va mettre plusieurs mois à le localiser, car il est parti en vacances dans la région de Marseille, avant de revenir à Saint-Denis où il réside. C’est là qu’il sera interpellé au mois de novembre. Il reconnaît sur le principe avoir commis les faits mais en conteste le détail, et semble animé d’une certaine rancœur contre Cindy. Il est renvoyé en comparution immédiate pour des violences aggravées par trois circonstances : avec une arme, sur une ex-concubine, en la présence d’une mineure.

Cindy a eu la boîte crânienne déformée, porte toujours l’impact du fer du club sur la jambe, et si elle ne s’est vue attribuer que 7 jours d’ITT, c’est parce qu’elle n’a eu aucune fracture (et que l’attribution des ITT, « parfois c’est un peu la roulette russe », selon le procureur). La liste de ses blessures établie par l’unité médico-judiciaire s’étale sur une page. Le 12 novembre, l’audience est renvoyée, Issa est laissé libre sous contrôle judiciaire, jusqu’à l’audience du 25 novembre, où il déploie son mètre quatre-vingt-douze à la barre des comparutions immédiates de Pontoise. La présidente vient de résumer l’affaire. Elle prend la température : « Est-ce que ce que je viens de dire est vrai ?

— Pas tout, mais un quart. Non, je dirais la moitié. »

« Ce sont des violences, mais pas un excès de violence »

Issa est en confiance. « Il était 10 heures, je venais récupérer mes affaires. J’ai mal agi, je sais, mais cette fille je lui ai tout donné.

— Vous n’êtes pas jugé pour avoir aimé Madame D. », l’interrompt la présidente. « Est-ce qu’elle est au courant que vous allez venir ?

— Je lui demande mes affaires, elle ne veut pas, je me suis énervé et je l’ai attrapée par le bras, on s’est chamaillés. Là j’ai vu deux personnes, j’ai cru que y’avait son nouveau petit ami, alors je suis allé à la voiture prendre le club et je lui ai mis une baffe (à Cindy).

— Donc vous pensez que c’est son nouveau petit copain et c’est pour cela que vous frappez Madame D. Devant lui ?

— Je voulais frapper les gens (qui étaient à plusieurs mètres, NDLR), mais ça a touché Cindy. J’ai mis trois coups, dont un avec le club.

— Ça doit faire mal, vu votre gabarit. » Issa est en effet colossal. « Est-ce qu’elle est tombée au sol ? Oui ? Comment comptez-vous obtenir vos affaires en frappant une personne quand elle est à terre ?

— À la base, elle voulait pas.

— Vous pensiez que c’était la façon de les récupérer ?

— Non, pas du tout. Ce que j’ai fait est inadmissible.

— La veille, vous vous étiez montré menaçant ?

— Pas du tout. Mais au retour, je n’étais pas serein d’être reparti sans mes affaires.

— Donc vous êtes reparti fâché, et revenu fâché. Est-ce là une manière d’affirmer votre domination ?

— Non, pas du tout.

— Pourtant, ce n’est pas en la frappant au sol que vous allez récupérer vos affaires, sauf si c’est pour lui montrer de quoi vous êtes capable, pour lui faire peur. Quand vous êtes parti, elle était debout ? Oui ? Elle vous a dit ‘merci à la prochaine’ ?

— Non.

— Elle saignait ?

— Je n’ai pas fait attention.

— Vous lui avez jeté un café ?

— Oui ».

Issa semble s’agacer, il aimerait bien faire comprendre le sentiment qui l’animait à ce moment-là.

« — Je vais pas dire qu’elle a tout fait pour en arriver là, mais quand même », elle l’a bien cherché, ne finit pas Issa.

La présidente ne se démonte pas. Elle veut voir qui est Issa.

« — Mais vous vous êtes déjà défoulé. Pourquoi lui jeter un café ? C’est assez humiliant. Vous n’êtes pas calmé peut-être ?

— C’est ça.

— Moi, j’aimerais bien comprendre ce qui a pu motiver cet excès de violence ?

— Ce n’est pas vraiment un excès. Ce sont des violences, mais pas un excès de violence.

— Alors donnez-nous un exemple de violences excessives.

— Si elle avait terminé dans le plâtre, je sais pas.

— Donc vous dites que si vous aviez voulu, vous auriez pu lui casser des os ?

— Si j’avais mis toute ma force…

— Vous l’auriez tuée ?

— Non, quand même pas ! »

Deux jours après les faits, Issa a appelé Cindy pour s’excuser. Pas pour les violences commises contre elle, mais pour l’avoir fait devant sa fille. « Si t’étais un homme, a-t-il ajouté, je t’aurais envoyé une équipe et demandé de retirer ta plainte. »

« C’était très dur de voir ma maman frappée, je fais des cauchemars »

La présidente avise une personne dans la salle. « Mademoiselle ? Il semble que vous vouliez parler ? » Sa haute taille surprend, mais c’est bien l’adolescente de 13 ans qui a vu sa mère frappée au sol. Après lui avoir demandé ce qu’elle préférait, la présidente l’interroge d’un tutoiement bienveillant.

« — Tu as bien réagi. Pourquoi voulais-tu venir aujourd’hui ?

— Je souhaitais quand même en parler, parce que c’était très dur de voir ma maman frappée, je fais des cauchemars.

— Tu vois arriver Monsieur B., est-ce que tu as peur ?

— Il m’a dit ‘je vais péter les jambes à ta maman, même si tu es là’. Elle n’a pas pu appeler la police parce qu’il lui a arraché le téléphone des mains. »

La jeune fille se rassoit.

« — Allez Monsieur B., vous revenez. Qu’est-ce que vous en pensez ? À les entendre, c’est difficile pour elles, elles ont peur. Elles ont raison ?

— Pas du tout.

— Pourquoi ?

— Si on en est là aujourd’hui, c’est parce que je voulais récupérer mes affaires.

— Est-ce que vous pensez que c’est de sa faute ?

— Ça aurait pu se passer autrement.

— Est-ce que vous estimez que vous méritez d’aller en prison ?

— Quand on voit les choses comme ça, je dirais oui, mais j’ai mon point de vue.

— Récupérer vos affaires, est-ce que c’est une excuse à votre acte ? Est-ce que c’est une raison qui peut justifier qu’on frappe des gens ? Je vous rappelle votre droit au silence. »

Silence.

« Si tu parles mal comme ça, grosse merde, t’étonnes pas s’il te menace » (Policier)

Cindy a témoigné. Elle a informé le tribunal qu’elle avait déjà déposé des mains courantes pour des menaces écrites. Un soir pendant une violente dispute, elle compose le 17 : « Il est devant chez moi, il me dit qu’il va me tuer », dit-elle au policier. Puis, elle insulte Issa à travers la porte. Le policier réagit : « Si tu parles mal comme ça, grosse merde, t’étonnes pas s’il te menace. N’appelle plus. » Le tribunal est stupéfait, le procureur présente ses excuses et informe que des suites seront données (l’appel a été enregistré).

La présidente demande à Cindy : « Qu’attendez-vous de la justice ?

— Je ne comprends pas pourquoi il n’est pas incarcéré. J’ai peur qu’il vienne finir son travail. Ses affaires, c’est un prétexte. »

Son avocate constate que le prévenu opère une « inversion des responsabilités typique des violences conjugales », et insiste sur la peur qui désormais tenaille Cindy et sa fille. Le procureur pourtant bavard ne s’est pas longuement étendu. Il a relevé la froideur et l’absence de regret du prévenu, souligné l’état de récidive légale et requis 4 ans de prison, dont un an avec sursis probatoire (interdiction de contact et de se présenter au domicile de la victime, obligation de soins et de travail), et demandé un mandat de dépôt. Cela veut dire qu’entré libre dans la salle, Issa pourrait être arrêté sur le champ, menotté et partir tout droit en prison.

L’avocat d’Issa sait que cette perspective est terrible pour un prévenu alors il demande toutes les alternatives possibles : un mandat de dépôt différé, un aménagement de peine ab initio, tout, plutôt que de subir un mandat de dépôt à l’audience, soulignant que son client a respecté son contrôle judiciaire et s’est présenté à l’audience du jour.

En guise de dernier mot, Issa déclare simplement : « Je n’ai pas de rancœur par rapport à tout ça ».

Plus tard dans la soirée, des policiers bien équipés se sont postés dans la salle, dans le dos d’Issa. La décision tombe : trois ans dont deux ans ferme. « Le tribunal décerne mandat de dépôt ».

Issa est resté muet mais choqué, disait son regard, quand on lui a passé les menottes.

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