Tribunal de Pontoise : « Je veux la police, urgence s’il vous plaît. Mon mari m’a tapée »

Publié le 23/02/2023

Après avoir appelé la police en panique, Nafissa s’est rétractée, et prétend à l’audience avoir paniqué sans raison. Dans le box, Ramzi, 34 ans, nie toute violence commise à l’encontre de sa femme.

 Tribunal de Pontoise : « Je veux la police, urgence s’il vous plaît. Mon mari m’a tapée »
Palais de justice de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

« Madame le greffier ! Vous pouvez mettre la clef USB ! »

Chuchotements.

Bavardages.

« Il semble que nous n’ayons pas le son. Pour un audio, c’est embêtant. Bon, eh bien je vais lire la retranscription du coup de fil de Madame au 17. » Au premier rang de la salle des comparutions immédiates de Pontoise, la plaignante Nafissa, emmitouflée dans une doudoune, tremble comme une feuille.

La présidente parvient finalement à écouter l’enregistrement sur son ordinateur, mais le son ne passe pas dans les enceintes accrochées aux murs de la salle. Alors, elle répète pour le public  : « Je veux la police, urgence s’il vous plaît. Mon mari m’a tapée. » La juge précise : « nous entendons des cris en fond sonore. »

Au bout du fil, la policière répond : « Votre mari est toujours là ? Vous êtes blessée ?

— Oui, Madame, oui, oui…

— Je vous envoie les pompiers ?

— Oui.

— Vous êtes blessée ?

— Il m’a cassé la bouche, j’arrive plus à parler, il m’a cassé les dents. »

Les derniers propos sont inaudibles. Fin de l’enregistrement.

À la suite de cet appel, les policiers se rendent au domicile du couple, à Pontoise, mais les occupants sont absents. Ils font le tour des hôpitaux, interrogent les voisins et finissent par casser la porte. Ils découvrent à l’intérieur des traces de lutte : des morceaux de verre sur un tapis, une poignée de porte au sol, des toilettes brisées.

Une voisine a entendu la dispute ; elle a même affirmé que cela arrivait très souvent, mais que cette fois-ci, c’était beaucoup plus long et semblait plus violent. Elle-même est sortie vers 18 h 30, avant que le fracas ne cesse.

« Elle s’est blessée toute seule »

Dans le box : Ramzi, 34 ans, né en Turquie tout comme sa femme. « Monsieur dit qu’il n’a rien fait, c’est toujours le cas ?

— Je ne l’ai pas touchée.

— Comment elle s’est fait ses blessures ?

— Elle s’est blessée toute seule, je l’ai trouvée et je l’ai relevée, je crois qu’elle s’est cognée.

— Pourquoi êtes-vous partis ?

— Je ne sais pas, elle voulait absolument sortir. »

Après son coup de fil paniqué à la police, Nafissa a changé de version pour adopter celle de son mari. Elle a d’abord rappelé le 17 : « Il ne m’a rien fait, désolée pour le dérangement, je ne savais pas ce que je faisais. » Les policiers l’ont vue avec des griffures sur le visage et la lèvre éclatée. Elle a répété à un psy les éléments aujourd’hui présentés par le prévenu au tribunal. « Le psy dit que vous n’êtes pas crédible, que vous avez peur et que vous êtes vulnérable. » Le psy a aussi dit : « Même si on voulait la croire, on n’y arriverait pas. » En procédure, les frères de Nafissa disent que Ramzi la frappe.

« Un jour il y aura un drame »

Pour justifier son coup de fil paniqué, Nafissa explique qu’elle a fait une crise d’hystérie et qu’elle était inconsciente quand elle a décroché le téléphone. « Madame, relève la présidente, quand on ment, il faut essayer d’être un peu crédible. » Nafissa explique que c’est le départ de sa petite soeur avec un homme qui l’aurait plongée dans l’angoisse.

Un de ses deux frères témoigne : « Ma sœur a beaucoup changé depuis qu’elle est avec cet homme, je ne la reconnais plus, un jour il y aura un drame. » Il donne son interprétation : « Ils se sont disputés, ma sœur a élevé la voix et il l’a frappée. »

Il se trouve que Nafissa a déjà accusé Ramzi de violences, ce qui lui a valu en octobre 2022 une peine de six mois avec sursis probatoire, assortie d’une interdiction d’entrer en contact. Nous sommes le 23 janvier 2023, la présidente constate : « vous n’avez même pas respecté les obligations. »

Elle se tourne vers Ramzi, qui est assisté d’un interprète.

« Alors Monsieur, vous ne l’avez pas tapée ?

— Non, je suis rentré et elle était hystérique.

Madame l’interprète, vous pouvez lui dire qu’il a le droit de ne pas répondre. »

« Vous racontez n’importe quoi »

La présidente, manifestement irritée, demande à Nafissa de venir à la barre. La jeune femme répète : « On a des problèmes de famille, mais pas de violence. Je ne voulais pas appeler la police, c’est ça le problème.

— Madame, l’entretien dure deux minutes.

— Je sais, mais je ne sais pas ce que je dis.

— Vous racontez n’importe quoi.

— Si c’était vraiment comme ça je le dirais, je n’ai peur de personne.

— On ne vous croit pas du tout ».

L’avocat de la défense à son tour l’interroge : « Vous avez l’intention de reprendre la vie ensemble ?

— Bien sûr.

— Vous n’envisagez pas le divorce ?

— Non ! »

C’est le moment du réquisitoire. « On a affaire à un dossier particulièrement inquiétant, estime le procureur. Cette histoire est absolument abracadabrantesque. Il y a des éléments qui disent la violence. Je vous demanderai de protéger Madame de Monsieur et d’elle-même en les empêchant de se voir par le moyen de la détention : quinze mois d’emprisonnement avec mandat de dépôt. »

« Le droit au silence devrait être d’utilité publique »

L’avocat n’en mène pas large. « Le droit au silence devrait être d’utilité publique, et ça ferait du bien à la défense. » Puis : « Ce qu’on dit, de toute façon ils s’en fichent. Comment voulez-vous qu’il accepte de reconnaître alors qu’elle dit qu’il ne s’est rien passé ? Dans ce dossier, tout le monde ment ! On n’est pas là pour régler le problème de gens qui n’ont pas envie de le régler. » Il demande que Ramzi ne soit pas incarcéré.

Deux hommes, les deux frères de Ramzi, se lèvent du dernier rang d’où ils ont assisté à l’audience. Ils attendent dans la salle des pas perdus, comme Nafissa, la décision que les juges rendent un peu plus tard. Ramzi est condamné à 10 mois de prison avec mandat de dépôt, à la suite desquels il devra respecter pendant trois ans une interdiction de contact et de paraître à son domicile.

Plan
X