Tribunal de Pontoise : « Je veux plus jamais voir mon papa »
Vendredi 20 janvier, les comparutions immédiates de Pontoise ont jugé un père ayant menacé sa fille, son ex-compagne et la mère de cette dernière. Les victimes se disent « terrorisées », le prévenu évoque une manipulation sur fond de conflit autour de la garde de l’enfant.
La juge semble réfléchir à la manière de commencer sa synthèse, puis elle se lance, en s’adressant au prévenu : « Ce 18 décembre, les gendarmes sont appelés pour ce qu’ils soupçonnent être une tentative d’enlèvement d’un enfant de 10 ans. En réalité la remise de l’enfant se fait dans les règles, à 18 h 30. Vous ne vous voyez pas ; elle ne veut pas avoir de contact avec vous. Elle surveille la remise de l’enfant par la fenêtre, tout se passe bien, mais une heure plus tard elle reçoit un appel où vous la menacez, vous insultez et menacez votre fille de les tuer toutes les deux. Votre intonation de voix laisse apparaître que vous étiez fortement alcoolisé. Dans le téléphone, sa mère entendait Mia* appeler à l’aide et pleurer. »
Mia est dans sa chambre. Sur la table basse, un fusil de chasse.
Les policiers cherchent le domicile du prévenu pendant deux heures ; ils le localisent à Saint-Brice-la-Forêt, sonnent en vain, aperçoivent l’homme qu’ils cherchent à l’intérieur par le trou de la serrure. A 22 h 30, ils enfoncent la porte et l’interpellent. Mia est dans sa chambre. Sur la table basse, un fusil de chasse. Des cartouches jonchent le sol.
La petite fille explique aux policiers que son père est venu la chercher, puis qu’ils sont allés voir un match de foot « chez les gitans ». Elle précise que « vous aviez beaucoup bu ; que vous buviez tous les jours » – 4 verres de whisky coca, précisera-t-il. Dans la voiture, dit Mia, son père s’est mis à l’insulter. Il est passé devant le domicile de sa mère : « Vous auriez dit que quand vous sortiriez vous brûleriez tout chez sa mère et chez sa grand-mère. Puis, vous auriez dit à votre fille que vous alliez foncer dans un camion et que vous mourrez ensemble. Vous auriez dit : ‘Est-ce que tu veux mourir ? Elle a dit ‘non’ et avez tourné le volant au dernier moment. »
« Je m’occupe de cette petite merde et je viens te couper la tête à toi et à ta pute de fille »
Toujours en voiture, elle entend son père appeler sa grand-mère maternelle et lui dire : « Je m’occupe de cette petite merde et je viens te couper la tête à toi et à ta pute de fille. » Elle indique au policier que son père lui aurait craché dessus et l’aurait plaqué sur le siège. « Je ne t’aime plus, tu n’es plus ma fille, tu es une pute comme ta mère, c’est la dernière semaine que nous passons ensemble », lui aurait-il dit. En rentrant chez son père, enfin, la petite Mia aurait entendu : « Tu ne manges pas, t’es qu’une grosse vache, va te coucher. Ce qui se passera ce soir, ce sera de sa faute. » « C’était la première fois qu’il était aussi méchant », a-t-elle conclu sur son procès-verbal.
L’arme qui est retrouvée chez lui a été achetée sans autre raison que « parce que je la trouvais jolie ». Il ne s’en est jamais servi, ne chasse pas. Il n’a pas l’autorisation de la posséder. Il l’a achetée en lot avec de nombreuses munitions, une lunette de visée, un silencieux. Il rangeait le tout dans son placard, dans la salle de jeu de Mia, dont il avait la garde un week-end sur deux. Le couple s’est séparé avant la naissance de l’enfant. C’est elle qui l’a quitté, à cause de violences. Elle a bénéficié d’une ordonnance de protection en 2013. Il était ivre « en permanence » et la menaçait.
« Elle est manipulée, ma fille »
La présidente lève le nez vers le box. Romain, 36 ans, est très calme. Il garde les mains croisées dans le dos et affiche un drôle de regard « par en dessous ». La présidente débute son interrogatoire :
« — Pourquoi votre ex-compagne dit ça ?
— Parce qu’elle veut m’enlever la garde.
— Et pourquoi maintenant ?
— Parce que je me suis plaint, quand je l’ai appelée.
— Vous appelez pour vous plaindre ?
— Oui, je lui dis : qu’est-ce qu’elle a, la petite me parle pas, que se passe-t-il ? Sa réponse c’est ’t’es un malade, je vais appeler les flics’
— Vous l’insultez, votre fille ?
— Sa mère et sa grand-mère, oui. Elle a pu avoir peur des insultes que j’ai criées à sa mère et à sa grand-mère », reconnaît-il avant d’ajouter : « Le fond de ma pensée c’est qu’elle est manipulée, ma fille. »
S’il reconnaît les insultes, il réfute les menaces. « C’est impossible que je l’ai menacée, car j’ai déjà été condamné avant, à tort déjà, donc je sais que si ça recommence ce sera encore pire.
— Votre fille, elle ment ?
— Je pense qu’elle a eu peur, qu’elle voulait retourner avec sa mère.
— Vous qualifieriez comment votre relation avec votre fille ?
— C’est génial, pour elle comme pour moi. »
« Lorsqu’elle dit « je veux plus jamais voir mon papa », comme ça se fait, puisqu’elle vous adore ? »
Le procureur se frotte le menton : « La petite de 10 ans, elle a inventé ça ? Le crachat au visage elle l’invente ? L’accident dans un camion ? Les gifles, elle a mal interprété ? Pourquoi elle dit ça, puisqu’elle vous adore ? Et lorsqu’elle dit « je veux plus jamais voir mon papa », comme ça se fait, puisqu’elle vous adore ? »
Mécanicien en travaux publics, en arrêt de travail depuis deux ans, il est en couple et affirme désormais ne boire qu’occasionnellement. Son casier contient 12 condamnations (violences, conduites sous l’empire d’un état alcoolique, menaces).
L’avocat de l’administrateur ad hoc de Mia, qui s’est constitué partie civile, prend un air grave : « Le contexte est très inquiétant pour cette petite. Moi je ne vais pas juger Monsieur, parce que je ne sais pas s’il est oui ou non un bon père. Ce que je sais par contre, c’est que lorsqu’on tient ces propos, qu’on arrive à des menaces à l’égard de son enfant, ça a nécessairement des répercussions. Comment peut-on envisager une relation saine, évoluer et grandir avec sa fille lorsqu’au cours de cette audience on passe tout son temps à dire que c’est une menteuse et qu’elle est manipulée ? ». Il demande le retrait de l’autorité parentale.
« Le danger, est palpable, prégnant, avéré dans ce dossier »
Le procureur semble concentré : « L’idée de l’instrumentalisation de la petite par sa maman, alors même qu’elle l’adore, n’est pas crédible. Le contexte de commission des faits provoque une peur immense et fondée des victimes. Ivre, à côté de son fusil et de sa gamine, avec les munitions à proximité immédiate des jouets. Le danger, est palpable, prégnant, avéré dans ce dossier. » Il requiert 9 mois de prison dont 4 mois assortis d’un sursis probatoire.
L’avocate de Romain se lance : « Je suis un petit peu perplexe au terme de cette audience, on n’a pas d’éléments objectifs, mais le procureur est convaincu. Est-ce que votre décision c’est de croire l’un ou l’autre ? Les violences sur les enfants, ce ne sont pas mes dossiers préférés, mais c’est quelqu’un qui me touche. »
Elle insiste sur le fait que les accusations ne sont fondées sur rien de tangible. « Est-ce que vous allez être condamné sur ces éléments qui reposent sur des paroles ? »
Puis l’avocate rappelle les éléments de contexte : « Madame avait demandé la garde exclusive, refusée. Devant le juge aux affaires familiales, les demandes de la mère ont toutes été rejetées, tandis que lui a eu de bons rapports. Nous avons beaucoup d’attestations qui vont dans le sens de Monsieur. Je suis obligée de vous demander la relaxe », sauf pour l’arme, les faits étant reconnus.
Le tribunal délibère en moins de 30 minutes. Il dépasse les réquisitions : Romain est condamné à 12 mois dont 7 assortis d’un sursis probatoire, avec exécution provisoire. Interdiction d’entrer en contact avec les victimes, de paraître à leur domicile, obligation de soins. Il sera équipé d’un bracelet anti-rapprochement : distance d’alerte : 2 km, de pré-alerte : 4 km. Enfin, le tribunal ordonne le retrait de l’exercice de l’autorité parentale et alloue 1 000 euros de dommages et intérêts à Mia et à sa mère.
Référence : AJU346803