Tribunal de Pontoise : « La prison, ça va me tuer »

Publié le 04/01/2024

Le 27 décembre, le Tribunal de Pontoise juge trois jeunes majeurs poursuivis pour avoir volé quelques objets dans un véhicule. Les faits sont peu graves, mais deux des prévenus sont en récidive, et risquent d’être incarcérés.

Tribunal de Pontoise : « La prison, ça va me tuer »
Tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Ahmed, Yazid et Patou se promènent dans un quartier résidentiel de Pierrelaye et décident soudainement de « visiter » une Peugeot 3008 garée dans l’allée d’un pavillon. Il est 1h du matin le 26 décembre, un voisin les filme lorsqu’ils se dirigent vers la voiture. Puis, il appelle la police.

L’équipage tombe rapidement sur les trois jeunes, qui paraissent nerveux. Ahmed a une lampe frontale à la main, un ordinateur portable dans une sacoche, un boitier coyote, une paire de Ray-Ban, un aspirateur de poche et un chargeur de téléphone. Sa jambe tremble lorsqu’il est fouillé et, comme ses amis, il jette des regards préoccupés dans toutes les directions. L’ordinateur est au nom d’un certain Benoit F., résident dans la rue et qui, une fois contacté, confirme que, apparemment, sa voiture a été fouillée. Les trois sont interpellés et placés en garde à vue.

Patou (19 ans) explique qu’il faisait des tours dans le quartier (il habite un quartier voisin) pour retrouver sa voiture volée, et que les objets trouvés sur eux proviennent d’une poubelle située près de la gare. Ahmed (22 ans) dit qu’il aidait Patou, et Yazid (22 ans), qu’il les accompagnait. Ils sont déférés en comparution immédiate le mercredi 27 décembre. La présidente leur demande d’emblée ce qu’ils ont à dire désormais et quelle est leur version de l’histoire.

« C’était bête de notre part »

« On se baladait dans la ville, comme tous les jours sans aucune idée derrière la tête. Des fois on se pose à la poste, des fois au gymnase. On a vu le portail ouvert, ça m’a intrigué, j’ai vu la lumière allumée dans le véhicule, il était ouvert et j’ai tout pris », dit Ahmed. Yazid confirme. « On était dans la cour.

– Vous êtes entrés dans le véhicule ?

– Non, pas du tout.

– Pour prendre la sacoche, faut quand même mettre son bras à l’intérieur…

– … c’est comme si on était rentrés, c’est vrai.

–  Et vous (Patou) ?

– Moi, je faisais le guetteur, en gros.

– Qu’est-ce que vous aviez prévu ?

– (Ahmed) Franchement on savait même pas quoi en faire, c’était bête de notre part.

– Pas pour vous faire un peu d’argent ?

– Franchement ça aurait pu être pour ça, mais on avait pas l’intention à la base.

– Vous trainez dans la rue à 1h du matin dans un quartier pavillonnaire, juste comme ça ?

– Vous pouvez demander aux policiers, on traîne là-bas souvent.

– Dans ce quartier ?

– Entre autres.

– Moi j’habite là-bas, dit Patou.

– Nous on a notre ami Patou qui habite là-bas, dit Yazid.

– On a aussi nos petites copines qui y habitent, complète Ahmed. »

« Elles sont pas éclairées les rues de Pierrelaye ? »

La présidente vise un homme au fond de la salle. « Monsieur F. ?

– Je suis arrivé en cours.

– Donc les faits sont reconnus, mais votre portail aurait été ouvert.

– D’accord.

– On tenait à s’excuser, dit Yazid.

– (Présidente) Et la lampe frontale ? Elles sont pas éclairées les rues de Pierrelaye ?

– A partir de 1h elles sont éteintes.

– C’est peut-être qu’il faut rentrer chez soi. Et Monsieur (Patou), vous aviez une cagoule, pourquoi ?

– J’ai toujours une cagoule, pour le froid.

– Monsieur F., votre portail était ouvert ?

– Quand on m’a appelé il était fermé, et c’est un portail électrique. Ils n’ont pas pu le fermer eux-mêmes.

– En revanche vous avez indiqué que votre véhicule était ouvert.

–  Possiblement. »

La victime déclare se constituer partie civile, mais ne demande aucun dommage et intérêt. « Ça c’est sympa », murmure un homme dans le public. La présidente regarde une dernière fois les prévenus ? « Messieurs ? Un changement de déclaration ?

– Non.

– Non.

– Non.

– Si je peux me permettre le portail était entrouvert, dit Yazid. »

Si Patou a un casier vierge, les deux autres ont déjà été condamnés à 5 reprises, principalement pour des vols. Ils ont déjà été incarcérés et sont actuellement sous sursis probatoire, dont le juge d’application des peines demande la révocation partielle pour les deux. Ils vivent chez leurs parents, doivent tous plusieurs milliers d’euros au trésor public pour des amendes de violation du confinement sanitaire. Yazid doit 30 000 euros à une partie civile d’un précédent dossier.

« On a une stupidité énorme »

La partie civile est ce type d’homme très à l’aise en toutes circonstances et qui a toujours un conseil à dispenser. Il demande la parole, se positionne à la barre, se tourne vers les trois prévenus et leur serine : « ce que je trouve bête, c’est qu’ils ont des antécédents, et en admettant que le portail était entrouvert, les risques étaient largement au-delà du bénéfice. »

La procureure ajoute que c’est une atteinte aux biens, un trouble à l’ordre public et que cela contribue au fort sentiment d’insécurité « de nos concitoyens ». Au vu des antécédents, elle demande 8 mois ferme avec mandat de dépôt contre Ahmed et Yazid, en plus de la révocation de leur sursis à hauteur de 3 mois et 6 mois, et 8 mois avec sursis contre Patou, ainsi qu’une interdiction de paraître dans la rue et les rues adjacentes (pendant deux ans).

La Défense précise d’emblée : « On a une stupidité énorme. Ce sont des objets farfelus ! L’activité lucrative dont parle madame la procureure je ne la vois pas. Ils n’ont pas leur place en détention, ils sont tous de jeunes majeurs, aujourd’hui les placer en détention c’est faire en sorte que, dans un an, ils soient de nouveau chez vous. » Les trois prévenus ont le dernier mot.

« La prison ça a détruit ma vie »

Ahmed déclare : « La prison ça a détruit ma vie, j’aimerais pouvoir continuer à voir mes parents s’il vous plaît. »

Yazid dit : « La prison, ça va me tuer, je suis désolé de dire les choses comme ça, mais la prison c’est pour les personnes fortes, et moi je suis pas fort » (voix étranglée).

Patou, enfin, est moins stressé : « Je suis désolé pour tout ce qu’il s’est passé. »

Ils attendent quelques heures leur sort dans les geôles en sous-sol, puis sont remontés dans la salle. Après avoir condamné Patou à 9 mois avec sursis, la présidente annonce aux deux autres leur peine, qui correspond aux réquisitions de la procureure, mais sans incarcération (9 mois et révocation du sursis probatoire à hauteur de 3 mois). Les 9 mois sont aménagés ab initio, sous forme de détention à domicile. Leur visage s’illumine, les deux gamins jubilent. « Franchement on vous cache pas qu’on pensait que c’était mort.

– Je ne vous cache pas que c’est la dernière chance.

– Merci madame, vous savez pas la fleur que vous nous faites.

– Moi je ne veux plus vous voir et je veux plus que mes collègues vous voient. Votre avocate non plus, Madame la procureure non plus. »

Ils quittent le box. Des couloirs, émanent des hurlements de joie : « Ouaaaaaaaaais libérééééééés », et le tribunal explose de rire.

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