Tribunal de Pontoise : « La violence, ça détruit les enfants »

Publié le 18/10/2023

Leïla*, 42 ans, alcoolisée, appelle la police au secours, dans un acte de désespoir. Elle vient de frapper sa fille. Alcoolique et précaire, elle perd complètement pied.

Tribunal de Pontoise : « La violence, ça détruit les enfants »
Palais de justice de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Tout commence par un appel téléphonique à la police au beau milieu de la nuit.

« J’ai un enfant qui est trop speed, veuillez venir la chercher tout de suite.

— Comment ?

— Mon enfant est trop speed, veuillez venir la chercher sinon je vais la jeter dans la poubelle !

— Il ne faut pas parler comme ça, Madame.

— Non, parce que je suis énervé, là ! »

Il est 3 h 05 du matin, le 15 mars 2023, un équipage se rend au domicile d’Leïla, la mère « énervée » qui vient de les appeler. Elle leur ouvre. Sa fille est en pleurs sur le canapé, apeurée. Elle raconte que sa mère l’a tirée par les cheveux. Les analyses révèlent 2,34 grammes d’alcool par litre de sang. Leïla est interpellée.

Bien qu’âgée de cinq ans, l’enfant explique clairement le déroulement des faits. En fait, elle a simplement pris le maquillage de sa mère, qui ne l’aurait pas supporté et aurait explosé immédiatement. Leïla a crié sur sa fille, témoigne la voisine qui dit avoir appelé la police à trois reprises. Selon elle, ce n’était pas la première fois. Quand elle l’a entendu hurler « J’en peux plus ! », elle s’est inquiétée et a décidé d’appeler les secours.

Audition chaotique

Très ivre, Leïla est ingérable à l’hôpital. Elle insulte et se débat ; dans la voiture, elle crache dans la bouche d’un policier, qui en réponse l’attrape par les cheveux et lui plaque le visage contre la vitre, pour la neutraliser.

Son audition de garde à vue est chaotique. Elle conteste tout fait de violence, et répète en boucle qu’elle a bu de la vodka pour oublier ses problèmes.

Six mois plus tard, Leïla se présente devant le tribunal correctionnel de Pontoise pour répondre des violences commises cette nuit-là sur sa fille et sur le policier. Elle est calme. L’enfant est évidemment absente, mais représentée par une administratrice ad hoc, elle-même conseillée par un avocat. Le juge unique lui demande de s’expliquer. Alors Leïla raconte ce qui l’a conduit à violenter sa fille.

« J’étais dans une situation de précarité grande, il y avait des souris, des cafards, une fuite d’eau à côté du disjoncteur, des jeunes du quartier qui ne nous laissent pas dormir. »

« Jai appelé la police pour envoyer un SOS »

L’appartement lui a été prêté par son petit ami. « J’avais été expulsée. Je sais ce que c’est la rue toute seule, et j’ai peur, comment ça serait avec un enfant de cinq ans ? » Le père est décédé en 2021. Ils ne vivaient pas ensemble, mais il les aidait beaucoup. Depuis, la situation s’est dégradée.

« Je disais qu’on m’a expulsée, et j’avais peur pour ma fille. Le 15 mars je n’avais pas trouvé de solution. J’ai appelé la police pour envoyer un SOS. »

« — Il n’y a jamais eu de maltraitance, alors pourquoi cette nuit-là vous appelez la police pour qu’ils récupèrent votre fille ? interroge la présidente.

— Parce que j’étais alcoolisée.

— Vous reconnaissez lui avoir tiré les cheveux ?

— Oui, mais je suis désolée.

— Comment ça se fait ?

— Je ne sais pas, je lui ai demandé de dormir, elle ne voulait pas.

— C’est une enfant de 5 ans.

— Oui, je sais, je regrette. Tout ça me servira de leçon.

— La violence, ça détruit les enfants. Et par rapport à l’alcool, vous en êtes où ?

— Je n’y ai pas touché depuis le soir des faits. Je consommais quand j’avais peur, quand j’avais une menace devant moi.

— Mais vous aviez peur en permanence. » Le jeune femme baisse la tête sans répondre.

Elle reconnaît aussi le crachat sur le policier. Alors qu’elle était hors d’elle, « il m’a donné deux baffes et a serré les menottes », alors elle lui a craché dans la bouche.

« —Il a reçu de la salive dans sa bouche, vous vous mettez à sa place ?

— Je suis désolée. »

L’avocat de l’administratrice ad hoc demande : « Comment est décédé le papa ?

— Cancer du poumon, il fumait trop. »

Depuis les faits, la prévenue, casier judiciaire vierge, a amélioré sa situation. Elle a désormais un CDD avec promesse d’embauche et un logement. Elle reconstruit patiemment son rapport à sa fille, qu’elle voit régulièrement lors de visites médiatisées dans les locaux d’une association. Elle ajoute : « ma fille, il faut qu’elle reste en famille d’accueil le temps que je remonte la pente, et il faut que je la récupère dignement. »

L’administratrice ad hoc est invitée à intervenir : « Les services éducatifs font état d’une évolution positive et d’une très grande tendresse entre la petite et sa maman, on va vers une procédure de sortie. » Elle a un grand et doux sourire pour Leïla.

« Une émotion sincère entre la mère et la fille »

L’avocat plaide dans le même sens : « Cet appel était un appel au secours. Vu la situation précaire de la petite, la meilleure solution était de la placer pour qu’elle soit en sécurité. Il y a une émotion tout à fait sincère de part et d’autre, entre mère et fille. »

Le réquisitoire est du même tonneau : « Madame a pris ses responsabilités et a reconnu les faits, je trouve que c’est une vraie démarche et je tiens à le souligner. » Elle demande six mois avec un sursis probatoire de deux ans, comprenant une obligation de soins et de travail.

La défense n’a presque rien à ajouter, sinon à souligner, elle aussi, que les violences « s’inscrivent dans un contexte spécifique », et que la prévenue « est dans un processus de réinsertion et de rééducation clairs ». Leïla est finalement condamnée à quatre mois de prison assortis d’un sursis probatoire de deux ans, comprenant une obligation de soins psychologiques, en addictologie, et une obligation de travail.

 

 

*Le prénom a été changé

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