Tribunal de Pontoise : « Le frapper et partir avec son véhicule, vous trouvez ça normal ? »

Publié le 20/12/2023

Un chauffeur VTC a été agressé violemment par trois individus, qui lui ont volé sa voiture. Trois ans après, deux hommes sont jugés à Pontoise, dont l’un par défaut.

Tribunal de Pontoise : « Le frapper et partir avec son véhicule, vous trouvez ça normal ? »
Tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

 À l’issue d’un « parcours carcéral complexe », Junior vient d’arriver à la prison de Liancourt, après avoir fait plusieurs établissements depuis qu’il est écroué le 4 août 2022 (libérable au 29 janvier 2025). Il comparaît le 16 novembre 2023 à Pontoise pour des faits commis le 5 octobre 2020. Son co-prévenu, Hamou, ne s’est pas présenté. La présidente dit : « J’ai vérifié qu’il n’était pas incarcéré, parce que ça lui arrive quand même assez souvent », mais non, Hamou sera donc jugé par défaut. Avec Junior, ils sont poursuivis pour extorsion avec violences.

Trois ans plus tôt, les gendarmes reçoivent tard dans la nuit l’appel d’un chauffeur de VTC, agressé, dit-il, sur la D 317 à hauteur de Villeron. Les pompiers appelés en renfort trouvent un homme en état de choc, blessé au visage, à l’arrière du crâne, les pieds nus et trempé par la pluie. Ils notent qu’il a du mal à déglutir ; c’est parce qu’il a été étranglé, leur apprend-il.

Il raconte aux gendarmes qu’il achevait une journée de travail de 14 h 00 quand, en rentrant chez lui, il éprouve le besoin de faire un somme. Il se gare sur le bas-côté et s’assoupit, quand peu de temps après, deux jeunes tapent à son carreau. Ils sont en rade, disent-ils, peut-il les déposer à la prochaine station ? Il accepte.

Étranglement, passage à tabac

Pendant qu’ils roulent, les deux jeunes parlent et paraissent au chauffeur très excités. Ils demandent avec insistance à être déposés à Paris 19e. Ils lui paraissent menaçants, alors le chauffeur continue à rouler. Puis l’un dit avoir envie de vomir, alors il s’arrête, se penche vers lui pour lui donner une bouteille d’eau, quand soudain un fil est passé autour de son cou et sa tête est tirée en arrière.

Les deux individus commencent à le rouer de coups. Le chauffeur s’extrait du véhicule, court puis rampe dehors sous la pluie. Les agresseurs tentent de partir avec la voiture, mais le chauffeur a gardé les clefs. Ils le rattrapent et lui extorquent les clefs qu’il avait jetées, qu’il a dû chercher le nez par terre sous leurs menaces. Les deux filent avec la Passat du chauffeur, qui voit passer à la suite une Clio, qui suit ses deux voleurs. C’est leur complice, le chauffeur qui les a amenés sur cette route.

La voiture est retrouvée quelques jours plus tard, dans la cité des Francs-Moisins, à Saint-Denis. La police a contrôlé un certain Bakary (« toujours dans les bons coups celui-là ») au volant de la Passat que, dit-il, on lui a prêté. Le véhicule est passé entre de nombreuses mains. Quant à la Clio, elle appartient officiellement à Hamou.

C’est lui qui, interrogé, met les enquêteurs sur la piste de Junior. Il se donne lui-même le rôle de chauffeur. Ce soir-là, dit-il, ils cherchaient une voiture à voler, quelqu’un à dépouiller, quand ils tombent sur cette voiture isolée. « Omar et Junior ont frappé le conducteur, Junior a mis le conducteur au sol, Omar l’étranglait, moi comme un idiot je regardais. » Après s’être enfuis, s’être fait flasher (ce qui a facilité l’enquête), ils ont fait une soirée gaz hilarants et tours avec des filles dans leur quartier de Saint-Denis.

« Ça a donné une tarte ou deux »

Interrogé le 13 avril 2002, Junior a d’abord nié les faits, avant de reconnaître sa présence sur les lieux. Il nie avoir commis des violences, ainsi qu’avoir prémédité l’agression. Ils voulaient vraiment, dit-il, être déposés à la station de train. En fait, ils venaient de s’embrouiller avec Hamou, après avoir eu un plan soirée qui avait capoté. La présidente le titille un peu : « Vous êtes sûr de ne pas avoir mis quelques coups ?

— Je sais très bien ce que j’ai fait, à aucun moment je ne l’ai frappé.

— Au début vous disiez n’avoir rien fait. Puis, vous avez déclaré ‘ça a donné une tarte ou deux’. Le frapper et partir avec son véhicule, vous trouvez ça normal ?

— Non, c’est une erreur

— Une erreur ?

— Non, c’est pas bien du tout. Je vous mens pas, ça me plaît pas, ce monsieur il pourrait être notre père à nous tous.

— Vous vous souvenez de ce qu’a fait Hamou ?

— Je parle pour moi seulement

— Chacun a ses codes de valeur. Et Omar, il était là ?

— Je ne sais pas

— Voilà. »

Omar est toujours introuvable.

Et Junior est bien dans le box, seul. Reconnu par la victime, qui a un an et demi d’arrêt de travail, et dont l’avocat demande le renvoi sur intérêts civils.

« Théorie de la scène unique de violence »

Contre Junior, 21 ans, 7 condamnations et deux ans de prison derrière lui, la procureure requiert deux ans de prison. Elle dit que la victime s’est fait « lyncher, tabasser ». Elle se dit « un peu déçue que Monsieur, qui a pourtant eu le temps de réfléchir, nous explique que pas du tout, ce n’était pas prévu ». En vertu de la théorie de la scène unique de violence, elle n’a pas besoin de démontrer qu’il a lui-même porté des coups, dès lors qu’il fait partie du groupe qui a porté les coups. Contre son coprévenu en cavale, elle requiert 18 mois et un mandat d’arrêt.

Son avocat tente fébrilement d’objecter qu’on ne peut pas dire qui a fait quoi, et déplore le fait que, contre l’absent, l’accusation requiert une peine moindre (mais il a moins d’antécédents, a précisé la procureure). Peut-être, dit-il, que la victime sous le choc a pu se méprendre sur le rôle de son client ?

Le tribunal ne le pense pas, qui condamne Junior et Hamou aux réquisitions, assorties d’un mandat de dépôt pour le présent, d’un mandat d’arrêt pour l’absent. Avant de disparaître dans le couloir étroit et obscur qui mène aux geôles, Junior demande à la présidente : « Madame, Hamou, il va se faire incarcérer ?

— Oui. Puis il pourra faire opposition au jugement.

— D’accord, merci. »

En aparté et avec un sourire, la présidente commente : « il aura l’information, visiblement. »

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