Tribunal de Pontoise : « le tribunal ne va pas attendre que vous tuiez quelqu’un »

Publié le 30/05/2023

Javed, 33 ans, est jugé en comparution immédiate à Pontoise pour avoir conduit sous l’empire d’un état alcoolique. Il est multirécidiviste, et le peu de cas qu’il fait de ses obligations judiciaires rend la présidente furibonde.

Tribunal de Pontoise : "le tribunal ne va pas attendre que vous tuiez quelqu’un"
Palais de justice de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Javed n’en mène pas large. « Conduite sans permis et sous l’empire d’un état alcoolique, 3,2 grammes d’alcool dans le sang ! Vous vous rendez compte ! » gronde la présidente. Le trentenaire râblé et barbu enfonce dans ses épaules une tête affligée. « Je suis juste parti chercher ma femme, j’aurais pas dû le faire, je sais. » Javed était à un mariage. Tard dans la soirée, il a pris sa voiture pour ramener son épouse à la fête, mais n’a pas roulé longtemps avant de tomber sur une patrouille. Il a soufflé dans l’éthylotest et a fini sa nuit en cellule de dégrisement.

« 1,61 gramme par litre d’air expiré, c’est que vous avez dû bien vous la coller, Monsieur !  »

La présidente fulmine : « Vous ne vous êtes pas dit que vous risquiez d’aller en prison ? Vous ne vous êtes pas dit ‘je vais appeler ma femme et lui dire écoute chérie, je ne viens pas te chercher ou je viens mais je risque de finir en prison, qu’est-ce que tu choisis’ ? »

Javed reste interdit.

« Et puis qu’est qu’il vous a dit le juge la dernière fois ? Votre permis a été annulé en décembre 2021. »

Javed pensait que le récépissé de validation de l’examen de conduite qu’il conserve dans sa poche depuis trois ans était encore valable.

« Vous louez une voiture – c’est quoi ces sociétés qui louent des véhicules à des personnes sans permis – et vous buvez. » Elle regarde sa feuille : « 1,61 gramme par litre d’air expiré, c’est que vous avez dû bien vous la coller, Monsieur ! Vous les enchaînez, Monsieur, et à un moment le tribunal ne va pas attendre que vous tuiez quelqu’un, parce qu’à un moment ça va, après c’est nous qui allons culpabiliser si vous sortez et tuez quelqu’un, parce que ça arrive de tuer quelqu’un ! Alors qu’est-ce qu’il faut faire ? Vous envoyer en prison ? Nous on le fera, c’est notre travail de protéger la société.

— J’ai pas réfléchi, je suis désolé », concède Javed. On tend un papier à la présidente, qui le consulte et relève le nez : « Le parquet vient de mettre à exécution un sursis probatoire de 8 mois, donc vous partez en détention. »

Javed pâlit.

« Ma collègue, c’est votre juge d’application des peines »

L’affaire est vite pliée et la présidente enchaîne sur le casier. « La dernière condamnation … comment ça se passe le suivi ?

— Le quoi ?

— Ben non vous ne pouvez pas savoir, vous n’y êtes jamais allé ! »

Le prévenu est convoqué le lendemain devant la juge d’application des peines, qui envisage de révoquer dix mois supplémentaires d’une autre condamnation.

Le procureur se lève : « Sa dernière convocation date du 14 mars, Monsieur est-il venu ? » L’assesseure intervient : « Non ». La présidente précise : « Ma collègue, c’est votre juge d’application des peines. Vous la reconnaissez ? – Ben non, il n’est jamais venu », soupire l’assesseure.

Javed est convoqué un peu plus tard dans l’année pour des violences conjugales. Il ne savait pas. L’assesseure juge d’application des peines : « Vous avez signé les convocations, dont une remise par un policier. Pourquoi vous ne venez pas ? » Il l’ignore. « On comprend bien que votre casier est lié à votre problématique alcoolique, mais si vous sortez des radars, comment on fait pour vous aider ? Vous pensiez qu’on allait vous oublier ? »

« Aujourd’hui, Monsieur, on va solder les comptes »

Le procureur ne l’a pas oublié : « Aujourd’hui, Monsieur, on va solder les comptes. Monsieur soit ne vient pas aux audiences, soit il a des peines aménageables. Quand il est convoqué par le juge d’application des peines, il ne vient pas. Au regard de son profil judiciaire, je demande 10 mois de prison ferme avec mandat de dépôt et l’annulation de son permis, ainsi que l’interdiction de le repasser pendant 12 mois ».

« L’alcoolisme, c’est une maladie, plaide l’avocat de Javed. On n’est pas simplement face à une personne qui s’entête dans un certain comportement, mais face à une personne malade. Si on l’envoie en détention, le temps qu’il obtienne un rendez-vous avec l’addictologue, il sera déjà sorti. Ce n’est pas la solution, et quel est l’intérêt ? » Il demande un nouveau sursis probatoire.

Après en avoir délibéré, le tribunal condamne le prévenu à douze mois de prison, dont dix mois avec sursis probatoire. Il écope d’un mandat de dépôt pour les deux mois restants, d’une annulation de son permis, de l’interdiction de le repasser pendant douze mois. Ses sursis probatoires sont révoqués.

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