Tribunal de Pontoise : « Ma femme dès qu’on la touche elle a des bleus »
La comparution d’Hassan, 57 ans, pour violences conjugales, est une épreuve pour ce père de famille, qui peine à prendre conscience de la nature violente de son comportement. Entre contrition et acrimonie, le prévenu s’attarde longuement à la barre du tribunal de Pontoise.
Prévenu libre, Hassan, 57 ans, se présente à la barre en nouvel homme. Le 30 avril, il était placé en garde à vue et poursuivi pour des violences sur sa femme et sa fille. Six semaines loin de son foyer (chez sa sœur dans l’Aisne) l’ont transfiguré. Ce 19 juin, il énonce fièrement au tribunal de Pontoise : « C’était très intéressant, on se rend compte que de l’altercation à la violence, il y a très peu. Je pourrais vous en parler plus tard, mais j’ai beaucoup appris. » Il comparaît dans le cadre d’une comparution immédiate à effet différé.
La présidente résume les faits : le 30 avril, la police est requise pour des violences intra familiales. La femme dit que son mari a frappé sa fille et l’a brûlée avec une cigarette. Il l’aurait frappée lorsqu’elle s’est interposée. Son fils aurait également pris un coup. Elle ajoute que, la veille, sous l’emprise de l’alcool, il aurait voulu gifler sa fille. La femme dit avoir déjà été frappée en 2019.
La fille confirme l’altercation de la veille, et déclare qu’il frappe souvent lorsqu’il a bu ; or, depuis qu’il est au chômage, il boit beaucoup. Le copain de la fille confirme qu’elle s’est confiée à lui, en larmes, sur ces violences.
La présidente : « Qu’est-ce que vous dites au tribunal ? »
Hassan a beaucoup à dire.
« Moi je range au maximum, ma femme peut en témoigner »
« Je suis un papa poule, je la vois encore comme une enfant (elle a 21 ans, NDLR). L’accrochage a eu lieu car elle est rentrée à 2 heures du matin sans prévenir. Pour la responsabiliser, je l’ai laissée poireauter sur le palier avant de lui ouvrir. J’attendais des explications ou des excuses : je suis allé dans sa chambre, je n’avais pas bu, enfin, seulement une bière, je n’étais pas saoul. »
Il disgresse : « C’est toujours la même chose : je leur demande de ranger leur chambre. Moi je range au maximum, ma femme peut en témoigner. Avec mon fils, c’est pareil, il m’envoie des SMS pleins de fautes, je lui fais des remarques et il s’en fiche. Il s’est acheté une Playstation avec sa bourse universitaire, j’aurais voulu qu’il achète un ordinateur.
» — Monsieur je vous interromps, vous vous égarez.
— La salle de bains était très sale, reprend Hassan. J’ai demandé à ma femme, qui était en train de se maquiller, de ranger ; elle ne m’a pas répondu. Je lui redemande, silence. Ma fille passe, je l’interpelle, elle ne me répond pas. Je la suis dans la chambre et lui dis : ‘tu me réponds pas et ça ne te dérange pas ?’ »
Sa fille lui répond, dit-il, qu’il est « mal élevé ». « Ça m’a frustré, j’ai éteint ma cigarette et l’ai lancé dans sa direction, je le reconnais. Je m’avance vers elle et elle essaie de me mettre un coup, que j’esquive. Ma femme intervient, Dieu m’est témoin, je ne l’ai pas tirée par les cheveux ni frappée. » Hassan reconnaît que la cigarette était mal éteinte, puisqu’elle a brûlé sa fille.
« Pourquoi votre famille dit que vous êtes violent ? »
« — Votre femme et votre fille disent que vous vous êtes approché avec la cigarette allumée, reprend la présidente.
— Non, c’est faux
— Donc vous n’êtes pas d’accord. Pourquoi votre famille dit que vous êtes violent ?
— Je ne suis pas violent, il y a des querelles, mais je ne frappe pas ma femme.
— Comment vous expliquez les traces ? Légères je vous l’accorde, mais il y a des traces
— Je n’ai pas le souvenir, Madame la présidente, je vous jure. Je ne sais pas ce qu’ils appellent violence.
— Violence physique, c’est ce qui est évoqué. Votre femme dit que vous l’avez frappée avec un câble électrique en 2019, précise la présidente.
— C’est par rapport à mon fils, qui passe son temps à jouer à son téléphone et aux jeux vidéo. Je lui ai retiré le chargeur, ma femme m’a donné un coup, j’ai eu tellement mal, c’est un réflexe pavlovien j’ai mis un coup avec le chargeur. Ma femme, dès qu’on la touche, elle a des bleus, c’est comme ça, on peut même faire l’expérience. » La présidente ignore.
— Comment vous voyez la suite ?
— Peut-être que j’ai pas su leur montrer mon amour.
— Ce n’est pas ma question. Comment vous envisagez la suite ?
— Je voudrais réintégrer mon domicile, demander pardon à ma femme et à ma famille. Mes enfants sont majeurs et mènent leur vie comme ils l’entendent. Il faudrait qu’on fasse la paix. Je n’ai pas eu la bonne méthode pour préserver ma famille. J’ai consacré toute ma vie à ma femme et mes enfants, j’aurais peut-être dû penser à moi. »
Il ajoute : « Ma femme, je l’aime, on a passé 22 ans ensemble, je l’ai amenée du Maroc, je suis responsable d’elle. »
« Je vais changer radicalement mon comportement »
La présidente est circonspecte.
« — Je m’interroge sur la cohabitation dans ces conditions. On n’a pas beaucoup avancé Monsieur, j’en tire ce constat-là. Certes vous avez fait un stage : mais dans votre discours aujourd’hui je n’entends pas que vous en ayez retiré quelque chose.
— Je vais changer radicalement mon comportement, et je demande pardon.
— Et l’alcool ?
— Je ne bois pas, presque jamais. »
La femme d’Hassan est présente, elle s’avance. La présidente demande : « vous voulez divorcer ?
— Non.
— Pourquoi ?
— Parce que je l’aime. Moi aussi j’étais en colère, ça arrive.
— Les violences sur les enfants, ça peut se reproduire.
— Ce sont des adolescents.
— Votre fille a été brûlée, non ?
— Je n’ai pas vu, se ravise-t-elle. Elle confirme cependant qu’il lui a tiré les cheveux.
— Vos enfants sont toujours chez vous ?
— Oui.
— Et ils n’ont pas peur ?
— Au contraire, ils l’attendent. »
« Je n’ai pas envie de perdre mes enfants »
L’assesseure intervient : « Madame, pour vous, c’est pas de la violence quand on tire les cheveux ?
— Si.
— Votre mari dit qu’il n’est pas violent, ça veut dire qu’il dit que vous mentez. La prochaine fois qu’il va être en colère, il va recommencer ?
— Non.
— Et pourquoi ? S’il dit que c’est pas vrai, ça va se reproduire, non ? Vous comprenez que la justice, parfois, prenne des décisions pour protéger les gens. »
L’autre assesseure s’adresse au prévenu : « Quelle différence faites-vous entre autorité et violence ?
— Très bonne question. Je suis né dans une famille traditionnelle au Maroc.
— Monsieur il ne s’agit pas d’épiloguer : quelle différence ? Brûler avec une cigarette, tirer les cheveux ?
— C’est de la violence, je le reconnais. La justice n’entendra plus parler de moi, le stage m’a immunisé. Je n’ai pas envie de perdre mes enfants. J’ai investi dans mes enfants, je les aime beaucoup. J’ai 57 ans. Le peu de temps qui me reste à vivre, je veux que ce soit du temps positif auprès de ma famille. »
Le tribunal estime qu’il en a assez entendu. La personnalité n’appelle aucun commentaire : casier néant, informaticien sans emploi depuis le 23 janvier suite à une rupture conventionnelle.
« Je demande pardon à la justice, pardon à ma famille »
C’est au tour de la procureure, qui s’inquiète du contraste entre la manière dont il se décrit, sa perception de la situation, et le comportement rapporté par ses proches. Elle requiert 8 mois de prison avec sursis probatoire, mais pas d’interdiction de contact. Elle demande à la femme d’Hassan de signaler impérativement toute violence qui pourrait se reproduire.
L’avocat en défense se dit « rassuré » par les débats devant « la juridiction de céans », car son client a reconnu les violences, alors même que pour lui, ce n’était « qu’un rapport normal d’autorité ».
Un Hassan contrit s’exprime en dernier lieu : « Je demande pardon à la justice, pardon à ma famille. Je me suis peut-être mal comporté inconsciemment. J’ai voulu que leur bien, c’est un investissement familial. Du jour au lendemain je vis un cauchemar. »
Hassan est condamné aux réquisitions.
Référence : AJU378984