Tribunal de Pontoise : « Mais arrêtez de me couper, putain ! »

Publié le 09/02/2024

Comparutions immédiates de Pontoise : un homme de 52 ans est prévenu de violences sans ITT sur son ex-compagne. Le dialogue entre la présidente et le prévenu est sinueux et quelque peu tendu, et si les faits sont simples, ils semblent se situer dans une relation complexe.

Tribunal de Pontoise : « Mais arrêtez de me couper, putain ! »
Tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Il a le discours tortueux, les pensées lui viennent en vrac et il déballe tout en paquet devant la juge, qui tente d’y mettre bon ordre, de structurer en quelque sorte le discours de Cédric par des questions précises qui appellent des réponses précises et, si possible, courtes. Mais sa voix éraillée débite de nombreuses phrases qui n’ont pas toutes un rapport entre elles. Le prévenu de 52 ans, dans le box pour des violences sans ITT qu’il aurait commises sur son ex-compagne deux jours auparavant, s’explique…

« … Y’a eu un petit souci, parce que madame allait à son travail à la maison de retraite, et en attendant je suis allé m’occuper de ma maison, il faut savoir que Madame a des problèmes psychiatriques, tous les soirs elle parle de Sheitan et de démon. Il faut savoir que je suis d’une famille catholique et elle musulmane, j’ai été rejeté par ma famille parce que je me suis mis avec elle, et…

— L’avez-vous étranglée et giflée ?

— Je lui ai dit : ‘tu devrais être plus agréable’, car elle m’a dit que je parlais ‘comme les pédés en prison’.

— Monsieur, répondez à ma question. Gifle ?

— Non, je ne lui ai pas mis de gifle, je lui ai posé les mains sur la poitrine et l’ai repoussée.

— D’accord.

« Répondez à ma question »

— C’est toujours la même chose, et elle me traite de ‘sale chien de catholique’.

— Mais alors pourquoi vous vivez avec elle ?

— C’est la mère de mon enfant ?

— Et alors ?

— Ma famille la déteste.

— Répondez à ma question.

— Il y a des travaux chez moi.

—D’accord, je comprends mieux. Madame a dit aux policiers que vous avez déjà été violent.

— Oui, je le reconnais, mais je tiens à dire que je ne voulais que le nom, qu’il ait mon nom, je demandais que ça, j’ai deux enfants et aucun ne porte mon nom, elle m’a dit ’t’as qu’à le mettre en deuxième’, mais Madame la juge, ça sert à rien en deuxième.

— Avez-vous pris des médicaments ?

— Oui, pour l’épilepsie, des médicaments que – d’ailleurs – madame ne veut pas que je prenne car elle est dans la sorcellerie, le spiritualisme, si vous regardez le dossier de 2011 vous comprendrez (…) Les deux enfants ne portent pas mon nom alors que j’ai eu leur garde, je fais partie des 10 % de père qui ont eu la garde de leurs enfants, c’est parce que je travaille dans le système judiciaire.

— Je vous rappelle que vous avez été condamné à 2 ans dont un an avec sursis probatoire pour des violences contre votre enfant, donc vu la peine c’était sérieux. A priori, vous ne l’avez pas nourri pendant une semaine.

— Non, c’est pas ça.

— Pourquoi alors ?

— Je lui ai mis des coups de ceinture ».

« Monsieur, vous n’insultez pas »

— Bon et les menaces contre madame ?

— Je l’ai pas menacée, et…

— Monsieur, madame elle dit que…

— Mais arrêtez de me couper putain ! Sinon on me redescend dans les geôles !

— Monsieur, vous n’insultez pas. ‘Sale pute sale traînée je vais te casser le cou’, c’est ce qu’elle prétend que vous lui auriez dit.

— Je lui ai juste dit : « un jour ça va péter. »

— Le casier.

— J’ai pas un gros casier.

— Quatre mentions, dont trois pour des violences.

— C’est depuis que je connais madame que je fais des allers-retours en prison, mais allez-y, méprisez moi.

— Et les faits de violences de 2020 ?

— En 2020 elle est venue devant ma porte.

— Vous les reconnaissez ou pas ?

— Je l’ai repoussée, je lui ai dit dégage de chez moi, elle m’a dit nique ta mère etc. parce qu’elle parle comme ça, faut pas croire. »

Avant de passer au réquisitoire, la présidente précise que la juge d’application des peines est favorable à une révocation de son sursis probatoire. Elle « précise aussi que l’enquête sociale rapide n’a pas pu avoir lieu car vous vous êtes montré agressif avec l’enquêtrice ».

« Je risque de tout perdre si vous m’envoyez en prison ! »

Pour élément de preuve, la procureure évoque l’appel de madame au 17, dans lequel on entend en fond Cédric l’insulter, l’interrompre, s’emporter, ne pas la laisser parler – un peu comme aujourd’hui à l’audience. La procureure n’oublie pas de souligner l’agressivité permanente du prévenu, « et d’ailleurs, en prison il était tout le temps au mitard ». Elle demande 24 mois dont 10 mois de prison avec sursis probatoire, révocation de son sursis à hauteur de 6 mois, une interdiction de paraître au domicile de la victime et une obligation de soins psychologiques.

Cédric n’a pas attendu la fin du réquisitoire pour marmonner, rouspéter, râler. Puis il se met en colère : « J’ai un boulot, moi, derrière, je risque de tout perdre si vous m’envoyez en prison !

— Bon, maintenant vous sortez.

— Non ok je me calme », mais la présidente le fait sortir de force par l’escorte.

Le calme revient, cela permet à son avocat de plaider la relaxe : aucun élément matériel pour établir les violences, pas de certificat médical, c’est le récit de madame sur lequel tout repose, et l’avocat pense qu’il n’est pas très crédible du fait de sa personnalité et de la relation très conflictuelle entre les deux.

Certes, répond le tribunal après avoir délibéré, mais l’appel au 17 est un élément suffisant, c’est pourquoi Cédric est condamné à 18 mois, dont 6 mois avec sursis probatoire, en plus de trois mois d’un précédent sursis désormais révoqué. Il est incarcéré. De dépit, Cédric baisse la tête. Avant de partir il lance un sourire d’encouragement au jeune prévenu qui prend sa place, lui tend la main et la sert chaleureusement.

 

 

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