Tribunal de Pontoise : Marie, 44 ans, a tailladé Julien avec une tasse de porcelaine brisée

Publié le 12/01/2023
Julien et Marie sont en couple, ils sont poursuivis tous les deux pour violences, à la suite d’une dispute sur fond d’alcoolisation.  Lui a été particulièrement amoché, elle dit s’être défendue. Au tribunal, elle déroule le récit d’une enfance tragique.  Sans émouvoir le procureur. 
Tribunal de Pontoise : Marie, 44 ans, a tailladé Julien avec une tasse de porcelaine brisée
Palais de justice de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Quand les gendarmes sont venus une première fois, personne n’a ouvert. Ils ont toqué, crié « gendarmerie », expliqué que le voisin s’était plaint de hurlements en provenance de leur logis, puis ils ont tendu l’oreille et seul le silence leur a répondu. Alors ils sont repartis, peu après minuit – ce 25 novembre.

Le voisin a rappelé : il entendait distinctement les cris caractéristiques d’une querelle d’ivrognes. Les gendarmes lui ont conseillé de rappeler si cela persistait. A 2 h 35, du matin, ils ont reçu un nouvel appel concernant la même adresse. Ce n’est pas le voisin cette fois, mais Julien qui appelle à l’aide.

Quand les gendarmes entrent dans l’appartement, une grande pièce crasseuse dans un quartier résidentiel de Magny-en-Vexin, ils découvrent un champ de bataille. Tout est renversé, le sol est jonché de verre brisé, des giclées de sang maculent le mobilier. Par terre, un poivrot gémissant, couvert de plaies, l’air terrifié s’écrie : « c’est une tarée, c’est une tarée, elle fait 1m54, c’est une Malgache, c’est une maboule. » Les gendarmes emmènent la « maboule » qui continue de traiter Julien de tous les noms.

L’homme et la femme sont transportés à l’hôpital puis placés en garde à vue. Il a 43 ans, elle en a 44, ils sont en couple depuis 3 mois, ils s’aiment beaucoup, mais boivent encore plus, à chaque fois qu’ils se voient ; inévitablement, la beuverie vire à la bagarre.

« Il prenait ma tête pour un punching-ball »

D’après Julien, Marie pète les plombs régulièrement. Cela lui était déjà arrivé le 29 octobre dernier. Dans un éclair de conscience, Marie avait tenté de couper les ponts, « il ne faut plus qu’on se voie, à chaque fois on fait trop de bruit, ça se passe mal ». En vain.

Les voici donc devant le tribunal de Pontoise, poursuivis pour violences. Marie présente des blessures légères et deux jours d’ITT (Incapacité temporaire totale de travail). Le cas de Julien est plus grave : sept jours d’ITT. Trois jours après les faits, Julien a encore le visage sacrément amoché.

« Les photos sont assez édifiantes sur l’état du visage de Monsieur » commente la présidente, visiblement impressionnée. Elle énumère les blessures qui noircissent deux pages du rapport médical. C’est le 5e dossier de violences conjugales de la journée ; pour la première fois, la juge paraît toute retournée.

Marie dit que Julien a commencé, Julien rétorque qu’il n’a fait que se défendre. Elle l’a tailladé avec les morceaux de porcelaine d’une tasse brisée, lui a mis des coups de tournevis.

« — Vous l’avez mordu à la lèvre si fort qu’il a des points de suture ?

— Oui, parce qu’il prenait ma tête pour un punching-ball », se défend Marie, avec une véhémence farouche.

Mais les constatations médicales ne corroborent pas vraiment ses dires. Julien ne se souvient pas de grand-chose. Aujourd’hui, il est apaisé. Il l’aime et voudrait avancer avec elle. Il ne comprend pas que c’est impossible.

Marie le sait, les magistrats aussi ; c’est le casier de Marie qui leur a mis la puce à l’oreille. « Madame a un casier judiciaire conséquent, rempli de violences. » Elles sont toutes dirigées contre ses compagnons successifs, très souvent dans un climat d’alcool et de perdition. Dans les années 2000, l’un d’eux succombe à ses coups. Elle est condamnée à 12 ans de réclusion criminelle pour violences volontaires avec arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner.

« — Vous avez une explication ? demande la présidente

— Oui. »

Marie paraît hésitante. Elle ne sait pas si on va l’écouter, elle n’a jamais raconté, même pas devant la cour d’assises qui l’a condamnée, confie-t-elle. La présidente l’incite à s’épancher : c’est le moment. Alors, Marie raconte. Elle a été adoptée à l’âge de huit ans, car sa famille à Madagascar était trop pauvre pour l’élever. Ses parents adoptifs décident de couper les ponts avec sa famille biologique, et même tout lien avec sa culture, jusqu’à lui faire oublier sa langue maternelle.

Silence.

Marie pleure.

« Je ne sais pas comment aimer, ça me fait peur »

Puis elle reprend son récit. « Mon petit frère a commencé à boire à l’âge de 10 ans, moi, j’avais 16 ans. » C’est l’âge où elle tombe enceinte ; son père adoptif la met à la porte. « Vous étiez suivie par un juge des enfants ? – Non. » Elle ajoute : « Je ne sais pas comment aimer, ça me fait peur. » Elle dit également : « Derrière les faits, on n’a jamais cherché à savoir les causes. » Sa vie est une errance ponctuée de grossesses : trois enfants, aucun à sa charge, jamais ; des relations irrégulières avec sa fille aînée. Elle a passé huit ans dans la rue. Depuis près de trente ans, chaque jour : l’alcool.

Ce qui s’est passé avant 16 ans, Marie ne parvient pas à vraiment le dire. « Des maltraitances, pas que physiques ». Et puis on apprend l’horreur, et tout s’éclaire : son père adoptif a reconnu son premier enfant, celui qu’elle a eu à 16 ans.

Marie pleure de nouveau.

Dehors, la nuit est tombée, dedans, la lumière est crue.

La présidente passe à la personnalité de Julien, embarrassée de revenir à la procédure après un récit aussi lourd. Son casier est vierge, il occupe un emploi en CDI à la mairie, a un fils de 15 ans qu’il voit régulièrement.

« — Vous dites : elle est folle mais je l’aime. Vous connaissiez la vie de madame ?

— Non, je l’apprends

— Cela ne vous gêne pas ?

— Non pas du tout. »

Le récit de Marie a laissé le procureur de marbre, visiblement le coup de l’enfance malheureuse ne marche pas avec lui et il le dit : « ça me paraît évident que vous avez un chemin particulièrement difficile, mais autant vous dire que ça ne m’importe pas, ça n’excuse pas, c’est complètement indifférent, parce que si on passait notre temps à comprendre les parcours de vie, on ne ferait plus de justice. » Pour le magistrat du parquet, les faits sont clairs : elle est coupable de violences sur son compagnon et ce que celui-ci considère comme de l’amour n’est qu’une « dépendance affective. » Il secoue la tête en regardant le box : « vraiment, je suis atterré, mais je vais m’en tenir aux faits. » Il requiert six mois de prison avec sursis probatoire contre Julien, « si vous ne jugez pas qu’il est en état de légitime défense ». Contre Marie : trois ans avec mandat de dépôt.

« Il y a des phrases qui claquent dans un prétoire ! Le chemin de vie des gens, c’est ce qui les amène ici. À quel moment celle-là a-t-elle eu la moindre chance ? Je vous demande l’impossible, un sursis. Mais si je ne le faisais pas, je ne ferais pas mon métier. » plaide l’avocate de Marie.

Tard dans la soirée, le tribunal a condamné Julien à six mois avec sursis. Quant à Marie, elle part directement en prison. Pour deux ans.

Plan