Tribunal de Pontoise : « Monsieur, ne vous mettez pas à poil ! »

Publié le 31/10/2024 à 11h33

Un prévenu volubile raconte ce qui l’a conduit dans le box du Tribunal de Pontoise, ce 20 septembre. Le récit d’Assoumana paraît extravagant, mais le dossier n’est pas très clair non plus, ce qui n’empêche pas le tribunal de trancher avec beaucoup d’assurance.

Tribunal judiciaire de Pontoise, salle des comparutions immédiates (Photo : ©J. Mucchielli)

Assoumana a 37 ans et derrière la vitre de son box, fulminant, semble prêt à en découdre. Il cale sa main droite sous son aisselle gauche (comme pour se réchauffer les doigts, mais c’est une position d’attente) et de son index gauche se balaye le menton d’un air songeur, ou plutôt, à en croire ses yeux ronds comme des billes, sceptique. La présidente est en train de lire son dossier, et ce n’est pas très facile à comprendre.Alors finalement, elle demande au prévenu : « qu’est-ce qui s’est passé exactement ? » Et Assoumana prend sa respiration.« Les victimes, ils ont leur vérité mais ils racontent beaucoup d’histoire. Je vis avec ma femme et mes enfants, ma femme est enceinte et fait des crises d’hormone, alors j’ai quitté mon domicile parce qu’elle ne me supporte pas. J’ai été hébergé par un ami mais, surprise, un matin on est expulsés parce qu’il ne payait pas son loyer. Comme il se sentait coupable vis-à-vis de moi, il m’a trouvé un pavillon où dormir. J’y suis allé mais c’était sale. C’était sale et ça puait, alors j’y ai juste déposé mes affaires. Puis j’ai croisé un ami à qui j’ai résumé ma situation. Il m’a dit qu’il savait où louer un studio, alors j’y suis allé.

  • C’est là où vous pénétrez dans le pavillon où une femme vous a aperçu ?
  • C’est ça, et je repars et un peu plus tard le soir je croise trois personnes et je ne comprends rien quand ils me tombent dessus. Je suis choqué et je leur dis ‘je vais vous tuer !’ Et ils ont pensé que j’avais un couteau mais c’est faux ; et ils n’ont pas pu voir car ils sont partis en courant. Ensuite je suis revenu au pavillon où j’avais déposé mes affaires avec ce que j’avais acheté à manger, et c’est là que vos collègues m’interpellent. »

« Je ne suis pas quelqu’un de méchant »

Il est prévenu de violation de domicile, ce qu’il admet. S’il reconnait les menaces de mort, il nie avoir fait usage d’un couteau. Il reste une infraction que la présidente rappelle : « Une femme, Madame B., vous a vu tenter de voler une trottinette dans son pavillon. Si ce n’est pas vous, comment ça se fait qu’elle vous reconnait ?

  • Je ne sais pas madame, mais sur les violences je vous assure je n’ai rien compris.
  • Mais quel serait son intérêt à cette dame ?
  • Je sais pas madame, peut-être qu’elle confond avec quelqu’un d’autre ? Si elle m’a vu, pourquoi elle m’a pas retenu ? »

Cette « dame » a en fait prévenu son frère après avoir aperçu la tentative de vol et c’est lui et deux amis qui sont tombés sur Assoumana le soir-même, pour une raison qui restera mystérieuse, puisque la trottinette n’a pas été volée et que ces personnes n’ont pas été inquiétées par la justice – malgré une agression qui semble établie. Mais la présidente ne pousse pas plus loin l’instruction. Elle semble redouter la volubilité du prévenu, et s’empresse de passer à son casier judiciaire qui semble plus éloquent que la procédure. « Vous êtes connu sous divers alias et pour un certain nombre de faits. Vous avez 17 mentions ! » Ça semble autant l’impressionner que la réjouir – la présidente est nouvelle à ce poste. Elle lit toutes les condamnations. « Qu’est-ce que vous pensez de votre parcours ?

  • J’ai fait un certain nombre de faits dans ma jeunesse, sinon je ne suis pas quelqu’un de méchant. C’est tout »

« Soit ils mentent, soit il ment »

La procureure tente de s’y retrouver. La violation de domicile est reconnue. Les menaces de mort également. Le couteau ? « Les policiers trouvent un couteau dans sa poche quand ils l’interpellent. Soit ils mentent, soit il ment, ce qui est plus probable », expédie-t-elle.Elle pense enfin que la description donnée par Madame B. correspond rigoureusement à Assoumana, qui n’a rien de crédible à opposer. La culpabilité lui semblant établie, elle demande 6 mois de prison ferme avec mandat de dépôt.

« Flûte à la fin ! »

L’avocate s’oppose et demande la relaxe intégrale. Elle estime qu’il n’a pas violé le domicile d’une maison a priori abandonnée et dont il n’est même pas vraiment expliqué comment il s’y serait pris. La tentative de vol ? Madame B. ne donne de description qu’après l’altercation du soir. « En fait, ils décrivent l’individu qu’ils ont agressé, celui qu’ils ont pris pour celui qui a commis la tentative de vol. » L’avocate s’énerve un peu à la lecture des demandes d’indemnisation. « Flûte à la fin ! On a ce monsieur qui réclame 3 000 euros alors qu’il vient de casser la figure de quelqu’un (le prévenu, ndlr). Je regrette que les policiers n’aient pas placé ce monsieur en garde à vue. »Pour appuyer la plaidoirie de son avocate, Assoumana enlève son t-shirt d’un coup et montre du doigt les blessures occasionnées par cette agression (invisibles depuis les bancs du public). Son avocate est stupéfaite et hurle : « Non mais monsieur, ne vous mettez pas à poil ! Désolée Madame la présidente. » La juge marmonne quelque chose et glousse, l’avocate reprend : « Heureusement vous n’êtes pas trop mal. Voilà, j’ai perdu le fil. C’est toujours comme ça quand un homme se déshabille devant moi. » Elle demandait la relaxe.
Ce sera 8 mois ferme avec mandat de dépôt.

 

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