Tribunal de Pontoise : « Monsieur, vous avez intérêt à respecter cette obligation »

Publié le 09/06/2022

Au tribunal correctionnel de Pontoise, Yves, condamné pour agression sexuelle en 2007, comparaît pour avoir omis de déclarer son adresse au commissariat de son domicile, comme sa condamnation l’y oblige. Il est en récidive.

Tribunal de Pontoise : « Monsieur, vous avez intérêt à respecter cette obligation »
Tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Yves regarde partout autour de lui, l’air de ne pas comprendre où il se trouve. Cerné d’uniformes, il observe à travers la  vitre du boxe trois femmes en robe noire assises derrière un grand bureau ; au-dessus de leur tête, une formule sur la justice est inscrite en lettres géantes sur un grand mur blanc. Cela ne fait plus aucun doute : trois ans plus tard, Yves est de retour au tribunal de Pontoise.

Les raisons n’ont pas changé : il ne respecte pas l’une des obligations liées à son inscription au fichier des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS), où il figure depuis 2007 et une condamnation à 4 ans de prison, dont un an avec sursis, pour agression sexuelle. Yves doit simplement signaler son adresse chaque année au commissariat de son lieu de résidence, et se manifester à chaque déménagement. Mais il ne le fait pas.

La présidente a bel et bien l’impression qu’Yves se moque du monde. « Vous le savez que vous devez vous signaler au commissariat ou à la gendarmerie, vous avez déjà été condamné pour ne pas l’avoir fait, et vous continuez. » Yves rétorque qu’il n’avait pas compris pourquoi il avait été condamné en 2019 (à 6 mois de prison avec sursis), puisqu’il avait expliqué au tribunal qu’il n’avait pas fait exprès.

La présidente s’inquiète : « Mais vous avez été condamné, vous le savez, et vous n’avez pas fait appel, n’est-ce pas ? Bon, donc cette condamnation est définitive. Ce que je voulais dire, c’est qu’après avoir été condamné, après qu’on vous a expliqué, comment se fait-il que vous ne respectiez toujours pas cette obligation simple ? »

Le petit homme râblé de 48 ans assure pourtant qu’il se rend chaque année au commissariat.

« — Ecoutez-moi s’il vous plaît, moi je pensais qu’il fallait aller au commissariat tous les 6 décembre pour pointer. Je me rendais au commissariat, et ils me disaient ‘Mais monsieur, ton nom n’est pas sur la liste’, alors je repartais.

—Mais si vous ne leur dites pas pourquoi vous venez, ils ne peuvent pas le savoir ! »

« Est-ce que vous savez pourquoi les personnes condamnées pour agression sexuelle doivent déclarer un changement d’adresse ? »

Yves pensait qu’il fallait simplement « pointer », or il n’était sur aucune liste des personnes sous contrôle judiciaire ayant l’obligation de pointer. Il n’a donc jamais respecté son obligation depuis sa condamnation en 2019. Il avait un autre problème : il ne savait pas quelle adresse déclarer.

« — La personne chez qui j’habitais ne voulait pas me donner son adresse.

— Donc vous n’aviez pas d’adresse ?

— J’étais hébergé chez M. R, puis chez M. T.

— Le premier a dit que vous passiez de temps en temps, le second qu’il vous servait de boite aux lettres. Mais le problème n’est pas eux, le problème c’est que vous deviez déclarer une adresse. Si personne ne voulait vous faire une attestation, il fallait le déclarer. Et maintenant ? »

Depuis plusieurs mois, Yves vit chez sa nouvelle compagne. Elle consent volontiers à lui faire une attestation, mais Yves n’a pas agi  – il aurait pu retourner au commissariat pour régulariser sa situation. La présidente est ulcérée par sa passivité. « Vous savez à quoi ça sert le FIJAIS ? Est-ce que vous savez pourquoi les personnes condamnées pour agression sexuelle doivent déclarer un changement d’adresse ? Non ? Eh bien c’est regrettable. Moi, je pense que ça ne vous intéresse pas, c’est ça qui est inquiétant. Les personnes condamnées pour agression sexuelle doivent déclarer leur adresse pour que l’on puisse vérifier ce qu’elles font quand elles changent de ville. »

Le procureur le sermonne à son tour.

« — Ce qui est curieux, c’est que vous reprenez les mêmes arguments qu’en 2019, on pourrait faire un copier-coller ! » Yves proteste, le procureur insiste. « On peut la reprendre si votre mémoire flanche, y’a les écrits. Moi j’ai l’impression que cette obligation, vous ne voulez pas la respecter.

— Non, non, c’est pas vrai, maintenant c’est compris. Je dois ramener le papier du FIJAIS avec mon adresse.

— Et si on refuse de vous enregistrer, vous devez faire une main courante ! » C’est déjà ce que le tribunal lui avait dit de faire en 2019.

Peintre en bâtiment, Yves à 7 enfants issus de trois unions précédentes, et vit désormais chez une nouvelle compagne, qui élève 5 enfants issus de précédentes unions. Mais il n’a à charge ni ses enfants, ni de ceux de sa compagne. Voilà pour la personnalité.

« Il a un peu fait l’autruche »

 « Dans ce département du Val d’Oise, débute le procureur, nous avons à déplorer chaque semaine des agressions sexuelles dont les auteurs ne sont pas identifiés. On ne peut pas accepter ce type de comportements. » Sa culpabilité ne faisant aucun doute, dit-il, « reste la peine, qui doit être cohérente. » Il requiert 3 mois ferme et demande la révocation du sursis précédent à hauteur de trois mois, soit un total de 6 mois de prison ferme, sans mandat de dépôt. « Si vous ne respectez pas cette obligation, je vous garantie que les 6 mois seront immédiatement exécutés ! » Voilà pour le réquisitoire.

Son avocat, qui défend tous les prévenus du jour, admet : « il a un peu fait l’autruche. » Yves a été SDF, dit-il, et n’a jamais eu la volonté de se soustraire à son obligation. « Si l’infraction est certes constituée, la téléologie du FIJAIS est respectée ! Nous, on aimerait une peine inférieure à 6 mois », conclut-il. Voilà pour la plaidoirie.

En le condamnant au quantum des réquisitions, la présidente le prévient : « Monsieur, vous avez intérêt à respecter cette obligation, car la prochaine fois ça ne passera pas. »

 

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