Tribunal de Pontoise : « Pour traverser la frontière, on ment sur notre date de naissance »
À l’audience du 17 septembre, comparait un jeune prévenu dont l’âge fait débat. L’accusation prétend qu’il est majeur, la défense affirme qu’il est mineur, document à l’appui. L’avocate demande que le tribunal correctionnel se déclare incompétent afin qu’il soit jugé par un tribunal pour enfants.

Un jeune homme, que la carrure de ses gardiens rend encore plus frêle qu’il ne l’est déjà, entre dans le box. Son avocate fait deux pas en avant : « J’ai des documents qui indiqueraient la minorité de Monsieur, si vous instruisiez ce dossier, je soulèverais l’incompétence de votre juridiction », prévient-elle. La chambre des comparutions immédiates ne juge que des personnes majeures. Les mineurs doivent être renvoyés devant le tribunal pour enfants.
Ibrahim est ce qu’on appelle un « mineur isolé » ; il vit dans un hôtel insalubre et sans ressource. Prévenu de deux vols avec violences contre deux jeunes femmes (présentes dans la salle) dans les transports en commun, il serait né en juin 2004 d’après le parquet, en septembre 2007 d’après lui. Ce que confirme un jugement d’assistance éducative brandi par son avocate.
La présidente dit au prévenu qu’il s’agit d’une question de procédure et qu’il peut se rasseoir : « on va laisser votre avocate la développer. »
Placé dans un hôtel par l’ASE
« Déterminer l’âge d’une personne isolée : la tâche est complexe, mais elle est essentielle » commence l’avocate. Elle explique que l’expertise osseuse ne peut être demandée par le tribunal que lorsque qu’il n’a aucun document, ce qui n’est pas le cas ici puisqu’elle a un jugement de 2023 ordonnant une mesure d’assistance éducative, sur réquisition du parquet. Son client est désormais placé au sein de l’aide sociale à l’enfance, dans une chambre d’hôtel où les documents attestant de sa minorité ont été retrouvés, ainsi qu’un extrait d’acte de naissance.
Mais alors, d’où vient la date de naissance retenue par le parquet ? Du fichier SIS (système d’information Schengen). En entrant dans l’espace Schengen, il faut déclarer une identité. « Pour avoir un droit d’accès au territoire, il doit dire qu’il est majeur ; il a donc menti à ce moment-là », explique l’avocate.
Expertise osseuse
Un officier de police judiciaire a cru bon de préciser que, selon lui, Ibrahim paraissait majeur ; un avis qui ne vaut pas plus que celui du journaliste dans la salle d’audience, pour qui le prévenu est probablement mineur, à moins qu’il ne soit majeur.
La procureure, elle, n’a aucun doute : elle ne comprend pas pourquoi Ibrahim aurait menti en entrant dans Schengen, en revanche, elle voit très bien pourquoi il aurait intérêt à mentir aujourd’hui. « Si le tribunal s’estimait insuffisamment renseigné, il a la possibilité de procéder à une demande d’examen osseux. Je réclame dans ce cas qu’il soit placé en détention provisoire.
La présidente questionne Ibrahim : « Pourquoi avez-vous déclaré être né 1ᵉʳ juin 2004 quand vous êtes entré en Italie ?
— Pour traverser la frontière, en tant que mineur la France refuse, c’est pour ça que l’on ment sur notre date de naissance. »
Renvoi, détention provisoire
La décision n° 2018-768 QPC du 21 mars 2019 estime qu’un examen osseux ne peut être ordonné que si la personne en cause n’a pas de documents, et si l’âge qu’il prétend avoir n’est pas vraisemblable, réplique la défense. L’avocate cite une autre jurisprudence : celle de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 5 janvier 2002. « Votre tribunal n’est pas compétent pour évaluer authenticité du document », souligne-t-elle. Elle demande que le tribunal se déclare incompétent, et si la décision devait être différée, qu’il ne soit pas incarcéré, puisqu’il est pris en charge par l’ASE.
Finalement, le tribunal ordonne un renvoi pour qu’il soit procédé à un examen osseux, et place Ibrahim en détention provisoire en attendant la prochaine audience, le 22 octobre.
Référence : AJU475284
