Tribunal de Pontoise : « pourquoi vous la frappez ? »
Un père de famille comparaît le 5 septembre devant le tribunal de Pontoise pour des violences commises sur son épouse et ses filles, entre 2020 et le 9 mars 2023, à leur domicile de Montigny-lès-Cormeilles.
La voisine raconte qu’il est arrivé seul du Sri Lanka, en 2012, et qu’au début personne ne l’avait remarqué, il ne faisait que travailler dans son restaurant et rentrait dormir sans un bruit. En 2020, sa femme et ses deux filles l’ont rejoint. La voisine a commencé à entendre du remue-ménage de l’autre côté de la cloison, des braillements, des « Arrête ! Arrête ! », des cris de terreur. Puis elle a recueilli une fois, deux fois les filles et la femme de Monsieur, parce qu’il devenait incontrôlable. Elle dit qu’il est tout le temps ivre. Ce jour-là, elle les a trouvées toutes les trois sur le palier, car il les avait chassées avec un couteau, alors elle les a recueillies et, cette fois-ci, elle a décidé d’appeler la police.
Lorsque celle-ci est arrivée, ce 9 mars 2024, Yoga, 49 ans, avait décampé. Les filles leur racontent que leur père, alcoolisé, les a frappées à leur retour de l’école. Ça dure depuis plus de deux ans. D’abord réticente à s’épancher, la mère admet enfin qu’elle aussi est victime de violences. Elle a déjà fait un signalement au commissariat un mois auparavant. Les policiers décident de revenir plus tard. A 21 h 30. Ils ramassent Yoga, qu’ils trouvent, notent-ils dans le procès-verbal « ivre mort dans un lit, amorphe ».
La mère et ses deux filles présentent « des signes post-traumatiques clairs »
À l’audience, la mère et les deux jeunes filles de 13 et 16 ans sont assises au premier rang, accompagnées de l’administratrice ad hoc désignée pour les deux mineures. Leur petit frère de dix ans était dans sa chambre et n’a rien vu, mais il a tout entendu et confirme. Lui n’a jamais été frappé. Tandis que les filles et la femme de Yoga, d’après le psychologue, présentent des éléments post-traumatiques clairs, qui leur valent de 12 à 14 jours d’ITT psychologique.
La sœur aînée est la plus véhémente contre son père. La plus jeune indique que sa sœur en rajoute mais confirme qu’il les a déjà frappées avec un bâton, un câble électrique, un manche à balai. Elle n’a pas souhaité porter plainte par crainte d’être séparée de son père, tout ce qu’elle veut c’est qu’il arrête de boire. Yoga comparaît libre mais n’a pas eu le droit d’être en contact avec sa famille depuis six mois.
« Pourquoi le garçon est-il épargné ? »
La présidente mène un interrogatoire serré et efficace :
« Vous buvez quoi et en quelle quantité ?
— De la bière, puis du whisky. Une ou deux fois par semaine.
— Dans quelle quantité ?
— Normalement deux verres, mais le jour des faits j’ai bu un peu plus.
— Vos enfants disent que c’est une consommation problématique d’alcool. Vos voisins aussi disent qu’il y a des disputes très violentes chez vous, des cris. Ça arrive régulièrement ?
— De temps en temps, mais c’est dans l’intérêt de l’éducation de mes enfants.
— C’est-à-dire ?
— Je leur demande de travailler plus.
— Ou alors vous les frappez car ils ne se comportent pas de la manière que vous souhaitez ? Est-ce qu’il vous est arrivé, alcoolisé, de frapper vos enfants et de frapper votre femme ?
— Je n’avais pas l’intention, mais ça m’est arrivé.
— Quand on sort un couteau devant ses enfants, quelle est l’intention ? Est-ce que vous avez déjà frappé votre femme avec un câble électrique ? Avec un bâton ?
— Oui, mais je n’ai pas fait exprès, j’étais alcoolisé.
— Monsieur, l’état alcoolisé vous est imputable.
— Oui, j’ai compris que c’est ma faute, je veux changer, je présente mes excuses.
— Pourquoi vos filles, et pourquoi surtout l’aînée ?
— Je considère mes trois enfants à égalité.
— Ça ne se traduit pas dans votre comportement.
— Ce n’est pas exprès.
— Vous avez réfléchi au fait que l’aînée est particulièrement victime ? Et pourquoi le garçon est épargné ?
— L’aînée est plus bavarde avec moi.
— Ça vous agace ?
— Oui, je voudrais qu’elle se calme.
— Et votre femme, elle est bavarde avec vous ?
— Non.
— Alors, pourquoi vous la frappez ?
— L’alcool, c’est mon problème principal.
— Vous en êtes où de votre consommation ?
— J’ai arrêté complètement depuis l’intervention de la police. »
Contrôle coercitif
C’est confirmé par une expertise. Yoga est suivi par un addictologue. Son casier est vierge. Les trois parties civiles souhaitent rester avec lui, à la condition qu’il arrête de boire. Leur avocat a bien compris que le prévenu entend exercer un contrôle (coercitif) sur les femmes et filles de sa maison : « Est-ce que ce n’est pas ça qui vous dérange, que votre fille aînée soit plus intégrée que vous, qu’elle aille découvrir des choses, bouger, sortir, comme font tous les ados de France ?
— Oui, très souvent elle rentre en tard à la maison, mais maintenant j’ai compris qu’elle a le droit de sortir. »
Comme toujours dans ce type de dossier, la principale crainte du parquet est que ça recommence. La procureure souligne que « les faits sont particulièrement graves » et qu’il est capital de régler le problème d’alcool du prévenu. Elle requiert donc huit mois de prison avec un sursis probatoire pendant deux ans, assorti d’une obligation de soins.
Yoga se défend lui-même : « Je regrette mes fautes et je vous assure que je ne vais jamais répéter ces actes. Si cela se reproduit, j’accepterai d’aller en prison. » Le tribunal aggrave légèrement la peine demandée par le parquet, et le condamne à 10 mois de sursis probatoire, peine assortie de l’exécution provisoire. Il va pouvoir retrouver sa famille.
Référence : AJU398082