Tribunal de Pontoise : « Putain, donne ta main ! »

Publié le 28/11/2022

Mardi 22 novembre, le tribunal de Pontoise a jugé Kadi, 31 ans, en comparution immédiate, pour des faits classiques de rébellion, et pour des faits plus rares de tentative de vol. Il s’agissait de l’arme de service de l’un des fonctionnaires.

Tribunal de Pontoise : « Putain, donne ta main ! »
Tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Trois policiers étaient dans la salle, mais sont repartis ; leur avocat explique : « excusez-les, ils ont dû partir pour une intervention urgente, mais ils auraient aimé participer à cette audience ». En face, malgré la lenteur et la longueur de l’audience, Kadi est bien là, prisonnier d’un écrin de verre incassable de forme cubique et pourvu de fentes mal positionnées dénommé : box des prévenus.

Kadi n’aura pas à affronter le discours des trois policiers qui l’accusent de rébellion et de tentative de vol d’une arme de service, commis le 18 novembre à Pontoise, après que des policiers l’ont contrôlé pour un feu rouge grillé. Ses papiers sont à peu près en règle, mais après consultation de leurs fichiers, les fonctionnaires découvrent que l’homme est recherché pour une peine qu’il doit exécuter. Ils reviennent à la hauteur de Kadi et, d’un commun accord, allument leur « caméra piéton », fixée au niveau du torse, permettant l’enregistrement vidéo de leur intervention.

Il est 16 h 48, le soleil couchant perce en lueurs orangées une épaisse couche de nuages aux reflets bleutés, et trois fonctionnaires en tenue demandent au conducteur de descendre de son véhicule. Les policiers écriront « soutane » dans leur PV, mais c’est bien d’un kamis (vêtement masculin couvrant le corps jusqu’aux chevilles) que Kadi est revêtu, car il sort de la mosquée. Après un temps d’hésitation, il consent à quitter son véhicule, et se campe à côté, debout, bras croisés. Il est alors accompagné vers la voiture de police. Le policier lui passe les menottes à un bras, mais quand il tente d’attraper son second poignet, Kadi résiste. Le policier hurle : « Putain, donne ta main ! – j’ai rien fait, rien ! » répond Kadi en se débattant. Le policier tente alors de l’amener au sol, les deux hommes chutent, Kadi continue de résister.

Les faits de rébellion ne font pas débat, car ils sont reconnus. En revanche, le prévenu nie avoir voulu s’emparer de l’arme du policier. Si en garde à vue il a admis avoir pu toucher le pistolet dans sa tentative de trouver une prise pendant la lutte, il est désormais catégorique : il ne l’a pas touché.

La vidéo des faits diffusée à l’audience

Son avocate intervient pour expliquer la scène : le policier était au sol sur le dos, et son client sur le policier, sur le dos également, en train de se faire étrangler par le fonctionnaire (dit-elle). Le policier est gaucher, son arme est donc à gauche. Or Kadi, également gaucher, avait dans cette main son téléphone qu’un policier tentait de lui retirer. Il aurait donc dû se contorsionner pour saisir l’arme de la main droite, fait improbable selon son avocate. « Je l’ai vu tout à l’heure, et mon client portait son arme à droite ! » intervient l’avocat des fonctionnaires.

Pour lever le doute, la présidente décide de diffuser la vidéo de la caméra-piéton. Le policier qui se débat avec Kadi porte bien son arme à gauche, mais Kadi est couché sur le ventre, faisant face au fonctionnaire. Si les deux avocats ont tort, la question reste entière : a-t-il ou non tenté de s’emparer de l’arme ? Les images n’apportent aucune réponse en raison du cadrage. De fait, l’accusation de tentative de vol ne repose que sur le témoignage d’une policière qui a vu la main se porter à la hauteur de l’arme.

Kadi est épuisé, cela se voit sur son visage. La présidente l’autorise à s’asseoir, ce qu’il fait, avant de se relever immédiatement pour déclarer : « J’ai refusé les menottes mais je n’ai pas commis de violences et je n’ai pas voulu prendre l’arme. Il a voulu me mettre un coup de pattes, il a glissé et m’a entraîné dans sa chute, après il m’a attrapé, bloqué et étranglé très fort, j’ai crié que j’étais malade ! ». Kadi est diabétique et n’a pas pu faire sa piqûre depuis trop longtemps.

Congolais de 31 ans, il est en France depuis 10 ans, où il travaille sans discontinuer. Récemment, son titre de séjour n’a pas été renouvelé, pour des raisons que Kadi ne comprend pas, alors de salarié il est passé travailleur au noir, mais il n’a pas changé d’emploi ni d’employeur. Il est frappé par une OQTF en date du 20 novembre, qui n’est pas exécutoire, précise la présidente.

« Cela aurait pu être dramatique ! »

Son casier comporte quatre condamnations, dont deux infractions routières et une escroquerie. Cette dernière lui a valu de purger 6 mois en prison, mais Kadi n’avait pas compris que le parquet avait interjeté appel et que la cour lui avait infligé une peine bien plus sévère. Il ne savait donc pas, jure-t-il, qu’il était recherché pour retourner en détention afin d’y finir sa peine – c’est son avocate qui résume.

Mais surtout, il y a une condamnation pour des faits de rébellion, en 2012. Il n’en faut pas plus pour que le procureur pointe la dangerosité d’un homme qui n’apprend pas de ses erreurs passées. Alors il requiert 4 mois avec mandat de dépôt, en insistant sur l’infraction de tentative de vol, pour laquelle il n’y a « aucun débat », selon lui. « Cela aurait pu être dramatique ! »

L’avocate en défense pose une question jusqu’alors ignorée : « pourquoi ce serait-il emparé de l’arme ? Qui le dit ? Juste une policière. La vidéo ne permet pas de confirmer les propos. » Elle tente d’ouvrir la voie de la relaxe : « Nous faisons face à une rébellion sans violence, car il a simplement croisé les bras, j’invite donc le tribunal à s’interroger. » Après s’être interrogé, le tribunal a certes relaxé Kadi pour les faits de tentative de vol, mais il l’a condamné à 4 mois de prison avec mandat de dépôt pour la rébellion.

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