Tribunal de Pontoise : « Putain ! Il lui a roulé dessus, putain ! »

Publié le 28/01/2022

Au tribunal correctionnel de Pontoise, une famille nombreuse est venue assister au procès du responsable de la mort de Karim, 19 ans, renversé par un automobiliste en 2020.

Tribunal de Pontoise : « Putain ! Il lui a roulé dessus, putain ! »
Tribunal judiciaire de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

L’audience correctionnelle, au tribunal de Pontoise, n’a pas encore débuté. Dans le public, les gens bavardent, les manteaux, pulls et écharpes se font et se défont dans un froufroutement continu.  Le président du tribunal observe d’un œil réprobateur la foule qui s’est massée sur le côté droit de la salle. Cette affluence, inédite pour une petite audience correctionnelle, semble l’irriter. Il prend la parole : « Vous êtes trop nombreux dans la salle, je demande à ceux dont l’affaire passera plus tard de bien vouloir sortir. » Le taux d’incidence est à 2 000 en île de France, le virus galope, pas question de contrevenir aux règles sanitaires.

« Je l’ai vu à la dernière seconde, juste avant le choc »

La salle partiellement vidée, ce mardi 4 janvier, le président ouvre l’audience et ôte son masque, comme il permet à toute personne prenant la parole de le faire, dès lors que « la distanciation est respectée », dans cette grande salle, néanmoins sans aération. Le prévenu, masque sur le menton, avance à la barre. Il se campe sur ses jambes  dans la position de celui qui s’apprête à encaisser. « C’est une affaire dramatique ! » amorce le président.

Le 26 septembre 2020, Christophe circule en voiture sur l’autoroute A15 en direction de la province. Il est tard, cette portion de l’A15 n’est pas éclairée et Christophe, qui revient d’une soirée chez des amis, a bu. Il roule à 110 km/h, assure-t-il sans que cela soit vérifiable, et sur la file de droite — ce qui est avéré.

« — Soudain, dit le président, « vous percutez par l’arrière un individu sur un scooter. Vous n’aviez pas remarqué le scooter ?

— Pas du tout, je l’ai vu à la dernière seconde, juste avant le choc.

— Vous pensez que l’alcool a pu jouer ?

— Même sans l’alcool, je pense que je n’aurais pas pu l’éviter. »

Christophe a déjà été condamné par le passé pour « conduite sous l’empire d’un état alcoolique ».

« — Cela ne vous a pas servi de leçon ?

— Si, mais encore une fois je ne pensais pas être au-dessus du taux. » Christophe avait 0,92 mg d’alcool par litre de sang.

La voiture a fait un tête-à-queue avant de s’immobiliser sur la bande d’arrêt d’urgence

Les photos attestent de la violence du choc : l’avant de la voiture de Christophe, qui a fait un tête-à-queue avant de s’immobiliser sur la bande d’arrêt d’urgence, est défoncé. Il sort en trombe et se porte au secours du jeune homme, allongé sur la voie de droite, qui gémit et se plaint de douleurs. Karim est blessé, mais bien vivant. Christophe s’empresse d’appeler les secours. Son interlocuteur entend un choc, puis entend Christophe qui hurle : « Putain ! Il lui a roulé dessus, putain ! » 30 secondes de panique totale et un constat atroce : Karim a été percuté par un autre véhicule. Il est mort sur le coup.

Le conducteur du véhicule n’a jamais été retrouvé, et ce mardi 4 janvier 2022, Christophe est seul face aux juges. Désemparé. Il est responsable de la mort de Karim, sans l’avoir tué. La faute, constituée par son taux d’alcoolémie illégal, est caractérisée.

«— Pourquoi ne pas l’avoir déplacé, sorti de la voie de circulation ? interroge le président.

— Je sais, c’est ce que j’aurais dû faire, mais sur le moment je n’y ai pas pensé. »

 « Ma femme s’est écroulée, je me suis écroulé »

Le public encore nombreux sur les bancs de droite s’agite.  C’est la famille de Karim. Serviable, investi dans des associations d’aide aux enfants malades, aux personnes sans domicile, travailleur, le jeune homme était adoré de son entourage. Son père est un homme brisé. Il se lève, et parle au nom de tous :

« Quand on est venu m’annoncer le décès de mon fils, ma femme s’est écroulée, je me suis écroulé. Nous étions tous là, réunis pour le mariage de mon neveu. Aujourd’hui, mon autre fils refuse de dormir dans la chambre qu’il partageait avec Karim, tout le monde est encore secoué. J’essaie de tenir bon, pour eux. C’est très dur. »

Son avocat prend la relève. « C’est un accident qui arrache les larmes, c’est presque choquant d’évoquer les faits. La douleur est tellement gigantesque, qu’elle écrase le reste. » Après l’hommage, il plaide le dossier. Pour lui, l’hypothèse avancée par la défense selon laquelle Karim aurait freiné ne tient pas.  : « Il n’avait aucune raison de freiner, et d’ailleurs il n’y a pas de trace de freinage ». C’est Christophe qui ne l’a tout simplement pas vu à cause de l’alcool et de la vitesse. Au passage, il tacle la compagnie d’assurance AXA, qui regimbe à indemniser la famille de la victime.

Le procureur fait un peu de droit. « Une causalité, même indirecte, suffit à engager la responsabilité du conducteur dès lors qu’il existe une faute caractérisée », en l’espèce par le taux d’alcoolémie de Christophe. Il requiert une peine de 8 mois de prison avec sursis.

« On se sent tout petit, tous, et mois le premier », entame l’avocat de la défense. « Il est responsable de sa mort, mais il ne l’a pas tué. Sa première réaction a été de le sauver. » Il se tourne vers le père de la victime : « Parfois, il n’y a pas grand-chose de la tristesse à la haine. Je n’ai pas vu de haine dans cette famille. » Le père éploré opine du chef en murmurant « c’est vrai, pas de haine dans ma famille ».

Le président annonce que la décision est mise en délibéré, et sera rendue le 8 février 2022. D’un seul coup, la salle se vide, la correctionnelle Val-d’Oisienne retrouve sa routine. Le prochain prévenu comparaît depuis une maison d’arrêt du Sud-est, en visioconférence et sans avocat.

 

Note : Le 8 février, Christophe a été condamné à 8 mois de prison avec sursis (peine requise), et confiscation de scellés (la voiture). 

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