Tribunal de Pontoise : « Quand elle vous dit son âge, pourquoi vous ne vous arrêtez pas ?»

Publié le 21/09/2023

Il est assez rare de juger l’auteur d’agressions sexuelles sur une enfant de onze ans en comparution immédiate, cette procédure étant habituellement réservée aux affaires les plus simples. C’est pourtant le choix qu’a fait le parquet, en déférant ce 28 août, Bruno, 22 ans.

Tribunal de Pontoise : « Quand elle vous dit son âge, pourquoi vous ne vous arrêtez pas ?»
Tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

« C’est un dossier qui va prendre du temps, mais on ne peut pas passer quatre heures dessus non plus, donc je vous demande de ne pas me faire comme à des assises » prévient d’entrée de jeu la présidente en s’adressant aux parties.

Bruno, mince jeune homme à lunettes, placide, vient d’être installé dans le box. « Vous faites état d’un parcours personnel extrêmement difficile », déclare la présidente, qui a décidé de débuter par la personnalité du prévenu. Elle résume : son père est décédé (d’une cirrhose) quand il avait trois ans, et sa mère n’était pas en capacité de l’élever. Il est placé en famille d’accueil jusqu’à l’âge de dix ans, puis en foyer. Là-bas, pendant trois ans, il est violé par un autre enfant placé, plus vieux que lui. « C’est une période pendant laquelle vous avez pas mal fugué, vécu à la rue et vous êtes retourné chez votre mère. Ils ont fini par lever le placement » poursuit la juge.

Bruno n’a jamais porté plainte, ni parlé aux éducateurs des viols subis. Il n’a pas non plus évoqué les violences horribles qu’il a subies au foyer, comme les coups de fouet et les passages à tabac. Sa mesure de placement levée, il est suivi en centre médico-psychologique (CMP) en raison de tendances suicidaires.

« Anxieux, méfiant, timide et renfermé »

Il n’a que treize ans lorsqu’il vit sa première relation amoureuse, et peu après il s’installe chez une jeune fille de dix-sept ans, rencontrée sur Snap chat. Elle finit par le quitter, « et alors vous retournez chez votre mère, dans une situation très précaire », poursuit la présidente.  Sa mère et son oncle, dans la salle, sont débordés par l’émotion. Ils émettent des petits bruits, font des grands gestes qui secouent tout le banc – et répondent au téléphone. L’huissière lève les yeux au ciel. « Vous viviez à l’hôtel avec votre mère, vous étiez dépressif et fumiez beaucoup de cannabis. Vous étiez anxieux, méfiant, timide et renfermé, mais pas seul. Vous aviez des amis. »

La présidente sort une expertise psychiatrique. « Vous n’étiez pas très d’accord avec ses conclusions. Je précise pour tout le monde qu’elle été réalisée par le Dr Peretti. Un certain nombre d’entre nous avons une réserve sur cet expert. D’ailleurs, il se contredit à plusieurs reprises dans le rapport ». On comprend qu’il ne pèsera pas lourd dans la décision. La présidente a terminé son exposé et donne la parole à Bruno.

« Je tenais à dire qu’étant donné ce que j’ai vécu, jamais je n’aurais pu faire subir la même chose à quelqu’un d’autre », dit-il. Il utilise Tik-tok sous le pseudo de Mélomane018, pour diffuser sa musique. C’est sur ce réseau social que débute une discussion privée avec la petite Claire, onze ans.

« Elle dit qu’elle a 15 ans, il affirme en avoir 17 »

Très active sur Tik-tok, l’enfant nourrit des discussions privées avec dix-sept autres hommes, mais c’est avec Bruno que ça accroche le mieux. Elle dit qu’elle a quinze ans, il affirme en avoir dix-sept. Ils décident de se rencontrer.

Bruno la rejoint chez  elle, à Fosses. Elle lui avoue d’emblée qu’elle n’a que onze ans, il lui répond que ce n’est pas grave. Elle se montre affectueuse avec lui, dit-il. Ils jouent ensemble, se font des câlins. Aux gendarmes qui l’interrogent, la fillette dira : « on s’est mis en couple. »

« — Quand elle vous dit son âge, pourquoi vous ne vous arrêtez pas ? interroge la présidente.

— J’ai été très gêné lorsque j’ai appris son âge, mais je n’ai pas arrêté parce que je l’aimais bien.

— Vingt-deux ans, onze ans, vous ne voyez pas le problème ?

— J’aurais aimé qu’elle ne me dise pas ses sentiments.

— C’est une gamine de onze ans qui vous dit qu’elle vous aime. Vous êtes un adulte avec une enfant, c’est extrêmement facile d’obtenir tout ce que vous voulez d’elle. Celui qui doit dire stop, c’est vous. Vous savez réfléchir, vous êtes capable d’analyse, et pourtant vous ne mettez pas la barrière.Pourquoi vous lui n’avez pas dit votre âge ?

— J’avais peur qu’elle ne veuille plus me parler. C’était une boule de bonheur je me sentais bien avec elle. »

Lors de l’enquête, il avait confié aux gendarmes : « Moi, ce que j’aimais, c’est qu’elle m’écoute. »

En termes d’agressions sexuelles, outre des baisers, Bruno admet lui avoir touché les fesses et le corps (à travers les vêtements). Ils se voyaient dans les parties communes de l’immeuble de la petite fille. Elle a évoqué des bisous dans le cou et des « papouilles » sur tout le corps.

Guet-apens et passage à tabac

L’idylle dure du 8 juin au 22 juillet 2023. Un jour, le père de la petite fille remarque qu’elle a un nouveau bracelet et lui demande sa provenance. Elle lui dit naïvement que c’est le garçon qui vient la voir dans les escaliers. Le frère de Claire lui prête alors son téléphone, avec lequel elle se rend sur Tik-tok et continue de converser avec Bruno. Le frère récupère le téléphone et découvre la relation.

La mère de Claire le prend très mal. Elle la traite de pute, lui dit qu’elle a fait entrer un pédophile à la maison, et demande à un médecin de vérifier son hymen. Un oncle de la famille est actuellement poursuivi pour des viols incestueux sur un cousin de Claire.

Son père et son frère décident, eux, de tendre un piège à Bruno : ils se font passer pour Claire et lui donnent un rendez-vous à l’extérieur. Bruno s’y rend, et voit débarquer en voiture les deux hommes furax. Le frère lui met une balayette, puis les deux hommes le passent à tabac. Bruno ne se défend pas. Quand ils lui demandent d’embarquer dans la voiture, Bruno ne regimbe pas. Ils le déposent à la gendarmerie. Bruno est mis en cause, mais a également déposé plainte pour les violences subies ce jour-là.

Des termes sexuels explicites

La présidente insiste : « Qu’attendiez-vous de cette relation ?

— Je voyais Claire comme une petite sœur.

— Est-ce qu’on dit à sa petite soeur je vais te doigter, te lécher, te sucer ?» La présidente commence à hausser le ton.

La procureure a une question : « Quand vous dites ‘je vais te ken toute la nuit’, qu’est-ce que vous avez derrière la tête ?

— Rien du tout, les mots ont dépassé ma pensée.

— Pourquoi vous les écrivez ?

— J’écrivais spontanément, je ne réfléchissais pas. »

La présidente reprend la parole : « Vous comprenez pourquoi vous vous retrouvez dans le box ?

— Évidemment, j’ai conscience que ce que j’ai fait c’est mal et que je n’ai pas agi comme j’aurais dû agir. »

L’avocate de la partie civile représente l’enfant absente. Celle-ci est suivie par un psychologue et dit se sentir honteuse. Dans son box, Bruno, à ce moment, est pris de violents tremblements.

« Un enfant n’a pas la compréhension pour vivre des gestes à caractère sexuel »

La procureure estime que le prévenu « devra repartir de cette audience en ayant totalement pris conscience qu’il n’a pas eu une histoire d’amour avec la jeune Claire, mais qu’il a bel et bien commis des infractions avec cette jeune fille. Un enfant de cet âge n’a pas la compréhension nécessaire pour vivre des gestes à caractère sexuel. Elle est démunie face à ce qu’il se passe », dit-elle. Elle requiert dix mois de prison avec sursis probatoire, une obligation de soins, de travail et de formation, l’interdiction de contact avec la victime et de paraître au domicile, l’interdiction également d’exercer une activité en contact avec des mineurs pendant une durée de 5 ans,et, enfin,  l’inscription de Bruno au Fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles (FIJAIS).

L’avocate de Bruno plaide la relaxe : selon elle, le texte visé précise qu’il faut une contrainte morale, qui ne peut se déduire simplement de la différence d’âge. Malgré tout, « si vous entrez en voie de condamnation … Monsieur T. n’a pas les code que nous avons depuis qu’on est petits. Il n’a pas reçu d’amour, d’attention. Aujourd’hui, il vit avec sa mère et son oncle, qui sont illettrés, il les soutient. » Elle estime qu’il a déjà été puni par un passage à tabac et un mois de détention provisoire. « Il y a encore un travail à faire pour qu’il comprenne que la vie ce n’est pas simple. »

Après la suspension, Bruno est condamné à huit mois de prison avec sursis probatoire, assortis de toutes les obligations et interdictions demandées par la procureure. Le tribunal constate son inscription au FIJAIS.

 

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