Tribunal de Pontoise : « Se dire qu’on vient de tuer quelqu’un, ce n’est pas facile »

Publié le 15/02/2024

Adama, 38 ans, est convoqué devant le tribunal correctionnel de Pontoise pour répondre d’un homicide involontaire. Dix-huit mois auparavant, il a perdu le contrôle de son véhicule, percuté un scooter et tué son conducteur.

Tribunal de Pontoise : « Se dire qu’on vient de tuer quelqu’un, ce n’est pas facile »
Tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Sur une route droite, un scooter et une voiture roulent dans le sens contraire. Les deux véhicules sont sur le point de se croiser, ce 1er juillet 2022 à 17 h 35. Soudain franchit la ligne blanche, lancée à 80 km/h minimum. Le conducteur du scooter esquisse un mouvement d’évitement, tente sans doute de se jeter dans le fossé. Trop tard ! Un enregistrement vidéo, muet et en noir et blanc projeté dans la salle montre la collision.  « J’avoue avoir mis quelques secondes à réaliser qu’il y avait un scooter, qui est à peine visible sous la voiture » commente le président. Le corps sans vie de Lounis, 34 ans, est pris en charge quelques minutes plus tard par les secours.

« Je suis vraiment triste, traumatisé »

Ce 28 décembre, le conducteur de la voiture, Adama, comparait pour homicide involontaire. Bien qu’il ne parle pas français, il le comprend, et ses réactions aux questions du président dénotent son malaise. Il doit écouter le récit que le juge fait de la procédure, qui contient quelques-uns de ses mensonges dont le prévenu a du mal à se dépêtrer aujourd’hui. Par exemple, il a d’abord dit aux policiers qu’il roulait à 40 km/h sur sa voie quand le scooter s’est écrasé contre lui. Ils lui opposent que les carcasses des véhicules sont retrouvées sur la voie du scooter. Puis, ils visionnent la vidéo et un expert fait une évaluation de la vitesse – au moins 80 km/h. « Les policiers sur la vidéo voient un scooter qui avance sur sa voie en ligne droite, une voiture qui vient en sens inverse et qui franchit la ligne, le scooter qui tente d’éviter la voiture, qui, elle, roule comme si elle ne voyait pas le scooter, rapporte le président. Alors il y a deux hypothèses : soit vous vous en souvenez très bien mais vous voulez échapper à votre responsabilité, soit vous vous mentez à vous-même, parce que se dire qu’on vient de tuer quelqu’un, ce n’est pas forcément quelque chose de très facile. Alors, qu’est-ce que vous souhaitez dire ?

— Je suis désolé, je n’aurais pas dû faire ça, je suis vraiment triste, traumatisé.

— On en prend note, mais il est quand même important qu’on reprenne étape par étape. Vous expliquez aux policiers que, le matin, vous étiez en retard au travail, c’est pour ça que vous prenez la voiture – parce qu’habituellement vous prenez le bus. Vous avez dit aux policiers qu’au moment de l’accident vous lisiez le journal. Où était-il ?

— Il était sur le fauteuil passager.

— Est-ce que Monsieur se souvient de l’article qu’il était en train de lire ?

— En fait je ne lisais pas le journal, j’ai paniqué devant les policiers.

— Alors qu’est-ce que le journal faisait sur le siège conducteur ?

— Il était juste dans la voiture.

— Il n’était pas dans le coffre ni sur le siège passager, mais sur le siège conducteur. On a même une photo. »

En fait, tente-t-il d’expliquer, il était sur le siège passager, et après l’impact, lorsqu’il s’est levé pour sortir de sa voiture, Adama explique avoir ramassé le journal dans un geste mécanique et l’avoir reposé sur le siège conducteur.

« Je le jure, je n’ai pas vu le scooter »

« Avez-vous vu le scooter ?

— Je le jure, je n’ai pas vu le scooter, je ne sais même pas comment l’accident s’est produit.

— Donc vous avez franchi la ligne blanche, vous conduisez sur la voie opposée, sans voir ce qu’il s’est passé alors que vous regardez la route ? Vous souvenez-vous avoir changé de voie ?

— Je ne sais pas quand est-ce que j’ai changé.

— Quelqu’un qui ne serait pas en train de regarder la route, ce serait cohérent qu’il ne voit pas ce qu’il se passe devant lui, sommes-nous d’accord ?

— C’est vrai, si j’avais regardé je n’aurais pas foncé sur le scooter.

— Qu’est-ce que vous faites juste après le choc ?

— Quand je suis sorti, je me suis mis sur le côté, les mains sur la tête.

— Est-ce que vous avez appelé les services de secours ?

— La première personne que j’ai contactée, c’était mon frère.

— Y’a un appel au 115 dans les minutes qui ont suivi. »

Le président présente au prévenu le scellé du journal. « Où était-il ?

— Côté passager, avec mon sac.

— Avez-vous pris le journal en conduisant ?

— Oui.

— Reconnaissez-vous que le fait de regarder votre journal en conduisant a fait que vous avez manqué d’attention, ce qui a causé l’accident ?

— Je reconnais. »

« Je pense que s’il avait eu la possibilité de fuir, il l’aurait fait »

L’avocate de la partie civile paraît plutôt hostile. Elle évoque la déposition du témoin qui a appelé les secours ; il dit avoir vu le prévenu son sac à la main : « je pense que s’il avait eu la possibilité de fuir, il l’aurait fait. » L’avocat en défense lui répond : « Le procès-verbal fait état de Monsieur qui attend les secours au bord de la route. »

L’avocate de la partie civile embraye : « Il répète ‘je suis désolé’ comme s’il avait bien appris la leçon. On a un homme imperturbable, inquiétant. » Elle parle du défunt : « La victime avait réservé un billet pour l’Algérie pour rentrer voir sa famille le 7 juillet. C’était un homme empathique contrairement à Monsieur, il n’avait jamais fumé une cigarette, bu d’alcool, touché à la drogue : un homme d’une bonté extraordinaire. Monsieur prendra sa famille dans ses bras, pas la famille de mon client ! »

« Un manque d’empathie »

La procureure a conscience que ses réquisitions n’apaiseront pas la douleur des victimes. Elle estime que plusieurs éléments permettent de démontrer la négligence : les « déclarations incohérentes, fluctuantes voire contradictoires », mais aussi « un manque d’authenticité, de clarté, de sincérité, et d’empathie. » Elle requiert dix-huit mois de prison avec sursis et l’annulation de son permis.

L’avocat de la défense pense « qu’il y a des doutes, des certitudes et quelques incompréhensions ». On ne peut pas lui reprocher sa façon de s’exprimer, souligne-t-elle. Une absence d’empathie ? Sur quelle base ? « Je vous demande un sursis probatoire, car il a été touché, donc je pense qu’un suivi est nécessaire.

— Ce que Monsieur est libre de faire à tout moment, Maître, objecte le président.

— Tout à fait, mais vous pouvez l’obliger ! »

Le tribunal ne le fera pas : il condamne Adama à dix-huit mois de prison avec sursis.

 

 

 

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