Tribunal de Pontoise : « Si je suis de nouveau incarcéré, je me suicide »
Le tribunal de Pontoise juge un jeune prévenu meurtri par la prison, qui conteste les faits de cambriolages qui lui sont reprochés. Il doit sortir de prison le surlendemain, et supplie le tribunal de ne pas prolonger sa détention.
Le timbre de voix de Gaëtan, 22 ans, est très, très bas, et s’échappe péniblement de l’interstice du box qui l’emprisonne. C’est une voix triste, sourde et caverneuse. Jeune roux hirsute à la barbe broussailleuse, le prévenu est très poli avec la présidente du tribunal correctionnel de Pontoise, mais à l’évidence il n’est pas très en forme.
Si on dort mal en prison, Gaëtan dort mal depuis plus de trois mois maintenant. Suite au cambriolage d’un box dans un garage, lui et trois autres ont été interpellés et condamnés. Ce n’est pas la première fois, mais c’est la première incarcération pour Gaëtan, qui semble morne et indifférent, alors qu’il devrait se défendre avec vigueur de ce nouveau cambriolage qui lui est reproché, et dont il réfute être l’auteur. Les faits, très semblables et antérieurs à ceux qui lui valent de croupir entre quatre murs, ont été commis dans sa résidence. Matériellement, il n’y a qu’un seul élément de preuve sur lequel l’accusation peut s’appuyer, mais hélas pour Gaëtan, il s’agit de son ADN.
« Comment vous expliquez la présence de votre ADN ? »
L’analyse de l’échantillon retrouvé sur les lieux a mis plus de deux mois à revenir aux enquêteurs qui, sans cela, n’auraient pas résolu cette affaire. Ils avaient constaté l’effraction : dans un box, une voiture aux vitres cassées avait été poussée au-dehors, pour permettre de sortir la moto-cross visée. C’est de ce vol de moto que Gaëtan, seul, répond ce mardi 27 février, car son ADN a été retrouvé sur le montant de la fenêtre dont la vitre a été cassée. Il n’y a rien d’autre qui pèse contre lui. Mais comment réfuter une preuve ADN avec de simples mots ? La présidente lui demande quand même : « Comment vous expliquez la présence de votre ADN ?
— Je ne sais pas Madame la juge, peut-être qu’un jour elle était garée dehors et que je me suis appuyé dessus. J’habite à côté, avec mes antécédents judiciaires je n’aurais jamais fait ça dans la résidence. »
« Je ne supporte pas la prison »
Le prévenu explique qu’il était déjà innocent des faits qui l’ont conduit en prison. « Ce soir-là, on buvait des coups dehors, on marchait à côté du box cambriolé, des gens nous ont vus et ont appelé la police, et avec les casiers qu’on a, c’est nous qui avons pris.
Vous l’avez évoqué Monsieur, votre casier, il est, hum, vous avez un casier. » Il doit sortir le 29 février, et dispose d’une promesse d’embauche au 1er mars. « Est-ce une sortie sèche ou un aménagement ?
— Une sortie sèche, comme vous dites.
— Vous avez dit à l’enquêteuse de personnalité : ‘Si je suis de nouveau incarcéré je me suicide’. Est-ce que vous voulez ajouter quelque chose ?
— Je ne supporte pas la prison, j’ai fait que deux ou trois mois, mais c’est énorme. Avant j’étais paysagiste, je faisais une formation, j’ai eu un accident de voiture et n’ai pas pu continuer, mais maintenant je veux reprendre ce métier. »
La procureure a probablement suivi les débats mais s’en tient à son plan initial : elle requiert six mois avec mandat de dépôt, car non seulement il y avait son ADN, mais de surcroît il vit sur place, donc il connaît, et pour commettre ces faits il fallait savoir qu’une moto se trouvait derrière la voiture.
Assis dans son box, Gaëtan commence à essuyer ses larmes, puis fourre son visage entre ses mains, plié en deux, le corps secoué par les sanglots.
« Il a une angoisse tellement violente de poursuivre sa détention »
L’avocate du prévenu plaide la relaxe. « Une fois qu’on a parlé de l’échantillon ADN, on n’a pas grand-chose à dire. » Il n’y a qu’un seul scellé, ce qui signifie que les gendarmes n’ont pris qu’un seul échantillon et n’ont pas testé, par exemple, la poignée de la porte du garage dont la propriétaire dit qu’elle était fermée à clef (et qui n’a pas été forcée). Il rappelle également que la téléphonie de son client n’a pas été examinée, qu’aucune des huit caméras du secteur n’a été exploitée. Aucune trace du véhicule qui aurait servi à enlever la moto. « Dans ce cas, le doute doit lui profiter. Il a une angoisse tellement violente de poursuivre sa détention qu’il a tout fait pour préparer sa sortie, sans l’aide de personne », plaide-t-elle. Elle invite le tribunal, s’il le condamne, à une confusion de cette nouvelle peine avec celle en cours d’exécution, s’agissant de faits qui auraient pu être jugés en même temps – et donc faire l’objet d’une seule peine.
Gaëtan recroquevillé dans le box continue à être secoué de spasmes lacrymaux. Il relève la tête quand l’huissière vénérable (qui porte d’énormes lunettes de soleil) claudique jusqu’au box et lui tend un mouchoir. Sa jambe gauche est prise de tremblements incontrôlables. Il se lève pour son dernier mot : « Je n’ai rien à dire Madame la juge ».
Lorsqu’il rentre pour entendre la décision, il jette un regard désolé à une femme assise dans le public. Sa mère, qui entend comme lui sa condamnation à six mois de prison ferme, entend comme lui que le tribunal a prononcé la confusion des peines. Gaëtan n’a pas vraiment compris ce que cela signifiait.
« J’ai combien à faire encore ?
Vous sortez comme prévu le 29 février
Ah ok, désolé », dit-il avant tout de même d’esquisser un sourire, qui grandit à vue d’œil. « J’espère qu’on ne vous reverra plus. Est-ce qu’on doit s’attendre à vous revoir ?
Normalement, non, enfin je ne sais pas », et Gaëtan est exfiltré du box.
Référence : AJU424775