Tribunal de Pontoise : « Si on va en prison, on sera pire après »

Publié le 11/01/2024

Diyar, 30 ans, a tabassé gratuitement un sexagénaire dans la rue. Sous drogue, schizophrène, il ne se souvient de rien. La procureure réclame de la prison, l’avocate une hospitalisation d’office.

Tribunal de Pontoise : « Si on va en prison, on sera pire après »
Tribunal judiciaire de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Diyar, être ici dans ce box, ça ne l’arrange pas du tout. Ça fait 9 mois que c’est arrivé, aujourd’hui il se sent beaucoup mieux, et de toute façon, il n’a aucun souvenir des faits. Franchement, à quoi ça sert ? « De une, je dois sortir très vite pour aller payer des amendes, de deux j’ai fait ça sous drogue, et ça va mieux. De trois, ça fait 9 mois et je pense que lui, ça va mieux, et maintenant j’ai du travail et je n’aimerais pas aller en prison », explique Diyar. Pas de temps à perdre.

« —Vous acceptez d’être jugé aujourd’hui ? La présidente fait les choses dans l’ordre. La procédure.

— Ben oui !

— Moi je vais formuler une demande de renvoi », intervient l’avocate du prévenu.

Ça surprend, cette dissonance avocat/client.

«—  Il n’était pas dans son état normal, et souffre de graves problèmes de santé mentale » précise-t-elle.

— En effet, mais un médecin l’a vu et a établi que son discernement n’était ni altéré, ni aboli.

— Et maintenant je vais mieux, Madame, insiste Diyar.

— Les parents de Monsieur font état d’une paranoïa aiguë en sortant de son domicile avant les faits. Vous verrez qu’il a été hospitalisé d’office de nombreuses fois.

— Il y en a une de 2014, c’est très ancien.

— Mais depuis il y en a eu d’autres.

— C’était à cause de la drogue !

— Vous aurez la parole après, Monsieur. Donc je suppose que vous demandez une expertise, Maître ?

— Effectivement, Monsieur souffre de schizophrénie, il n’est pas en mesure d’être jugé aujourd’hui.

— Est-ce que vous avez des éléments sur son traitement actuel ? Traitement oral ou injection ?

— Injection, je crois.

— (Une voix dans le public) Je suis son papa !

— Approchez, Monsieur

— Il est suivi depuis 10 ans, on lui fait des injections, mais il n’accepte pas.

— Ce n’est pas que je n’accepte pas !

— (Présidente) Monsieur explique qu’il est parti dans la montagne en Turquie pour se sevrer, et que maintenant ça va mieux.

— (Avocate) Il y a des phases où il va bien, en effet ses parents l’ont envoyé dans la famille au Kurdistan turc.

— Moi je veux ajouter que je m’excuse de ce qu’il s’est passé, je n’avais pas dormi depuis deux semaines, maintenant j’ai tourné la page, arrêté la drogue, arrêté tout ce qui est schizophrénie, je me lance dans la bourse. »

Violences gratuites et fuite dans les montagnes

On demande son avis au procureur : « Je constate que Monsieur accepte d’être jugé j’estime qu’il n’a pas lieu à renvoi.

— Monsieur ?

— Si c’est pour aller en mandat de dépôt, non. Mais sinon c’est vous qui voyez, je suis fatigué. » Le dossier est retenu.

Le 1er mars 2023, la police est appelée pour une rixe près d’une cité de Goussainville. Sur place, de nombreuses personnes, et un homme à terre, en sang. Diyar. Un témoin raconte aux policiers qu’il est arrivé « de nulle part » un peu plus tôt pour attaquer, gratuitement et par-derrière, un homme né en 1956 et accompagné de son petit-fils de 11 ans, qui sortaient de la mosquée. Après avoir fait chuter l’homme, Diyar le frappe à terre avec une rage visible. Un groupe d’hommes à proximité lui tombe alors dessus et le tabasse, jusqu’à l’arrivée de la police.

Diyar est placé en garde à vue, salement amoché, et emmené à l’hôpital, puis transféré au service psychiatrie. C’est de ce service que ses parents l’extraient, puis l’envoient en Turquie, au village dont ils sont originaires, dans les montagnes et loin de tout. C’est ce qu’explique le père de Diyar aux policiers deux mois plus tard. Il leur dit aussi que, dès son retour, il enverra son fils au commissariat. Cela arrive le 26 décembre. Diyar est placé en garde à vue et s’explique.

Un mélange de shit et de médicaments

C’était une période très sombre de sa vie. Il avait arrêté les drogues (crack, cocaïne) mais n’arrivait pas à lâcher le cannabis. Le jour des faits, il est en manque, enfermé chez lui. Il décide d’aller acheter des cigarettes, et puis c’est le trou noir. Il ne se souvient pas, mais tient à s’excuser. C’est un mélange de shit et de médicaments qui l’ont mis dans cet état.

Aujourd’hui, à l’audience, il confie : « Je ne me souviens pas depuis le matin. Je n’arrivais ni à dormir, ni à être bien. Je m’embrouillais avec tout le monde autour de moi. C’était très sombre, c’est une période que je ne veux plus vivre. L’acte est lié aux drogues.

— Vous vouliez de l’argent ?

— Non, moi je vole pas d’argent. J’ai demandé à mes parents 20 euros pour acheter des clopes et du shit.

— Mais monsieur n’avait rien à voir.

— Mais je sais, c’est pour ça que je suis désolé, j’ai eu un coup de nerf

— Et qu’est-ce qui nous dit que ça ne va pas se reproduire ?

— Parce que je suis mieux maintenant, tout le monde vous le dira. »

De l’autre côté, la victime est un homme qui a subi de multiples fractures au visage, 21 jours d’ITT au total. Il est traumatisé et ne sort plus de chez lui. Son petit-fils a expliqué qu’après avoir vu écraser la tête de son grand-père, il a hurlé, et c’est là que des hommes sont intervenus. Il reconnaît formellement Diyar. Lui aussi est traumatisé. Diyar, lui, aimerait qu’on en finisse afin qu’il « passe à autre chose ».

« Pas de reconnaissance de la souffrance de la victime »

L’expertise psychiatrique confirme ce qu’il est possible d’observer à l’audience. « Indifférence par rapport à son vécu, pas de reconnaissance de la souffrance de la victime, mais conscience du caractère grave de l’accusation », écrit l’expert. Son passé psychiatrique est lourd : il a été hospitalisé à 20 ans pour la première fois, et régulièrement depuis. Son passé pénal fait état de 5 condamnations. Il est en récidive. Bénéficiaire de l’allocation adulte handicapé, il effectue une formation de secouriste en mer en plus d’une activité de trader en ligne.

« — Je voudrais revenir sur votre pathologie, vous ne prenez plus votre traitement ? questionne un assesseur.

— Je vous explique : avant d’avoir commencé la drogue, au début je n’avais aucun problème. Le problème, c’est la drogue. Maintenant, je suis sans médicament et je vais bien.

— Parce que la schizophrénie, c’est une maladie qu’on a à vie, il y a un risque de décompensation et c’est ça qui m’inquiète.

— C’est vrai que j’ai vécu un enfer, mais aujourd’hui ça va mieux.

— Mais ne pensez-vous pas qu’il faut aller voir un psychiatre ?

— Oui, c’est prévu.

— J’ai l’impression que vous voulez mettre de côté cette maladie, c’est humain mais ça m’inquiète. Prendre son traitement c’est important. »

« Moi, j’ai tourné la page »

L’avocate de la partie civile, énervée, a carrément demandé qu’il aille en prison, et un renvoi sur intérêt civil – ses clients sont absents. Le réquisitoire est un peu mou et n’appréhende pas la complexité du dossier, ne mentionnant même pas l’état psychiatrique du prévenu. Le parquet requiert un an de prison, dont six mois avec sursis probatoire (obligation de soins, interdiction de contact et de paraître au domicile de la victime), et demande que la partie ferme soit effectuée en détention.

L’avocate s’avance à la barre : « On va se baser sur une expertise qui dure  5-10 minutes en garde à vue pour affirmer que Monsieur ne souffre pas de trouble du discernement ? »  Pour elle, seule une hospitalisation s’impose, et certainement pas une incarcération. « S’il va en prison, il va ressortir et on le reverra. Il doit être déclaré irresponsable. »

Le prévenu conclut, visiblement échauffé : « J’ai commencé par m’excuser, j’ai dit qu’il n’y avait plus à avoir peur. Je demande qu’on soit raisonnable. Moi, j’ai tourné la page. On est là pour ça, pour être mieux après, si on va en prison on sera pire après. » Le tribunal s’en fiche : il condamne aux réquisitions. Dyiar part en détention.

 

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