Tribunal de Pontoise : « Tout le monde s’en fout des cambriolages de nuit des Easycash ! »
Deux hommes sont jugés le 14 novembre par le tribunal de Pontoise, pour une série de cambriolages et de tentatives commis en bande organisée, au préjudice de l’enseigne Easycash*. Ils en reconnaissent une partie.
« — Combien de temps vous avez passé en prison en tout ?
— 13 ans.
— La dernière peine est prononcée par une cour d’assises, 7 ans. Comment vous expliquez qu’on vous retrouve encore ?
— Je sais pas, j’en n’avais pas besoin en plus, c’est répétitif, l’influence.
— Votre fils vient vous voir en prison ?
— Non, parce que je suis en détention provisoire. Je ne lui ai pas expliqué.
— Vous trouvez que c’est sa place ?
— Non. »
À 40 ans, Karim H. totalise 17 condamnations. S’il est de nouveau dans le box des prévenus, c’est pour une série de vol et de tentatives qu’il aurait commis au préjudice de l’enseigne Easycash, et en bande organisée, car il était accompagné de Karim G., 45 ans, rencontré au centre de semi-liberté et recroisé plus tard, par hasard, dans le centre-ville de Lille. Karim G., qui admet devant le tribunal : « J’ai honte de me retrouver en promenade avec des p’tits jeunes. » Il a 11 condamnations, dont la dernière lui a valu 4 ans (« pour 8 kg de beuh, 4 ans ! J’ai jamais eu de chance »).
Tout commence à Easycash Pierrelaye, où 310 000 euros de marchandise (valeur à la revente) sont volés dans la nuit du 7 au 8 mars. La vidéo surveillance montre une Golf stationnée sur le parking de 23 h 30 à une heure, et trois individus qui rôdent entre la voiture et le magasin. Rien de plus.
La suite se déroule le 17 mai à Easycash Sarcelles, quand un employé signale à la direction qu’une minicaméra est fixée sur un fauteuil, et qu’elle filme le digicode de l’alarme. La vidéo surveillance montre deux hommes qui entrent dans le magasin. Le premier (non identifié) détourne l’attention du vendeur, tandis que le second fixe la minicaméra. Cet homme, c’est Karim H. Sur le parking, une Golf identique à celle de Pierrelaye, mais cette fois-ci la plaque est identifiée. Elle appartient à Karim G. Un téléphone lui appartenant aussi borne aux mêmes endroits que la Golf, ainsi qu’à son domicile, dans le Nord.
Fausses plaques, échelle, gants et minicaméras
Karim H. est interpellé le 1er juin à l’Easycash de Vigneux, alors qu’il scotchait une minicaméra sur le mur, dirigée vers le digicode de l’alarme. Il reconnaît les faits en garde à vue et affirme avoir agi seul, pour se faire de l’argent, afin de payer des vacances à son fils. Il est poursuivi et relâché en attente d’une convocation.
Les enquêteurs mettent une balise sous la Golf de Karim G., et c’est finalement aux abords de l’Easycash de Sarcelles qu’ils sont interpellés dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre. La perquisition de la Golf permet de trouver : des fausses plaques en doublette parfaite (même marque, même modèle qu’un véhicule existant et dûment immatriculé), un chalumeau, une échelle télescopique, des gants en latex, des permis pas à leur nom et quatre téléphones. Le domicile de Karim G. est ensuite perquisitionné. Quand ils arrivent, les policiers voient un individu s’enfuir. Ils le coursent, l’homme lâche un sac, dans lequel ils trouvent des brassards police et des documents administratifs au nom de Karim G. Une arme de poing, des minicaméras (dont certaines contiennent des vidéos de digicode d’alarme dans leur mémoire), deux talkies-walkies.
Ils sont alors déférés à l’audience de comparution immédiate du 4 octobre, renvoyée au 14 novembre, ce jour, donc, et lorsque la présidente leur demande s’ils reconnaissent les faits, ils répondent : « Pas tous les faits ». Finalement, Karim H. Les reconnaît tous sauf Pierrelaye, et Karim G. n’en reconnaît aucun, sauf le vol d’une échelle à Leroy Merlin, réalisé devant une caméra, et que les deux admettent sans difficulté.
« Un iPhone 5 caché dans le vide-poches »
La présidente : « Donc en fait vous reconnaissez les faits quand vous êtes filmés ou interpellés sur place.
— Exactement », dit Karim G.
La présidente s’adresse à Karim H. : « C’est plutôt astucieux de mettre des caméras qui ne se voient pas.
— Elles se voient, la preuve ils m’ont interpellé. J’ai pas réussi à avoir de code.
— Comment ça se fait que vous borniez à Pierrelaye ? C’est à combien de chez vous ?
— 20 km, j’ai de la famille dans le coin. On a pris que les éléments qui peuvent jouer contre moi, mais je ne vais pas qu’à Pierrelaye si vous remarquez. »
À Karim G. : « Votre véhicule a borné sur les lieux, votre téléphone aussi.
— Ma voiture, je la loue via Snapchat. J’y planque un téléphone qui fait office de traqueur. Un iPhone 5 caché dans le vide-poches.
— Et comment vous expliquez qu’ils commettent des vols, ceux qui vous louent la voiture ?
— Y’a 3 millions d’habitants dans le Nord, j’sais pas combien de voleurs, c’est mon petit frère de 21 ans qui la loue pour moi. »
« Est-ce que c’est un délit d’avoir des outils ? »
Sur le dernier fait, à Sarcelles, il explique qu’avec Karim H., ils ont été tentés en voyant dans les journaux la première tentative (qui leur est aussi reprochée). Mais au dernier moment « monsieur H. a finalement renoncé et je l’ai suivi. C’était pas dans notre optique de le faire à la base, on est venus devant l’Easycash, on a commencé à revenir et à… voilà.
— À revenir et à… voila.
— Voilà.
— Sur les caméras qu’est-ce que vous avez à dire ? Ce genre de matériel ça sert à voler, d’accord ?
— Très d’accord avec vous.
— Comment vous expliquez tout ça ? On a trouvé du matériel dans votre voiture.
— Alors Madame, est-ce que c’est un délit d’avoir des outils chez soi ?
— D’accord, et les brassards police ?
— Mon petit frère il m’a dit ‘tu loues ta maison’ alors je l’ai laissé faire, et quand les policiers sont venus, le bonhomme s’est sauvé et voilà et… je vais vous laisser poser les questions.
— Non allez-y, c’est intéressant.
— Je vais pas mettre la charrue avant les bœufs.
— Les caméras, c’était pour quoi faire ?
— C’était pour envoyer à un cousin en Algérie.
— Et votre voiture qui borne sur chacun des lieux des faits ?
— Je louais ma voiture, je ne sais pas qui a commis ces faits.
— Mais si vous mettez des traqueurs, vous pouvez nous dire qui a commis les faits
— Madame je me souviens pas de ce que j’ai mangé y a deux jours, c’était y’a 8 mois, vous vous souvenez de ce que vous avez fait il y a 8 mois ?
— Monsieur, je suis là, vous êtes là.
— Oui excusez-moi, y’a une barrière entre nous.
— Un box. »
Et de son estrade, le procureur entonne avec vivacité un réquisitoire clair et technique, dans lequel il reprend les bornages de la Golf, du téléphone et le matériel perquisitionné chez Karim G., dont il estime qu’il a agi de manière préméditée avec Karim H. « Ce ne sont que des biens, c’est mieux que de séquestrer des gens, je suis d’accord, pour autant on ne saurait donner licence de perpétrer des vols dans ces magasins », dit-il à Karim H., qui a été condamné pour séquestration. « Il y a des gens qui ne peuvent s’empêcher de continuer dans la voie qu’ils se sont tracée. Avec Monsieur H., j’ai l’impression d’un irrépressible recommencement », dit-il en citant la fable de la grenouille et du scorpion. « Nous sommes en face de véritables voleurs professionnels, qui se sont lancés dans ces opérations. » Il requiert 4 ans pour chacun des deux prévenus, ainsi que la saisie des sommes sur leurs comptes, de la Golf et de la maison que Karim G. possède à Maubeuge, afin de rembourser le magasin de Pierrelaye.
Des réquisitions « totalement stratosphériques »
L’avocat de Karim H. trouve ces réquisitions « totalement stratosphériques ». « Tout le monde s’en fout des cambriolages de nuit des easycash. Sur le plan du trouble à la paix social… oui c’est un malfaiteur, ça veut dire quoi, que s’il vole un yaourt au Monoprix, avec son casier il part pour un an en comparution immédiate ? 4 ans, on devient hors sol ! » Il propose 2 ans de prison (« c’est pas le message laxiste du siècle ») et laisse la place à sa consœur, pour Karim G., « assez énervée, je ne vous le cache pas. Lui retirer tout ce qu’il a construit dans sa vie, sa maison, ses économies, parce qu’on a une Golf et un portable qui bornent ? »
Et malgré des plaidoiries pugnaces et trois heures d’audience, une durée exceptionnelle en comparution immédiate, les deux prévenus sont condamnés aux réquisitions. Pour le vol de Pierrelaye, Karim H. est relaxé. Karim G. est reconnu entièrement responsable du préjudice. Ses biens sont saisis.
*Magasins de produits d’occasion reconditionnés.
Référence : AJU410199