Tribunal de Pontoise : « Tu dis que t’étais au volant, sinon ça va être chaud pour moi »

Publié le 03/11/2023

Un homme de 28 ans, détenu, comparaît depuis sa prison, en visioconférence, devant le Tribunal correctionnel de Pontoise. Il est prévenu d’avoir causé un accident de la circulation, alors que son permis était annulé et qu’il avait consommé du cannabis.

Tribunal de Pontoise : « Tu dis que t’étais au volant, sinon ça va être chaud pour moi »
Tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Pour l’instant, il regarde fixement ailleurs et tapote du doigt sur la table. Il est assis, légèrement avachi, accoudé, le menton posé sur la paume de la main gauche. À ce moment-là et pour quelques secondes, les personnes dans la salle d’audience du Tribunal de Pontoise peuvent voir le prévenu attendre le début de son procès ; Jean-Baptiste, 28 ans et détenu dans le sud de la France, ne sait apparemment pas que son image est actuellement projetée sur trois grands écrans plats dans le Val-d’Oise, jusqu’à ce que la présidente lui lance un sonore « Bonjour Monsieur », parce qu’elle n’est pas sûre que le son fonctionne bien.

En fait, il ne fonctionne pas du tout. On voit toujours l’image de Jean-Baptiste qui tapote, soulève ses doigts sans décoller la paume, inspire très fort par le nez et expire par la bouche en faisant trémuler ses lèvres, lance des regards autour de lui comme pour confirmer qu’il n’y a vraiment rien dans cette pièce dans les tons de blanc (très) sale, le local réservé aux visioconférences avec les tribunaux. Finalement, la connexion sonore est établie.

« Bonjour Madame », le son est métallique et casse les oreilles. On lui reproche d’avoir causé un accident de la circulation, alors qu’il avait le permis suspendu et était sous l’emprise du cannabis. ITT de la victime : supérieure à 3 mois.

« Les faits datent un peu »

Le 27 juillet 2020 (« je sais que les faits datent un peu »), les policiers sont appelés pour un accident de la voie publique impliquant un conducteur de scooter, sérieusement blessé. Jean-Baptiste et sa compagne étaient dans la voiture. La femme dit qu’elle conduisait et qu’il était passager, ce qu’il confirme. Elle tend son permis et se fait dépister (alcool, cannabis : négatif).

Les policiers prennent contact avec le conducteur du scooter, qui explique que le conducteur, c’était l’homme. Il dit qu’il en est certain : ils approchaient de l’intersection, le feu passe au vert, le scooter double la voiture par la gauche et, alors qu’il est à sa hauteur, la voiture tourne brusquement sur la gauche sans avertir, et renverse le scooter et son conducteur.

« Chef ça va ? »

Il est étalé au sol, explique-t-il, quand il dit qu’un « jeune homme black est venu me demander ‘chef ça va ?’ », puis il l’entend dire à la fille qui l’accompagne : « vas-y, tu dis que t’étais au volant, t’as vu sinon ça va être chaud pour moi », ce à quoi la fille répond « t’inquiète, y’a pas de souci ».

Flairant l’entourloupe, une femme qui passait par là et venait d’assister à la scène se met à prendre des photos de l’accident et des protagonistes, ce qui énerve Jean-Baptiste qui lui demande pourquoi elle fait ça.

Eh donc, les policiers décident de dépister Jean-Baptiste, qui est positif au cannabis, et qui n’a plus de permis. Pour le moment, ça s’arrête là. Mais en février 2021, la compagne du prévenu est recontactée par les policiers, et cette fois-ci leur dit qu’elle n’a rien à voir avec cet accident, ce qu’elle confirme en audition.

La présidente lève les yeux vers l’écran : « Quelle est votre position ?

  • Je nie toujours Madame la juge.
  • Pourquoi elle dit que c’est vous ?
  • Je vais pas vous l’apprendre Madame, histoire de couple, je lui ai fait quelque chose qui ne lui a pas plu et elle s’est vengée comme ça.
  • Mais lui, ça ne lui change rien que ce soit vous ou elle, pourquoi il dit qu’il est sûr que c’est vous ?
  • Il était complètement sonné de l’accident, il n’avait pas toute sa tête. À aucun moment j’ai parlé à la fille pour lui dire qu’elle conduisait, moi je voulais pas conduire à la base. »

« Ça se passe comment la détention ? »

Jean-Baptiste, 13 condamnations, est en détention provisoire depuis octobre 2021, en attente d’être jugé dans une autre procédure. « Ça se passe comment la détention ?

  • On est toujours mieux dehors. Je vais pas dire que c’est la belle vie. »

La procureure veut requérir. « Monsieur vous m’entendez ? » Il n’entend pas. Elle descend à la barre des témoins, où le micro est relié au système hi-fi. Elle veut simplement qu’il entende qu’elle le pense coupable et qu’elle demande 6 mois ferme, assortis d’un maintien en détention.

« Si c’était vraiment moi j’aurais avoué ! »

L’avocate se positionne également à la barre : « Je vais évidemment solliciter la relaxe. Il n’existe aucun élément probant, il lui a justement demandé de conduire justement parce qu’il avait consommé du cannabis et son permis était suspendu. »

Jean-Baptiste confirme : « Si c’était vraiment moi j’aurais avoué ! J’aurais été en panique, je serais parti ! »

La juge regarde ses assesseurs, fait mine de réfléchir et prononce sur le siège : « Le tribunal vous déclare coupable et vous condamne à 7 mois de prison avec mandat de dépôt.

Jean-Baptiste n’attend pas qu’elle finisse de parler. Il s’est déjà levé et a tourné le dos au tribunal pour tambouriner à la porte : « Oh surveillaaaaant », crie-t-il, dans un terrible vacarme.

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