Tribunal de Pontoise : « Vous êtes incroyable, vous. Incroyable ! »

Publié le 29/06/2023

Le tribunal correctionnel de Pontoise, jeudi 15 juin, juge Amar, prévenu de vol en réunion avec violence. Des faits très violents qu’il nie avec véhémence.

Tribunal de Pontoise : « Vous êtes incroyable, vous. Incroyable ! »
Tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

« On va s’appesantir un peu sur votre situation, annonce le président au jeune homme dans le box, comme ça, ça ira plus vite la semaine prochaine quand je vous jugerai pour le bar tabac auquel vous avez foutu le feu, n’est-ce pas ? Bien sûr, présomption d’innocence. » Le président agite la main et esquisse un sourire poli, mais ses sourcils trahissent la colère. Il débute par la personnalité d’Amar, 18 ans, poursuivi pour vol aggravé : « Détenu pour autre cause, en couple avec une jeune femme actuellement enceinte. Il a quitté trop tôt l’école, pas de diplôme, pas de permis, pas de travail, pas d’expérience professionnelle. Des problèmes de dos. Un jeune complètement perdu. » Amar ne réagit pas.

Le président prend un ton : grave, solennel. Il appuie sur les termes. « Ce sont des faits d’une particulière gravité, qui sont connus des juridictions, mais qui jusque-là ne touchaient pas trop le Val-d’Oise. » Il s’arrête, cherche l’inspiration, regarde ses collègues assesseurs. « Comment je fais pour piquer la montre de mon assesseur ? Je le cambriole, je lui pointe une arme. Ou alors je lui saute dessus, je l’étrangle jusqu’à ce qu’il perde connaissance, et je lui pique sa montre. C’est ce qui est arrivé à Monsieur G., kiné de son état, alors qu’il était en tournée. »

Il s’adresse à Amar : « Est-ce que vous avez quelque chose à voir avec ces faits ?

— Non, du tout Monsieur. »

« Je peux parler ? »

Le 12 décembre 2022 à Brice-la-Forêt, « Monsieur G., entonne le juge, en tournée au volant de son énorme voiture, va être percuté à l’arrière par une Citroën C3. Il sort de sa voiture, de même que les trois occupants de l’autre véhicule. Les occupants du C3 vont le prier de se garer plus loin au prétexte de faire un constat, et il va se faire étrangler et rouer de coups par les trois individus. Ils lui volent sa Rolex qui vaut un peu plus de 10 000 euros. » La victime pense qu’il n’est pas improbable qu’elle ait été repérée, car on ne lui vole rien d’autre, alors qu’il avait plus de 500 euros en espèces dans son portefeuille.

L’enquête part du véhicule : le C3 est une voiture de location mise à disposition d’une société ; il n’est relié à aucun individu. Le président au prévenu : « On va constater que vous avez été le conducteur de ce véhicule, vrai ou faux ?

— Faux. Je peux parler ?

— Oui ».

Amar s’embarque dans des explications tarabiscotées : il remonte trop loin pour le président, qui perd le fil et le coupe. « — Vous parlez trop. Est-ce que vous avez conduit ce véhicule ?

— Oui ».

Le prévenu essai d’expliquer comment il sous-louait le véhicule, le président est certain qu’il le baratine. Amar jette des regards inquiets autour de lui.

Le président poursuit : « Les enquêteurs vont procéder au gel des bornes, et ils vont être avisés de ce que le 10 janvier 2023 Monsieur a été contrôlé à bord de ce véhicule. Ce qui va nous permettre de retrouver une même ligne téléphonique à la fois sur le lieu du contrôle et sur le lieu des faits.

— Je peux parler ?

— Allez-y.

— Je n’ai pas de puce téléphonique. Je n’ai pas de téléphone, je déteste ça. Quand j’ai besoin d’appeler je demande à quelqu’un dans la rue, à la cité, vous pouvez demander on vous le confirmera.

— C’est ce que vous dites aux policiers en garde à vue. Vous allez expliquer que vous n’avez pas de téléphone, vous allez exiger moult actes d’enquêtes et confrontation, comme le font tous les voyous. » La victime identifie Amar à travers une glace sans tain, au milieu de quatre individus. « Monsieur G. déclare, à peine le rideau métallique déroulé : ‘C’est le 4, je le reconnais, c’est le 4.’ Le policier demande quel était son rôle, Monsieur G. Répond : ‘C’était le chauffeur, je crois que c’est lui qui m’a étranglé. Il avait moins de barbe et les cheveux plus courts, mais c’est lui.’

— Je peux parler ?

— Allez-y !

— À l’époque, j’avais les cheveux plus longs, ils me tombaient jusqu’aux fesses, et j’avais une grosse barbe. Demandez au loueur, il pourra vous dire qui était en possession du véhicule. »

Le loueur n’a pas pu le dire.

« C’est sa parole contre la mienne ! »

Le président fait remarquer que cette même ligne téléphonique a été reliée à Amar dans le cadre d’une procédure criminelle qui l’implique.

« — C’est bien ça Madame le procureur ?

— Tout à fait.

— Donc comme élément on a deux reconnaissances de la victime.

— C’est sa parole contre la mienne !

— Une ligne téléphonique en relation avec le lieu des faits. »

Le président précise : « En fait, il usurpe l’identité d’un certain Hamza pour conduire et louer le véhicule en son nom, il l’admet. Pourquoi êtes-vous la seule personne sans téléphone portable ?

— Je n’aime pas ça, j’ai un boîtier orange qui me permet d’avoir internet, et j’ai Snapchat pour communiquer, même ma mère me parle par Snapchat, vous pouvez lui demander. »

La mère d’Amar n’est pas présente.

Le président fait remarquer que lors d’une perquisition chez lui début mai (dans le cadre de l’autre procédure), un téléphone portable a été trouvé, relié à la même ligne téléphonique que celle qui bornait sur le lieu des faits et lors du contrôle routier de janvier. « Je précise, Monsieur, que la ligne téléphonique figure également dans le dossier que l’on juge la semaine prochaine.

— Oui, mais comme je vous ai dit ce n’est pas mon numéro.

— Bon, on va s’arrêter là. La défense ?

— Pas de question, je rappelle juste que c’est au parquet de rapporter la preuve.»

Le président apporte une ultime précision :  « la partie civile ne demande que la valeur de sa montre, 10 950 euros, on a une facture.

— Excusez-moi, au commissariat on m’a dit qu’elle valait 9 400 euros, si déjà je pouvais payer moins.

— Vous êtes incroyable, vous. Incroyable ! » Le président souffle fort.

« Je vais faire appel ! »

La procureure dans son réquisitoire reprend les éléments versés aux débats par le président. « Les explications, si alambiquées soient-elles, n’apportent aucun éclairage. Il a intérêt à contester les faits extrêmement graves, d’autant que je vais vous demander de retenir la récidive légale. » Elle requiert deux ans avec mandat de dépôt.

« Mon cher Maître, quelles sont vos observations en défense ? », interroge le président.

« Ces réquisitions sont particulièrement sévères, mais peuvent correspondre à la gravité des faits, insupportables, intolérables dans notre société, concède l’avocate d’Amar. Encore faut-il qu’il s’agisse de la bonne personne, et on ne peut pas condamner un jeune homme de 18 ans sans preuve suffisante. » L’avocate reprend les éléments matériels un par un et proclame qu’il existe un doute sur tous. Elle plaide la relaxe.

Amar n’a pas de dernier mot. Il est condamné, annonce le président après la suspension, à trois ans de prison avec mandat de dépôt.

« — Je vais faire appel !

—  Oui, vous avez 10 jours. À la semaine prochaine ! »

Il secoue la tête, tandis qu’Amar crie de nouveau  : « Je vais faire appel ! »

 

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