Tribunal de Pontoise : « Vous êtes un meurtrier en puissance sur les routes »

Publié le 03/02/2023

Dans la nuit du 19 au 20 janvier, Arnaud, multicondamné pour des faits de délinquance routière, prend la fuite lors d’un contrôle. S’ensuit une course-poursuite pendant 25 minutes, et une audience de comparution immédiate devant le tribunal de Pontoise.

Tribunal de Pontoise : « Vous êtes un meurtrier en puissance sur les routes »
Tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Nous sommes le 23 janvier, il est 14 h 12 et il ne se passe rien. « Là on bat des records quand même », claironne la greffière en contemplant le box vide. La porte de la maison d’arrêt est coincée, le prévenu, détenu, ne peut être extrait pour le moment. Un des avocats de permanence a une info : « Ils l’ont ouverte, avec un pied-de-biche, le prévenu arrive. » Son avocate l’attend au sous-sol, dans les geôles, pour s’entretenir brièvement avec lui, mais le prévenu est monté directement par l’escorte. « L’avocate vient de redescendre », prévient l’huissière. « Alors on redescend », dit le chef d’escorte. Pendant ce temps, la greffière passe des coups de fil pour retrouver le procureur.

14 h 36, la présidente passe une tête : « ça y est, on a récupéré le parquet ». L’audience est ouverte et le prévenu n’en mène pas large. « C’est chaud, j’ai déjà 7 mois à faire », lance-t-il à sa famille venue le soutenir. Le procureur a mis à exécution deux peines de prison récemment inscrites au casier d’Arnaud, 38 ans, qui comparaît pour refus d’obtempérer, conduite sous l’empire d’un état alcoolique, refus de se soumettre à l’éthylotest, dégradation d’un bien appartenant à autrui, violences avec arme sur personne dépositaire de l’autorité publique.

3 h 40 du matin, vendredi 20 janvier. Ivre, Arnaud décide d’aller faire le plein. Il demande à un ami de l’accompagner pour effectuer le paiement par carte bancaire à sa place. Arnaud prend le volant d’une voiture qui appartient à sa mère, feux éteints, et croise une patrouille de police, à Cergy. Appel de phares, sirène, contrôle de police : Arnaud enclenche la deuxième et appuie sur l’accélérateur.

« Je ne sais pas ce qui m’a pris, j’ai eu peur »

De Cergy, direction Paris par l’A15, deux véhicules de police sont à ses trousses. Ils se portent à la hauteur d’Arnaud pour lui demander de s’arrêter : « et là, vous faites une embardée et venez percuter un véhicule de police » (violences avec arme), rapporte la présidente. Ils tentent de le prendre en tenaille, mais il force le passage. À ce moment, un des véhicules de police manque de partir en tête à queue. Un peu plus loin, le policier évite de justesse un terre-plein et percute le véhicule d’Arnaud, dont le passager hurle en continu.

Arnaud a fait demi-tour à Gennevilliers et poursuit sa fuite, à 170 km/h, notent les policiers, qui estimeront avoir parcouru 80 km en 25 minutes. Ils disent aussi avoir vu des petits sachets en plastique voler par la fenêtre, dont certains se seraient même écrasés sur leur pare-brise. « Y’a jamais eu de pochons, j’ai rien jeté », déclare Arnaud avec constance. Aucun sachet n’a été produit par l’accusation – la présence de stupéfiants dans l’habitacle serait une cause plausible de fuite, c’est en tout cas ce que pensent les policiers.

 « Je ne sais pas ce qui m’a pris, j’ai eu peur » explique Arnaud. Puis, c’est « l’effet tunnel », ce qui signifie qu’Arnaud a débranché son cerveau et ne pense plus qu’à fuir. Lorsqu’il prend la sortie « Meulan-Les Mureaux », il manque de percuter un parapet et continue sur une route parsemée de ronds-points. Prenant l’un d’eux à grande vitesse, il perd le contrôle de son véhicule et vient se fracasser dans la clôture d’un pôle médical, à Boissy l’Aillerie. C’est « pédestrement », notent les fonctionnaires, qu’Arnaud poursuit sa course. Il trébuche et chute lourdement. Il est 4 h 05, Arnaud est menotté.

C’est le moment pour le prévenu de répondre à la question que tout le monde se pose : « Pourquoi ? » Le début de réponse est dans son casier, gonflé d’infractions routières, la dernière ayant un an tout juste. « J’avais réussi à arrêter l’alcool 6-8 mois, et je ne sais pas pourquoi, j’ai replongé. » Sa première condamnation, par le tribunal de Narbonne en 2003, était liée à une conduite sous l’empire d’un état alcoolique. « Vous ne comprenez rien, Monsieur », dit la présidente. « Et alors y’a un truc qui me stupéfie, c’est quand je vois votre métier. Vous êtes chauffeur de bus, depuis 2011.

— Je bois jamais au travail, y’a un alcootest pour démarrer le bus de toute façon.

— C’est très étonnant que ce soit votre profession.

— La semaine, je ne bois pas, c’est juste que quand je bois, je n’arrive pas à m’arrêter.

— Il faut arrêter de conduire, car vous êtes un sacré danger pour les autres. Les années passent et vous commettez exactement les mêmes infractions.

— Je suis désolé, j’aurais pas dû faire ça. Je regrette. J’ai un problème avec l’alcool, il faut que j’arrête. »

« Vous êtes un individu malfaisant »

Là-dessus, le procureur se lève : « Moi je considère qu’il ne s’agit pas d’un problème d’alcool, mais de personnalité. » Il égrène les condamnations : « conduite en état d’ivresse, refus d’obtempérer… Quand vous tuerez quelqu’un, je n’irai pas défendre l’idée qu’il s’agit d’un homicide involontaire. Votre personnalité est celle d’un individu qui a décidé qu’il pouvait transgresser les lois. Vous êtes un meurtrier en puissance sur les routes, et je pèse mes mots. Vous êtes en plus empreint d’une bêtise crasse. » Le procureur relève une condamnation pour des violences sur policiers, sur son ex-compagne : « Vous êtes un individu violent, y’a strictement rien pour vous sauver. Vous êtes un individu malfaisant. » Il requiert 18 mois de prison ferme avec maintien en détention.

L’avocate en défense n’a pas apprécié. « J’entends que le rôle du ministère public soit de faire la morale, je goûte un peu moins les jugements de valeur, je trouve ça particulièrement regrettable de la part de celui qui représente la société. » Elle demande : que faire ? « Pas la prison, déjà ». Elle plaide la relaxe pour les violences : les policiers n’ont produit aucune preuve des chocs, et le prévenu nie farouchement avoir percuté volontairement les voitures. Elle rappelle qu’il n’a eu aucune condamnation pour un délit routier entre 2017 et 2022. « Vous pouvez encore envisager une détention à domicile ! »

Dans son box, Arnaud a l’air mort de trouille. Le tribunal revient avec une relaxe pour les violences, et une condamnation pour le reste, à hauteur des réquisitions. Ajoutés aux 7 mois mis à exécutions, Arnaud part à la maison d’arrêt d’Osny pour deux ans.

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