Tribunal de Pontoise : « Vous passez votre semaine à faire des faux en écriture »

Publié le 22/10/2024

Une fois n’est pas coutume, c’est un gendarme qui se présente en qualité de prévenu devant le tribunal correctionnel de Pontoise. Il est reproché à Thomas lors d’un contrôle routier d’avoir augmenté la vitesse constatée d’un automobiliste au motif que c’était un « con » qui méritait un retrait de permis. 

Tribunal de Pontoise : « Vous passez votre semaine à faire des faux en écriture »
Tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

L’infraction de « faux en écriture publique par personne dépositaire de l’autorité publique » est un crime passible de 15 ans de réclusion. Mais dans les faits, ce crime est « correctionnalisé », et ceux qui doivent en répondre sont jugés par un tribunal correctionnel pour « faux en écriture publique ». C’est le cas ce 24 septembre à Pontoise de Thomas, 32 ans, gendarme.

 Il se tient raide, les mains dans le dos, devant la présidente qui fait un résumé d’une procédure que l’on peut qualifier de minutieuse, une enquête menée avec une patience et une rigueur comme on en voit peu passer dans cette salle d’audience, et que la présidente prend la peine de rapporter.

« Cette procédure part d’une enquête préliminaire qui était diligentée à l’encontre d’un autre gendarme, Alexis F. L’exploitation de six messages vocaux laisse présumer que des militaires du peloton motorisé (PMO) avaient volontairement élevé la vitesse d’un contrevenant désobligeant pour procéder à la rétention de son permis de conduire. Il ressortait de l’exploitation des messages vocaux que vous aviez passé la vitesse de 155 km/h à 160 km/h ‘car celui-ci était casse-couilles’ ».

Le contrôle est effectué 12 août 2023 à 20 h 30 sur l’A16 au niveau de Presles. Trois gendarmes du PMO de Beaumont-sur-Oise sont intervenus à l’occasion d’un contrôle de vitesse sur Yanis, intercepté au volant d’une Renault Clio, « par vous, Monsieur, et deux autres gendarmes ».

Augmenter la vitesse si le contrevenant était « un con »

Le gendarme ayant saisi le procès-verbal électronique indique que Thomas M. était venu le voir en indiquant « que vous étiez tombé sur un con la veille ». Ce gendarme n’était pas au courant de l’augmentation de la vitesse de circulation du contrevenant, mais affirmait qu’un autre collègue, Tanguy L., lui avait concédé que Thomas M. avait menti sur au moins une infraction.

L’audition d’Alexis F. confirme qu’il est à l’origine des messages vocaux et que son interlocuteur était le gendarme Julien R., qui lui avait déclaré qu’Antoine G. lui avait confié qu’il était en contrôle de vitesse avec Thomas M. et Tanguy L., et que Thomas M. avait proposé d’augmenter la vitesse si le contrevenant était « un con ». Ce gendarme a précisé qu’il a déjà travaillé avec lui et que, déjà, il avait proposé d’augmenter la vitesse d’un contrevenant, mais Alexis F. s’y était opposé.

Julien R. est auditionné et confirme ces éléments : c’est une décision unilatérale de Thomas M., chef de patrouille. Il explique que « vous passiez votre semaine à faire des faux en écriture ». On va entendre Madame T., qui est votre compagne, elle aussi gendarme à Beaumont-sur-Oise, et indique qu’elle a également été informée de ce fait, et qu’elle vous avait fait une remontrance à la maison.

« Le contrevenant indique que le gendarme s’était mal comporté avec lui »

« On va entendre Yanis A, le contrevenant. Il confirme qu’il a fait l’objet d’un contrôle et qu’il était en excès de vitesse. Un des gendarmes lui avait indiqué qu’il n’avait plus de permis, car il avait fait un excès de plus de 40 km/h. Yanis A. avait demandé à voir la vitesse et le gendarme avait dit que sa parole faisait foi. Yanis A. indique que le gendarme s’était mal comporté avec lui », poursuit la présidente.

Les trois gendarmes sont placés en garde à vue.

Tanguy L. indique que c’est vous qui avez décidé d’augmenter de manière unilatérale cette vitesse, mais que ce n’était pas au regard du comportement de ce Monsieur, car même avant l’interception de ce Monsieur, vous aviez décidé d’augmenter la vitesse du contrevenant », achève-t-elle. Elle lève le nez vers le prévenu : « Est-ce que vous reconnaissez les faits ?

— C’est plus complexe que ça, je reconnais avoir modifié la vitesse, mais elle a été constatée, cette vitesse. J’ai relevé deux vitesses. 156 km/h et 160 km/h. J’ai d’abord retenu la vitesse la plus basse, puis au vu de sa façon de conduire, je suis revenu sur ma décision et j’ai décidé de retenir 160 km/h.

— Ce n’est pas ce que vous dites en garde à vue. Vous dites que le contrôle fait ce jour-là ne permet pas la rétention du permis, et c’est confirmé par vos collègues.

— La vitesse du contrevenant, je suis le seul à l’avoir constatée.

— Vous êtes conducteur à ce moment-là.

— On est à l’arrêt, je fais la mesure. 156 km/h et 160 km/h. Je pars et j’intercepte le véhicule.

« Ça vous arrive régulièrement d’augmenter les vitesses comme ça ? »

— Ça vous arrive régulièrement d’augmenter les vitesses comme ça ? Votre collègue Alexis F. dit qu’il a déjà été confronté à ça. Dans vos déclarations, on voit que ça vous agace d’avoir des vitesses qui sont à la limite de la rétention de permis.

— On a la possibilité de relever plusieurs vitesses ; c’est à l’appréciation du gendarme.

— Vos collègues disent que le contrôle effectué ne permet en aucun cas la rétention du permis.

— Parce que la vitesse que je leur ai donnée à voix haute, c’était 156 km/h. Effectivement, il aurait fallu qu’un autre effectif voit la vitesse.

— Vous êtes garant de la régularité de votre procédure.

— Je n’ai pas à me justifier de la vitesse que j’annonce.

— Justement, vous avez annoncé 156 km/h. »

Il se trouve qu’après le contrôle, le contrevenant s’est enfui et qu’il n’a pas été poursuivi. Le 18 décembre 2023, il fait l’objet d’un nouveau contrôle. Ces gendarmes constatent que son permis est annulé. « Il est placé en garde à vue au regard de la rétention du permis que vous avez décidée et dont il semble qu’elle n’aurait pas dû avoir lieu.

— Mais si, parce qu’il roulait à 160 km/h.

— Ce n’est pas ce que disent vos collègues.

— Ils ne pouvaient pas savoir. »

En clair, au lieu de reconnaitre les faits comme en garde à vue, le prévenu préfère affirmer une chose que, désormais, plus personne ne peut vérifier. Est-ce parce qu’il est gendarme, que son casier judiciaire est vierge et ses états de service irréprochables, qu’il pense pouvoir convaincre le tribunal ? En attente du procès, il a été suspendu de ses fonctions d’officier de police judiciaire et travaille en centrale d’appels au 17. Il a été mis à pied quatre mois et son traitement a été gelé pendant cinq ans.

« Cette infraction remet en doute toutes les procédures »

La procureure s’avance, particulièrement embarrassée. « C’est très désagréable pour moi, qui représente le ministère public, de voir un gendarme poursuivi par un faux. Cette infraction remet en doute toutes les procédures sur la base desquelles on demande la condamnation. » Elle regrette ensuite que le prévenu conteste sa responsabilité. « C’est une certaine mauvaise foi dont il n’avait pas fait preuve en garde à vue. On a des témoins et les aveux du prévenu lui-même. C’est un acte qui a des conséquences énormes. » Elle demande 10 mois de prison avec sursis, et une interdiction d’exercer pendant un an.

L’avocat du gendarme décrit un contrevenant agressif qui roulait « à près de 200 km/h » que son client a voulu sanctionner à la hauteur de son comportement. Son erreur, dit-il, a été de ne pas faire de procédure pour outrage, « et de ne pas faire constater la vitesse par ses collègues. La vitesse n’est pas vérifiable, mais elle est avérée. » Il demande la non-inscription de la condamnation au B2 et de ne pas prononcer d’interdiction d’exercer.

Non seulement, après avoir condamné Thomas M. à huit mois de prison avec sursis, le tribunal prononce l’inscription de la condamnation au B2 de son casier, mais il est également sanctionné d’une interdiction d’exercer pendant deux ans. Stoïque, le gendarme quitte la salle d’audience.

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