Tribunal de Pontoise : « Vous remettez vos vêtements, je ne veux pas qu’on se déshabille ! »
Un jeune prévenu comparaît pour extorsion avec arme. Avec un complice non identifié, il s’est fait passer pour une prostituée sur le site de discussion en ligne Coco.gg et a donné rendez-vous à un homme pour le dépouiller.
Le freluquet imberbe qui nage dans un manteau kaki n’a pas entendu la présidente et laisse traîner son regard désabusé sur ses baskets sans lacets. La policière en escorte lui tapote le bras, il lève le menton un peu surpris, tourne la tête vers le tribunal où la voix rauque et cassante de la juge lui rappelle que « c’est par ici que ça se passe ». Il répond « ok » avec l’air de celui qui n’a pas entendu mais a compris qu’il valait mieux opiner sans délai à toutes les injonctions qui émaneraient de cette dame blonde qui ponctue ses phrases par « j’espère que vous avez compris, Monsieur ».
Elle résume : Le 9 février sur le chat Coco.gg, un homme discute avec une femme qui lui propose un rendez-vous à 21 heures à Beauchamp, en vue d’une « relation tarifée », dit la présidente avec tact. Quand il arrive, le quadragénaire ne trouve pas de femme mais deux jeunes hommes, dont l’un sort un couteau en vue de lui soutirer ses effets personnels. L’homme panique et saisit la lame du couteau à pleine main, avant de partir en courant. Les jeunes s’enfuient dans l’autre sens.
La victime est secourue par une patrouille de policiers et transportée en ambulance à l’hôpital, où lui seront prescrits 8 jours d’ITT pour des coupures sérieuses dans le creux de la main, mais il refusera d’aller aux UMJ et de porter plainte. Cela n’empêchera pas les policiers de tomber assez facilement sur Mehdi, grâce au bornage téléphonique et au fait que le jeune homme, « défavorablement connu », habite juste à côté du lieu des faits. « Je précise simplement que le 20 janvier, au même endroit, il y avait eu un signalement pour des faits identiques, et que votre téléphone bornait sur le lieu des faits », dit la présidente qui rappelle « encore une fois que vous n’êtes pas poursuivi pour ces faits ». À l’époque, les policiers avaient appelé au domicile de Mehdi et s’étaient vus éconduits sans ménagement par un père furax. Bizarrement, ils n’avaient pas insisté. Déjà, la victime s’était faite discrète.
C’est assurément ce précédent bornage qui a conduit Mehdi en garde à vue, car les policiers ne croient ni aux coïncidences, ni les jeunes hommes déjà condamnés qui nient en garde à vue, d’autant que la victime a reconnu le prévenu sur tapissage. C’est à ce stade du récit de l’affaire que la présidente laisse le dossier de côté et se penche vers le prévenu, qui n’a rien écouté, regarde un peu partout dans son box, réajuste ses vêtements et, surtout, est resté assis sur son banc, ce qui est rigoureusement interdit dès l’instant où la présidente a manifesté l’intention de vous interroger, d’où le petit ton ulcéré de la magistrate.
« On va mettre les choses au clair : je pose les questions »
Elle demande : « Ça va ? »
Mehdi sort de sa torpeur et répond avec un enjouement inattendu : « ça va, et vous ? » absolument sincère.
« — Monsieur, on va mettre les choses au clair : je pose les questions (Le prévenu remet son pull correctement), et vous vous rhabillerez une autre fois ! Est-ce que c’est clair, est-ce que c’est clair ? Bon, qu’est-ce vous avez à dire ?
— Je reconnais les faits, mais pas avec le couteau.
— Alors, qu’est-ce qu’il s’est passé ?
— Il m’a mis un coup de poing, j’ai remis une claque et une balayette.
— Vous aviez l’intention de faire quoi pour le forcer à donner son argent ?
— Rien.
— Alors il n’avait aucune raison de vous le donner.
— Il ne l’a pas donné.
— Mais comment vous aviez l’intention de vous y prendre pour qu’il accepte ?
— En haussant la voix.
— Je rappelle que le certificat médical précise qu’il y a une coupure entre le pouce et l’index, alors comment il s’est coupé ?
— Il est tombé, peut-être qu’il s’est coupé en tombant.
— Alors je vais vous dire : j’écoute ce que vous me dites. Je ne fais pas partie de ceux qui posent 150 fois la question pour obtenir une réponse qui leur convienne : aucune réponse ne me convient. Je précise que la victime des faits du 20 janvier (je rappelle que vous n’êtes pas poursuivi), avait parlé d’un couteau et d’une description qui vous correspond. Or, le plaignant dit que vous aviez un couteau.
— Il se trompe.
— C’est ce que vous dites.
— Pourquoi avoir nié devant les policiers ?
— Parce qu’ils m’ont maltraité. Là, regardez ».
« Vous redescendez dans les geôles ! »
Mehdi entreprend alors de dézipper son sweat capuche, puis il tire sur le col de son t-shirt pour montrer les traces des violences qu’il prétend avoir subi. La présidente tente de l’en empêcher en le sommant de ne pas se déshabiller, mais Mehdi parle en même temps et n’entend pas ; elle entre alors dans une colère apocalyptique : « Monsieur, vous remettez vos vêtements, je ne veux pas qu’on se déshabille ! » Mehdi ne bouge pas, montrant un carré de peau en haut de son torse, tandis que son avocate étonnamment calme se retourne pour lui expliquer qu’il serait plus sage d’obtempérer. Mais Mehdi est ébahi, il fait ça pour étayer ses accusations et ne comprend pas qu’on le rebuffe ainsi. Il regarde son avocate : « Ça veut dire quoi ça, ça veut dire qu’elle s’en fout ? » L’ire présidentielle est paroxystique.
— « Vous redescendez dans les geôles ! » Le prévenu râle tandis qu’il est tiré vers le couloir étroit et obscur qui donne sur le box.
— (La présidente à son assesseure de droite) Des questions ?
— Non.
— Oui, je ne vois pas à qui vous les poseriez. »
Toujours aussi calme, l’avocate explique que son client voulait juste prouver sa bonne foi avec maladresse certes, mais la présidente ulcérée par cet affront n’entend plus rien et passe à la personnalité du prévenu, jeune homme en couple depuis deux ans qui vit chez ses parents. Le père, justement, est présent dans la salle. Il ne veut rien dire. En procédure, il a dit qu’il ne parlait plus à son fils à cause de son comportement. Il semble sévère, inquiet et démuni.
« Je ne veux pas être dénigrante, mais il n’est pas très malin »
Avant de requérir, la procureure informe le tribunal que le prévenu a été condamné le 18 mars 2024 à Toulon pour de la complicité d’offre ou cession de cannabis (six mois avec sursis). Puis sans le démontrer elle proclame les faits établis (« c’est un modus operandi bien connu »), et demande 18 mois dont 6 mois avec sursis probatoire, avec mandat de dépôt car la « gravité des faits est très importante ».
L’avocate devant un box vide prend la parole : « Les faits ne sont pas contestés, mais je vais nuancer un peu, sans vouloir embêter le tribunal
— Rien n’embête le tribunal », la coupe la présidente » (sauf un prévenu qui dézippe son sweat, ndlr).
« Il borne le 20 janvier car il habite sur place », reprend l’imperturbable avocate. « La victime a dit ‘en fait je crois que c’est lui qui avait le couteau’, les déclarations sont assez floues (…) Ce n’est quand même pas le plus malin du monde, il appelle avec son propre téléphone, il donne rendez-vous à côté de chez lui, on est sur le bas de l’échelle … je veux pas être dénigrante, mais il n’est pas très malin », tente-t-elle. « Quel est l’intérêt de mentir ? Peut-être que la victime exagère, comme le fait de demander 7 000 euros de dommages et intérêts », car finalement, l’homme agressé s’est constitué partie civile par un courrier lu par la présidente juste avant la clôture des débats.
C’est le très jeune âge du prévenu, prévient la présidente, et seulement cela, qui lui évite l’incarcération. Douze mois de prison dont six mois avec sursis probatoire, entend un Mehdi remonté dans son box. La peine sera aménagée par un juge de l’application des peines.
Référence : AJU436056