Tribunal de Pontoise : « Y’a toujours une tierce personne, le mec c’est Fantomas »

Publié le 10/08/2022

Michel et Moussa comparaissent à Pontoise pour un recel de voitures volées. Les deux jurent être étrangers aux faits et rejettent la responsabilité sur un mystérieux commanditaire introuvable. Mais Ali, le dépanneur dont les services ont été requis, va les identifier.

Tribunal de Pontoise : « Y’a toujours une tierce personne, le mec c’est Fantomas »
Palais de justice de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Il est 23 heures passées, les policiers du commissariat d’Ermont patrouillent dans la rue Louis Armand à Saint-Leu-la-Forêt lorsque, depuis leur véhicule, ils aperçoivent un camion à plate-forme chargeant une BMW blanche sans plaques à bord d’un container. Éveillés par cette manœuvre suspecte, ils s’avancent en scrutant la scène et aperçoivent, à bord de la BMW dont le moteur tourne, le conducteur qui tente de disparaître sous le volant.

Ils cueillent Michel et, alors qu’ils le menottent, découvrent qu’il serre non pas une mais deux clefs de BMW au creux de sa main. Ils appuient sur le bouton de chacune des clefs dont l’un déclenche l’ouverture d’une autre BMW, garée à 50 mètres, de couleur noire et au moteur encore chaud. Au volant du camion, Ali le dépanneur est embarqué avec Michel.

Les deux véhicules ont été volés et s’apprêtaient à voyager. Ali raconte aux policiers qu’il n’a absolument rien à voir avec l’affaire qu’il commence à entrevoir. Il a été approché par deux hommes, Michel et Moussa, qui sont venus à sa rencontre pour lui demander ce service. « Monsieur Moussa était très poli et s’exprimait bien », explique Ali qui n’a pas flairé l’entourloupe. Lorsqu’il arrive sur les lieux du chargement, seul Michel est présent.

Pendant que le président des comparutions immédiates résume l’affaire, ce mardi 12 juillet, Michel, jeune homme souriant de 21 ans, se recoiffe dans la vitre du box. Il est dans la panade car une question va immanquablement lui être posée : que faisait-il dans le Val d’Oise ? Depuis un jugement du 8 mars 2021 qui l’a condamné pour un recel de voiture, il n’a pas le droit d’aller dans ce département.

« — Alors, Monsieur, expliquez-nous ce que vous faisiez sur place ?

— Ce jour-là, je travaillais et je suis passé voir ma mère qui habite à côté. Je savais que je n’avais pas le droit de venir dans le 95, mais ma mère insiste pour que je vienne la voir, je n’ai pas pu refuser. »

Depuis Gennevilliers où il travaille, il rejoint Saint-Leu-la-Forêt, embrasse sa mère avant de repartir, dit-il, vers le 91 où un ami de la famille l’héberge. « En chemin, je croise un ami de Moussa, qui me demande de l’aider à charger une voiture.

Cela vous paraît normal ? Il y a des circonstances qui auraient dû vous amener à vous poser des questions », remarque le président.

Le procureur intervient. « — Moussa était-il au courant de ces magouilles ?

— Non, pas du tout.

— Ce n’est pas lui, le grand dont vous redoutez les représailles, comme vous l’avez raconté en garde à vue ? Comment expliquez-vous que le chauffeur dit qu’il vous a rencontré vous et Moussa, à bord d’une Peugeot 308 noire ? »

« Moi, je crains les représailles »

Michel ne l’explique pas. Une femme assise au dernier rang a le regard fou d’inquiétude. Elle est rassurée par un jeune homme au visage fermé – la mère et le frère de Michel, vraisemblablement. Un rang devant, une trentenaire, dos droit air grave, porte son regard en direction d’un grand homme baraqué qui accompagne Michel dans son box. Moussa, 26 ans, s’est fait interpeller à son domicile sur indications du dépanneur, qui l’a identifié formellement, et sur la foi des contacts téléphoniques. Son téléphone borne sur les lieux des faits peu après 23 heures, juste avant l’interpellation de Michel.

« — J’étais venu, accompagné de la personne qui détient les deux BMW.

— La fameuse tierce personne ? interroge le président.

— Voilà. J’ai vu Michel qui m’a donné les clefs de la voiture de sa mère, car j’en avais besoin pour amener ma copine enceinte à l’hôpital. Puis je suis rentré. »

Le président se tasse dans son fauteuil et regarde Moussa droit dans les yeux : « Je vais vous expliquer un truc. À chaque fois que nous jugeons des dossiers avec des personnes multiples, y’a toujours une tierce personne, le mec c’est Fantomas. C’est lui qui a tout fait, tout organisé, et pourtant on ne le retrouve jamais. »

Le procureur prend le relais.

« — Et comment expliquez-vous que c’est dans votre téléphone qu’a été insérée la carte SIM qui a contacté le dépanneur ?

— Cette personne, je suis avec elle tous les jours.

— Je vous suggère de donner son nom, comme ça le parquet le fera interpeller à l’heure du laitier et il comparaîtra avec vous dans ce box.

— Je ne peux pas, sauf si en échange vous me promettez de protéger ma famille.

— On n’est pas en train de négocier, Monsieur.

— Moi, je crains les représailles.

— Pour qu’il s’attaque à vous, il faudrait déjà qu’il existe ! » tacle le procureur.

Moussa, qui a refusé de donner le code de son téléphone et est également poursuivi de ce chef, cumule six condamnations pour vol et recel, et présente clairement le profil du donneur d’ordre – le chef de Michel, qui craint de le balancer.

Ce dernier a déjà huit condamnations au casier, essentiellement pour du trafic de stupéfiant. Il poursuit une formation en BTS, passe de multiples entretiens d’embauche et, à côté de son travail à la Poste, conduit des VTC.

« Nous avons des arguments qui viennent plus que balayer les divagations de ces deux prévenus »

Le procureur poursuit le sarcasme : « On parle encore une fois du mec de la cité, le mec fantôme dont on ne sait rien sinon qu’il a vraisemblablement commis les infractions que l’on reproche à Moussa T. » Il demande deux ans de prison avec mandat de dépôt contre Moussa, et 18 mois avec mandat de dépôt contre Michel. « Nous avons des arguments qui viennent plus que balayer les divagations de ces deux prévenus ».

L’avocat de Michel plaide la relaxe sur le recel : « Il n’y connaît rien en vol. Son truc, c’est les stups. Il est sorti de détention en décembre 2021, et depuis il fait beaucoup d’efforts de réinsertion. »

L’avocate de Moussa s’étonne : « On essaie de lui faire porter un chapeau plus grand que son périmètre crânien. Alors c’est vrai, quand on lit le dossier, on se dit qu’il raconte des cracks. Et le dépanneur ? C’est un peu facile de le disculper comme ça. » Elle demande la relaxe, sans grande conviction.

En attendant leur décision, Moussa et Michel plaisantent dans leur box. Le tribunal les déclare finalement coupables : 15 mois pour Moussa, 10 mois pour Michel. Un dernier regard vers la famille et les deux hommes partent en maison d’arrêt.

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