Tribunal judiciaire de Créteil : « Je ne suis ni boxeur, ni sportif ; je n’ai pas pu maîtriser trois agents de police »

Publié le 27/05/2022

Deux frères étudiants, l’un en finances, l’autre en commerce ont comparu le 19 mai devant la 13e chambre correctionnelle du Val-de-Marne pour rébellion et violence sur des agents de police après un accident de moto.

Tribunal judiciaire de Créteil : « Je ne suis ni boxeur, ni sportif ; je n’ai pas pu maîtriser trois agents de police »
Photo : ©P. Anquetin

Anis a 22 ans, Djalil 25 ans. Ces deux frères sont appelés à la barre pour répondre de rébellion et de violences envers trois policiers. D’une minceur d’hanchois, ils ont choisi une tenue élégante et sans ostentation : polo Lacoste boutonné façon hipster et mèche parfaite pour le cadet, chemise col Mao et barbiche Lénine pour l’aîné. Pas de méprise : l’un étudie en licence de commerce et l’autre en master de finances.

Les fait s’enchaînent dans des circonstances dramatiques : vers 20 h le 24 avril 2021 au Plessis Trévise, les policiers sont appelés pour intervenir sur un grave accident de scooter. Lorsqu’ils arrivent, un jeune homme gît au sol, en sang. Auprès de lui, Anis et son cousin, paniqués par l’état du blessé. Ils attendent les pompiers.

Un détail chiffonne les policiers : ils ne voient aucun scooter sur la chaussée et les jeunes s’emmêlent dans des explications confuses. C’est alors que surgissent Djalil, le frère d’Anis, puis les pompiers. Les sauveteurs embarquent l’accidenté pour le transporter aux urgences, toutes sirènes hurlantes. Son pronostic vital est engagé.

Accident de motocross

Pendant ce temps, les policiers fouillent les environs et découvrent non pas un scooter, mais deux motocross dissimulées derrières un fourré. Ils imaginent alors que les jeunes qui sont là, Anis, Djalil et leur cousin, ont provoqué l’accident. Les fonctionnaires s’apprêtent à établir des constatations sur les motos quand Anis se précipite vers l’une d’elle avec l’intention de la récupérer et de filer.

Anis est alors bloqué par une policière. Djalil se porte au secours de son frère. Une bagarre général éclate qui se solde par trois jours d’ITT pour les policiers et deux pour les frères. Anis est seulement poursuivi pour rébellion, mais Djalil l’est pour violences.

Taser

On écoute d’abord la version d’Anis. Il dit qu’il était en état en état de choc après l’accident. Il a pensé que son ami allait mourrit. « Quand les policiers ont vu les motocross, ils ont changé d’attitude ; ils nous ont dit : ‘on va les détruire et on va vous embarquer.’ Quand je me suis approché de la moto, ils m’ont sauté dessus. » Ensuite, son frère intervient pour le soutenir. Tout le monde tombe au sol. « C’est là que je reçois un coup de taser. »

Le président lui fait remarquer : « Ils ont pensé que vous alliez prendre la fuite. Les pompiers ont déclaré : ‘ça a chaffouiné, ils n’ont pas obtempéré.’ »

Djalil raconte qu’il voulait calmer son petit frère, mais que les policiers ont été agressifs et que ça a dégénéré. L’étudiant se montre grand seigneur. « Derrière l’uniforme de police, il y a une personne : l’humain peut faire des erreurs. Ils n’étaient peut-être pas très expérimentés. Je ne juge pas leurs intentions, mais leur réaction a été disproportionnée. »

« Ça lui fait mal, mais il s’arrête »

Sur le banc des parties civiles un policier se crispe instantanément ; il était le chef de groupe appelé sur l’accident « Ça fait vingt ans que je suis dans la police. C’est pour aider les gens, pas pour me battre avec eux. » Les motocross sont trop souvent synonymes de braquages et de tapages dans les cités, sans compter les accidents. Il raconte l’altercation : « Je leur ai demandé de ne pas avancer, de reculer. Ils ne reculent pas. Je les braque en mode dissuasif. Mais il vient au contact. Ma collègue met sa main sur Anis, qui se débat. On tombe tous les trois. Je n’arrive pas à me dégager. Il me donne des coups de pied. » Au bout d’un moment, pour pourvoir lui passer les menottes, il utilise son pistolet électrique. « Ça lui fait mal, mais il s’arrête. C’est la première fois depuis cinq ans que je l’utilise. »

Violence légitime

Les garçons ont aussi subi deux jours d’ITT et tiennent à le rappeler. « Je ne peux pas accepter qu’on dise qu’on n’a pas été violent envers mon frère et moi », s’indigne Djalil. « La société a délégué aux policiers le monopole de la violence » explique encore le président, qui veut décidément s’adresser à l’entendement de ces prévenus. Le débat sur la violence légitime reste en suspens : il faut maintenant examiner leur personnalité.

Leur casier est irréprochable. En plus de son master 2 en finances, l’aîné possède trois salons de coiffure et se rémunère 2 000 € par mois. « Je suis rigoureux, j’avance pas à pas dans la vie de tous les jours. » Le petit frère prépare une licence de commerce international et travaille dans l’un des salons. « C’est quand même étonnant que vous vous retrouviez là… » sermonne gentiment le président.

« Je voulais monter dans l’ambulance »

Le procureur se mue en fait-diversier pour décrire la scène de l’accident, accusant Anis d’avoir voulu enfourcher sa moto alors que « son ami se vidait de son sang. » Anis tente de protester. « Vous n’avez pas la parole », coupe le procureur qui égraine à nouveau les verbatim à charge des pompiers, le nombre de jours d’ITT pour les policiers. Il requiert cinq mois de prison avec sursis pour Anis et dix mois avec sursis pour Djalil. Avec maintien de l’inscription au casier, précise-t-il, car il faut que la société sache.

L’avocate de Djalil tente de convaincre que son client s’est rebellé, certes, qu’il a résisté, comme son frère, mais qu’il n’a pas frappé les policiers. « La parole des policiers est parole d’Evangile, s’inquiète-t-elle. Mais vous n’avez rien dans le dossier qui permette de caractériser qu’il a commis ces faits. »

Djalil se révèle un peu plus imaginatif : « Je ne suis ni boxeur, ni sportif ; je n’ai pas pu maîtriser trois agents de police. Les deux autres policiers étaient très jeunes. J’ai essayé de calmer les choses. J’accepte d’être citoyen de cette société. C’était il y a plus d’un an et demi. »

Et Anis qui n’a pas d’avocat, peut enfin répondre aux attaques du procureur : « Ce n’est pas moi qui ai caché les motos. Je suis resté sur mon ami du début à la fin. Moi je voulais monter dans l’ambulance. »

Il est condamné à trois mois avec sursis et Djalil à six mois sursis. Les deux effectueront un stage de citoyenneté, peut-être pour raisonner sur ce qu’obéir et punir veulent dire.

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