« Tu niques pas une vie pour 1 500 €, ma gueule » 2/4

Publié le 26/10/2021

Un homme de trente ans comparaissait devant la cour d’assises de Créteil pour tentative d’assassinat sur un autre jeune homme de son quartier. Dès le premier jour du procès il a reconnu avoir porté un coup de poignard et s’est excusé (lire notre première chronique)  Jusqu’à ce jour, il avait gardé le silence devant la police et le juge d’instruction. Les circonstances de l’agression sont encore à élucider.

« Tu niques pas une vie pour 1 500 €, ma gueule » 2/4
Tribunal judiciaire de Créteil (Photo : ©P. Anquetin)

L’officier de police judiciaire vient présenter son enquête. Immédiatement après l’attaque, la famille et les amis d’Amir* ont livré aux policiers leur version du drame.

Tragédie en trois actes

Amir, qui est dépendant aux jeux de hasard, disent-ils, avait contracté une dette de 1 400 € auprès d’un troisième homme, Nathan V*, et se montrait peu enclin à rembourser. Nathan V, décidé à récupérer son argent, a d’abord appelé Amir plusieurs fois par jour : 150 appels en une semaine. Puis il a demandé à Tal de recouvrer la dette. Tal a poursuivi le harcèlement téléphonique, sans résultat. Le père d’Amir a surpris une conversation téléphonique : « J’ai pas l’argent. Tu ne me fais pas peur. S’il faut se taper, on se tape. »

Le 20 décembre 2018, trois jours avant l’attaque du Bois de Vincennes, Nathan et Tal isolent Amir dans un coin de la cité pour lui réclamer le remboursement. Tal, qui est athlétique, en vient aux mains avec Amir. Mais Amir pèse 120 kg, il est indéboulonnable et prend le dessus. Nathan et Tal repartent bredouille, humiliés. Cet épisode devra être confirmée par les témoins au procès.

Le 23 décembre, Amir est devant le café en bas de chez lui à Fontenay-sous-Bois. Il est entouré d’une quinzaine d’amis. Tal arrive au volant d’une Clio blanche. Il demande à Amir de monter dans la voiture. Amir s’exécute, ses amis n’interviennent pas. « C’est bon, c’est bon », leur dit Amir. Ils prennent la direction du bois de Vincennes. On retrouvera Amir dans une marre de sang.

Sur écoute

Les policiers qui suspectent un règlement de compte lié à un trafic de drogue perquisitionnent le domicile d’Amir, et ne trouvent rien. En revanche au domicile de Nathan, ils saisissent des stupéfiants, de l’argent… Une procédure incidente est ouverte pour trafic.

Entendu, Nathan déclare qu’il a donné 1 000 € à Amir pour lui acheter de la cocaïne, mais qu’Amir n’a jamais apporté la cocaïne achetée. Et Tal « se serait proposé de récupérer la somme ». Nathan l’affirme : jamais il ne lui a demandé de tuer Amir.

Les fadettes de leurs téléphones confirment les liens entre eux. Après l’attaque du bois de Vincennes, Tal tente de joindre Nathan à plusieurs reprises, mais Nathan ne décroche pas. Tal appelle aussi sa famille, ses amis et vient trouver l’un d’eux, paniqué.

Les semaines suivantes, Nathan et Amir sont laissés en liberté mais placés sur écoute. Le policier relate une conversation de Tal qui demande à un ami d’appeler Nathan : « Essaie d’appeler ce fils de pute, on va voir s’il décroche. » Mais Nathan reste aux abonnés absents, il se tient résolument éloigné de Tal.

Six mois après les faits, les deux principaux protagonistes sont finalement interpelés, placés en garde à vue, puis mis en examen pour homicide volontaire et pour complicité.

Amir sort du coma et parle

En juin 2019 l’officier de police judiciaire interroge Amir dans une chambre dépressurisée après son réveil à l’hôpital. Il confirme l’essentiel. Oui il a emprunté de l’argent à Nathan. Non ce n’était pas pour acheter ou vendre de la cocaïne. Oui il y a eu une altercation trois jours avant les faits : Tal a tenté de lui faire les poches mais Amir ne s’est pas laissé faire. Le 23 décembre, Tal l’a emmené dans le bois, lui a reproché de lui avoir manqué de respect, et lui a donné un coup de couteau. Il a couru vers la ville et a entendu Tal le poursuivre et crier « Je vais te tuer ».

Le bornage des téléphones confirme les différents déplacements et montre qu’ils étaient seuls dans le Bois.

De tous ces témoignages, il apparaitrait donc que Tal aurait poignardé Amir pour laver un affront, et non à la demande de Nathan. Le juge d’instruction prononce le non-lieu pour Nathan. Et renvoie Tal devant la cour d’assises.

Son avocat, Maître Arnaud Simonard, interroge l’officier de police judiciaire :

« —Tal R quitte son domicile et se déplace avec son téléphone allumé ?

—Oui

—Quand il arrive au pied du domicile d’Amir T, il y a une dizaine d’amis. Tout le monde le connaît ?

—Ah je pense, oui ! »

Ces questions annoncent la stratégie de la défense : reconnaître les faits, contester l’intention homicide.

Un petit de la cité

La sœur de la victime vient parler d’Amir avec des hoquets dans la voix. « Chaque soir on nous expliquait qu’il y avait de grandes chances qu’il ne passe pas la nuit. Quand il s’est réveillé, il avait peur. » Depuis qu’il est revenu à la maison, il ne sort plus de sa chambre, « il s’est totalement renfermé sur lui-même ». Elle espère qu’après le procès « il pourra tourner la page. » Amir reste tête baissée, accablé.

Elle confirme : oui son frère était addict aux jeux de hasard. Leur mère avait l’habitude d’éponger ses dettes pour lui éviter les ennuis. Elle raconte aussi qu’elle connaît la famille de l’accusé ; elle a le même âge que l’une de ses sœurs.

Que sait-elle des faits, demande la présidente ? « Je pense que Tal a été missionné par son ami Nathan pour récupérer de l’argent, que Tal ne se sentait par redevable envers Nathan. Tal s’est senti humilié, il a menacé ma mère. Amir, ça ne lui a pas plu, il a dit « je ne te donnerai rien. » Tal est venu pour se venger de cette humiliation et montrer qu’un petit ne pouvait pas lui manquer de respect. »

Amir essuie quelques larmes, enfin ! A la fin de cette première journée d’audience, la thèse de la tentative d’homicide volontaire avec préméditation semble corroborée par la police et les proches d’Amir, mais le procès est loin d’être fini.

*Les prénoms et initiales ont été changés.

 

(à suivre…)

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