Viol à la prison de Fresnes : « C’était un calvaire. J’ai cru que j’allais mourir cette nuit-là ! »
Un homme de 22 ans comparaissait les 27 et 28 juin devant la cour d’assises de Créteil pour plusieurs viols sur son codétenu à Fresnes en 2019. Les réquisitions et les plaidoiries révèlent un même constat : l’impuissance des institutions face à la violence carcérale.
Les réquisitions de l’avocate générale Marion Py ce vendredi après-midi aux assises de Créteil nous conduisent tout droit dans le huis clos de la cellule 277 de la prison de Fresnes le mercredi 11 décembre 2019.
Détenus « compatibles »
Martin*, tout juste vingt ans, taille moyenne, cheveux châtains, est en détention depuis quinze jours après la plainte déposée par sa sœur pour viol et agression sexuelle. Ce jour-là, son paisible codétenu est remplacé par un nouveau. Adama*, 19 ans, long et sec, s’installe sur la couchette du bas bien trop courte pour lui. Il est mis en examen pour le viol de son ex-petite amie.
Martin et Adama sont réunis parce que l’administration pénitentiaire les estime « compatibles. » Comprendre : ils sont tous deux mise en cause pour des crimes sexuels et ne se puniront pas l’un l’autre, pense-t-on. L’avocate générale décrit la hiérarchie qui règne en prison entre détenus. Au sommet, les condamnés à des peines de 18 ou 20 ans pour vol à main armée, homicide… Tout en bas, les condamnés pour crimes sexuels, parias parmi les parias, objets de toutes les humiliations, de tous les sévices. Pour leur éviter cette double peine, l’administration les rassemble dans les mêmes cellules.
Double mise en examen pour viol
Quand il arrive en détention, Adama est en état de détresse physique et psychique : malade de la tuberculose, anxieux, il ne prend aucun traitement et refuse tout suivi. Il va même jusqu’à se « mutiler », affirme son avocat Me Maxime Liévin.
L’enquête de personnalité a raconté une famille bienveillante mais des troubles du comportement précoces. Adama est renvoyé d’école en école, de collège en collège. À quinze ans, il fume du cannabis au pied de l’immeuble avec les pires fréquentations du quartier. Il est bientôt condamné à du sursis pour vol, puis à différentes peines aménagées de moins en moins aménagées.
À seize ans, il est interpellé après le braquage d’une bijouterie et le viol de la commerçante sous la menace d’une arme : deux fellations imposées et une tentative de sodomie. En 2019, alors que le procès d’assises pour le casse ne s’est pas encore tenu, l’ex-petite amie d’Adama porte plainte contre lui pour viol. Il est à nouveau mis en examen et incarcéré à Fresnes. Sans visites, sans activités, il sombre et fait une première tentative de suicide. On le change de cellule contre son gré ; il se retrouve avec Martin, cellule 277.
« Si tu parles, t’es mort »
En colère, Adama prend immédiatement l’ascendant sur Martin. Quand il lui demande d’éteindre la télé, Martin obéit. Quand il demande de sortir de la cellule, il sort. Il l’insulte et le menace. Le 13 décembre 2019 à 17 heures, Adama plus énervé que d’habitude, se déchaîne sur Martin, à coups de poings et de genoux. Martin se recroqueville dans un coin de la cellule, les bras sur la tête. « Un véritable passage à tabac », selon l’avocate générale.
Le soir, Adama s’en prend à nouveau à Martin, lui saisit les cheveux et l’oblige à lui faire une fellation, puis il le sodomise. « Si tu parles, t’es mort », menace Adama. Martin se réfugie ensuite sur sa couchette, mais Adama ne s’endort pas. Il fume et regarde la télé toute la nuit. À cinq heures du matin, il tire Martin de son lit et le viole à nouveau. « C’était un calvaire. J’ai cru que j’allais mourir cette nuit-là », dira Martin à la barre.
« J’ai eu un coup de folie »
Dès le matin, à dix heures au parloir Martin se confie à sa famille. « J’ai vu le mal-être, la douleur sur le visage de mon fils, dira sa mère à la cour. Je pensais que dans une institution de l’État, mon fils serait protégé. » Martin refuse d’aller à la douche, à la promenade, il évite Adama autant que possible. Enfin, il parle à l’administration pénitentiaire et sa plainte est enregistrée.
Les autres détenus assurent n’avoir rien entendu. Martin proteste : « J’ai crié, mais dans les deux cellules qui nous entourent, l’un est un ami d’Adama, l’autre ne peut pas me voir. » Les médecins relèvent deux bleus sur sa cuisse et son bras, une marque au niveau du tympan.
Adama est transféré à la prison de Meaux. Interrogé par l’administration pénitentiaire, il nie d’abord en bloc. Puis devant les policiers il reconnaît une bagarre, mais pas de relation sexuelle. Quand les analyses détectent le sperme d’Adama sur les sous-vêtements de Martin et aucune trace de sperme de Martin, Adama reconnaît une relation sexuelle, mais consentie et donc sans les violences qu’il avait avouées plus tôt. Enfin devant l’expert psychiatre, se sentant « écouté sans jugement », il avoue qu’il a eu une « pulsion » : « J’ai pété les plombs, j’ai eu un coup de folie. » Il a imposé à Martin une fellation et une sodomie, mais une seule fois, minimise-t-il encore.
L’auteur devient victime
On est alors en mars 2021 et l’histoire ne s’arrête pas là ; elle se répète car à la prison de Meaux, Adama est immédiatement qualifié de « pointeur » par ses nouveaux codétenus. Un jour, ils le bloquent et le violent au moyen d’un manche de poêle à frire, non par pulsion sexuelle, mais par punition. C’est donc le cinquième viol qui apparaît dans cette affaire.
Entre-temps les autres dossiers pénaux suivent leur cours : la plainte pour viol de la sœur de Martin a fait l’objet d’un non-lieu et le crime a été requalifié en agression sexuelle. Il attend son procès correctionnel en appel. En 2020 Adama est condamné à cinq ans pour le cambriolage et le viol dans la bijouterie. Et, en février 2022, à douze ans pour le viol de son ex-compagne, qu’il nie toujours.
Aveux complets devant la cour
En revanche, aujourd’hui en juin 2022, Adama reconnaît la totalité des faits de viol sur Martin, y compris le deuxième épisode qu’il niait encore un an plus tôt. « Je suis là pour dire la vérité. Je n’y suis pas allé de main morte. Tout ce qu’a dit Martin, c’est comme ça que ça s’est passé. Je m’excuse. »
Pendant une demi-heure, l’avocate générale Py souffle le chaud et le froid, tantôt humaniste, tantôt sévère, tantôt compatissante, tantôt impersonnelle. « Pour ces deux viols, il encourt quinze ans de réclusion », assène-t-elle, avant d’analyser en détail la violence du contexte : la cellule de 9 m2, les détenus dits « compatibles », « la surpopulation carcérale », les demandes de changement de cellule restées lettre morte. « Il y a une forme de responsabilité collective » reconnaît-elle, allant jusqu’à s’étonner que les surveillants n’aient rien vu, rien entendu. « J’aimerais savoir comment ça s’organise la nuit à Fresnes, comment personne ne l’a entendu hurler ? » Bonne question pour qui officie au parquet de Créteil.
Lourdes réquisitions
Le viol est selon elle caractérisé puisqu’il y a eu pénétration, violence, contrainte et même surprise. Elle met cette « escalade dans la violence » sur le compte de « l’assouvissement d’une pulsion personnelle. Entre 2016 et 2019, il y a eu trois passages à l’acte. Le désir sexuel n’a aucune limite, que ce soit une inconnue, son ancienne compagne ou son codétenu. Il a profité de la vulnérabilité de Martin. » Elle dresse d’ailleurs une liste de travers tirés des expertises psychiatriques : « grand caractériel, impulsif, difficulté de gestion de la frustration, sentiment de toute-puissance, absence de considération des autres, obsession pour le sexe mais pas aliénation. »
L’avocate générale loue bien sûr les aveux de l’accusé, mais les estime « tardifs ». Elle ne peut pas non plus ignorer le viol qu’il a lui-même subi : « il y aura un autre procès d’assises, il s’est mis à la place des victimes. Aujourd’hui, il est là pour assumer les faits et dire la vérité. Les troubles ne sont pas définitifs ; il est jeune et il a envie d’évoluer. » Mais elle requiert quand même quatorze années de réclusion criminelle, un an de moins que la peine maximale. De la responsabilité collective évoquée plus haut, il ne reste rien.
« Marqué dans sa chair »
Me Liévin doit ajuster sa défense. « Devant cette peine requise de quatorze ans, je veux plaider la logique, la cohérence. » Adama a déjà été condamné à cinq ans et à douze ans dans les précédentes affaires alors qu’il niait. Cette fois, il a reconnu les faits et les débats ont été apaisés, fait valoir l’avocat.
Pour tenter de diminuer le quantum de la peine, il manie un argument ambigu : Adama a déjà été sanctionné. « Je suis obligé d’en parler. Il a été violé par mesure de rétorsion. Il a été marqué dans sa chair. Les lois de la République ont été devancées par les lois de la détention. Il faut le prendre en compte. »
Surtout Adama « change et il nous le démontre. » Il n’est pas pervers, disent les experts, « il ne prend pas plaisir à faire souffrir l’autre. » Il est en demande de soins, participe à des groupes de parole. « Si vous mettez 14 ans, alors cela voudra dire que tout ce travail entrepris n’est pas pris en considération. Il y a des risques qu’il abandonne. Je veux qu’il soit traité, qu’il soit guéri, qu’il puisse un jour reprendre une vie normale. Je pense que vous enverrai le bon message. »
En 2049
Face à la lourdeur des réquisitions, sa consœur Me Hannah Waymel vient en renfort. Elle a accompagné Adama depuis le début, témoigne de son évolution et dessine un avenir lointain : « Sur la base de ses précédentes condamnations, il a aujourd’hui une fin de peine prévue en 2035. Une peine supplémentaire de quatorze ans signifierait une fin en 2049 ! Quels soins sont envisageables avec une fin de peine en 2049 ? »
Avant que la cour se retire pour délibérer, Adama, qui était resté tête baissée tout au long des plaidoiries, se redresse de toute sa hauteur comme un roseau, et d’une voix claire : « Je voulais m’excuser auprès de Martin si c’est possible, sincèrement. »
Après 2 h 30 de délibérations, la cour annonce le verdict : douze ans de réclusion criminelle. Adama devrait être libéré en 2047.
*Les prénoms ont été modifiés.
Référence : AJU304638