Tribunal de Meaux : « J’ai pris la vie d’un père alors que j’allais devenir papa »

Publié le 10/10/2022

Le procureur de Meaux (Seine-et-Marne) a parlé de « fossé abyssal entre les fautes et les conséquences » pour requérir contre Martin* qui, soûl au volant, a tué Laurent, époux et père. En présence des deux familles, ce procès a rappelé que conduire sous l’empire de l’alcool cause encore des milliers de drames chaque année.

Tribunal de Meaux : « J’ai pris la vie d’un père alors que j’allais devenir papa »
Intérieur du TJ de Meaux ©I. Horlans

 La nuit est tombée sur le tribunal de Meaux, le président et ses assesseurs délibèrent. Jean-Baptiste Bladier, le nouveau procureur installé en octobre, quitte son pupitre, traverse la salle. Il salue la veuve de Laurent, les frères du cycliste tué le 12 juin 2022 à Noisiel. Il veut leur apporter un soupçon de réconfort. La justice comprend leur désespoir mais la sanction ne sera pas à sa hauteur. Aucune peine n’atténuera la perte d’un père parti à vélo un dimanche à 8 heures, heureux de sa balade en bordure de la Marne.

Jean-Baptiste Bladier, président de la Conférence nationale des procureurs de la République, est à 47 ans un magistrat très préoccupé par les atteintes aux personnes, quelle qu’en soit l’origine. Déjà, en début d’après-midi ce vendredi 7 octobre, on avait perçu son humanité lorsqu’il avait rejoint 25 écoliers pour aborder son métier. « Pourquoi des étrangers viennent voler en France ? », avait demandé un petit garçon. « À cause de la pauvreté. Ils pensent pouvoir mieux vivre ici. » Ni stigmatisation ni blâme public.

« J’ai couru vers l’homme à terre, je lui ai tenu la main »

 Aussi, quand s’ouvre le procès de Martin, un jeune homme de 29 ans qui vit sa première comparution devant la justice, on pressent que le chef du parquet saura s’exprimer sans outrances. Le prévenu s’accroche des deux mains à la barre. Une auditrice de justice lit le rapport des faits, il confirme que « tout s’est passé ainsi ». Dimanche 12 juin, à 8 h 30, il rentre rejoindre sa femme enceinte de huit mois à l’issue d’une nuit passée avec des amis. La bière et le cognac ont coulé à flots : « Je me sentais bien, malgré la grosse fatigue de la semaine au travail. J’ai tourné rue Georges-Brassens, il y avait un cycliste au loin. Et je me suis endormi. Le choc m’a réveillé, l’airbag qui se déploie, le pare-brise qui éclate… J’ai couru vers l’homme à terre, je lui ai tenu la main et j’ai appelé les secours. »

Laurent, 45 ans, percuté par l’arrière, a été éjecté. Sa tête casquée a heurté un candélabre. En dépit des soins sur place, il meurt à 9 h 24. Sa femme et ses enfants de 12 et 16 ans l’attendaient à la maison. Martin, placé en garde à vue, présente un taux d’alcool de 0,75 mg par litre d’air expiré (la limite autorisée est de 0,25 mg/l). « J’ai conscience du mal que j’ai fait, murmure-t-il. Je présente mes excuses à sa famille. J’ai pensé à leur écrire, je n’ai pas osé. Ce ne sont que des mots mais vivre avec ça sur le cœur est impossible. J’ai pris la vie d’un père alors que j’allais moi-même devenir papa… »

Son bébé est âgé de trois mois. Son épouse, ses parents, sont assis à gauche du prétoire.

« L’acte ultime est involontaire, pas ce que vous avez fait avant »

 À droite, la veuve et les deux frères de Laurent l’écoutent. Ils ne souhaitent pas témoigner. Martin poursuit : « Je ne cherche pas d’excuses. Ce que j’ai fait est irresponsable. J’aurais pu blesser ma femme si je l’emmenais pour accoucher. Aujourd’hui, seul m’importe que la famille ressente ma peine, entende mes regrets. Rien ne m’aidera à oublier. Je dois vivre avec la mort d’un homme sur la conscience pour le restant de mes jours. »

Au nom des parties civiles, dont les enfants de Laurent, Me Florence Pain insiste sur la notion de choix. Celui « de s’alcooliser, de prendre le volant, de rouler ivre. À la famille que je représente, vous avez ôté tous les choix. Y compris, pour deux adolescents, celui de dire au revoir à leur père ».

L’avocate de l’assureur précise que la compagnie « se retournera contre le conducteur ». Une évidence, et la perspective d’une lourde sanction.

Le procureur Bladier évoque « l’abîme à juger » un homicide involontaire, « le fossé abyssal entre les fautes et les conséquences », la peine prévue par le Code pénal qui jamais ne compensera le vide. « Certes, vous ne vouliez pas la mort de Monsieur B. mais seul l’acte ultime est involontaire, pas ce que vous avez fait avant : boire, ne pas dormir, conduire, c’est volontaire ! Vous avez provoqué ce qui est arrivé. »

« Je suis un meurtrier de la route »

Le ministère public reconnaît à Martin sa « droiture », son « honnêteté » et salue son attitude d’une paraphrase puisée dans le chapitre 8 de l’Évangile selon saint Jean : « Seule la vérité rend libre. » Cependant, il faut « requérir une peine qui, dans les symboles, soit à la hauteur de la gravité des faits » : quatre ans de prison avec sursis, 10 000 € d’amende, annulation du permis de conduire pendant cinq ans.

Martin a plusieurs fois opiné. Me Bérangère Escudier, son avocate, pense d’abord à Laurent et aux siens, « anéantis ». « Mon client a commis un tas d’imprudences aux répercussions irréversibles. On entend souvent “je me sens capable de conduire”, on pense que “ça n’arrive qu’aux autres”. Puis, voilà, on cause de terribles souffrances », regrette-t-elle. « Il avait tous ses points de permis, pas de casier judiciaire, il travaille depuis six ans en CDI, n’avait jamais eu affaire à un policier », plaide Me Escudier. Elle conclut : « La plus lourde peine est d’avoir ôté la vie. Il se l’est infligée seul. »

En garde à vue, Martin avait déclaré : « Je suis un meurtrier de la route, je ne pourrai plus conduire ni boire. » Il reste obsédé par la vision de Laurent au sol, de ses plaies, des images de vidéosurveillance qui l’ont confronté à la scène. Tourné vers la famille de sa victime, il dit : « J’ai brisé votre vie. Je vous demande pardon. » Il rejoint ses parents effondrés, la mère de son bébé. Et le procureur Bladier s’approche des parties civiles. Tout le monde est bouleversé.

À 20 h 33, le président Servant s’adresse aux parties civiles. « Nous sommes de tout cœur avec vous. » L’auditrice de justice, qui a fait preuve de grand tact dans la conduite des débats, prononce la sentence : trois ans de prison avec sursis, autant d’années sans permis et un stage à la Sécurité routière. Les intérêts civils seront fixés 16 mai 2023.

Les deux familles quittent la salle sans un regard l’une pour l’autre. Martin a la tête baissée. On le sent crouler sous le poids de la culpabilité.

* Prénom modifié

Tribunal de Meaux : « J’ai pris la vie d’un père alors que j’allais devenir papa »
Jean-Baptiste Bladier le 7 octobre 2022 à la 1ère chambre correctionnelle de Meaux. L’ex-procureur de Senlis (Oise) dirige un parquet constitué de 20 magistrats (Photo : ©I. Horlans)

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