Violences conjugales : « Et les enfants, vous les frappez aussi ? »

Publié le 28/02/2022

Le 5 janvier 2022, l’audience correctionnelle à juge unique du tribunal de Pontoise attend qu’un prévenu incarcéré soit présenté dans la salle où il sera jugé en visioconférence. Pour gagner du temps, la juge examine en vitesse des dossiers qui chaque jour prennent le plus de place à l’audience : des violences conjugales.

Violences conjugales :  « Et les enfants, vous les frappez aussi ? »
Palais de justice de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

La juge s’impatiente. « Il doit arriver, mais, ben, je sais pas quand », répond l’huissière en agitant les bras. L’écran de visioconférence affiche la traditionnelle nature morte carcérale : une table, une chaise, sur fond de murs blancs défraîchis. Porte en fer et bruits de fond métalliques. Impuissante, la magistrate attend qu’un surveillant amène son prévenu. « Bon, en attendant on va prendre le dossier par défaut, ça ira vite. »

Dans le prétoire, personne ne s’avance. Abdelali, 32 ans, a préféré esquiver l’audience qui va le juger en son absence pour des violences commises à l’encontre de sa femme, le 26 mars 2020. La juge balaye la salle du regard.

« —La victime est absente ?

— Je la représente ! » Une avocate s’extrait de son banc. Elle conseille Hanane, l’épouse du prévenu, dans la procédure de divorce.

« — Où en est le couple ?, interroge la présidente.

— L’ordonnance de non-conciliation est prévue le 20 janvier. Monsieur était absent lors de l’audience car il refuse de divorcer.

— Mais ils sont séparés ?

— Non, ils vivent sous le même toit, c’est ça qui est compliqué. Mais ma cliente dit qu’il se tient bien. Il n’y a plus de violence. La procédure de divorce lui met la pression, je pense. »

Une procédure qu’elle a fini par engager après les faits que le tribunal est appelé à juger.

Il lui a jeté du thé brûlant au visage

Hanane est battue par son mari depuis des années.  Le 26 mars 2020, elle s’est enfin décidée à appeler la police. Elle a raconté que son mari l’avait étranglée et lui avait porté des coups au visage. Leurs enfants ont dû s’interposer pour mettre fin à l’agression. Abdelali s’en défend : il dit qu’elle lui a jeté du thé brûlant au visage, qu’elle l’a agressé et lui a tordu le doigt. Il n’aurait  fait que se défendre en la poussant.

« Il affirme, cite la présidente, qu’il fait de la boxe depuis 22 ans, et qu’il lui aurait fait très mal s’il l’avait vraiment frappé. » Hanane confirme l’incident du thé brûlant, mais rectifie : « c’est lui qui me l’a jeté ! ». Hélas pour la procédure, Hanane a refusé d’être examinée par l’unité médico-légale.

Son avocate s’avance pour plaider.

« — Je garde le masque ? demande-t-elle.

— A 300 000 cas par jour, tout de même, je pense qu’on pourrait prendre quelques précautions », euphémise la juge.

—  Ma cliente m’a expliqué qu’elle subit des violences depuis 2006. Elle n’a pas de famille en France, elle est isolée et son mari lui interdit tout. La seule fois où elle est allée sur le marché, et c’était avec sa belle-mère, elle a pris des coups. Ils ont cinq enfants, dont certains en bas-âge, et Monsieur confisque les allocations familiales sur le compte de sa femme pour son usage personnel. »

Comment les violences ont débuté, ce 26 mars ? « Il a piqué une crise, car ma cliente a servi le dernier verre de thé à l’un des enfants qui le réclamait, alors qu’il se le réservait. » Le jour des faits, Hanane n’a pas porté plainte. Mais lorsque les policiers sont repassés en l’absence d’Abdelali pour prendre de ses nouvelles, Hanane a trouvé le courage de dénoncer la violence de son compagnon. L’avocate demande 4 000 euros de dommages et intérêts.

La procureure évacue rapidement la « version incohérente du prévenu », et regrette qu’il soit absent, car elle aurait aimé requérir un sursis probatoire, ce qui aurait supposé de recueillir  son adhésion à une telle mesure. Elle demande néanmoins 8 mois de prison avec sursis et une interdiction de contact, ainsi qu’un stage contre les violences conjugales.

 

« J’ai lancé une fourchette au mur, elle a rebondi et lui a frappé la tête »

Le prévenu attendu en visioconférence n’apparaît toujours pas, mais cela ne fait rien : l’huissière a prévu un autre dossier. Sofiane frottait ses mains moites depuis deux bonnes heures au premier rang de la salle, et c’est d’un pas lourd, le front incliné, qu’il se rend à la barre.

La présidente ne le regarde même pas, et résume : le soir du 24 février 2021, Sofiane est rentré ivre du bar où il se saoule régulièrement. Le repas préparé par sa compagne Laïla ne lui a pas plu, en plus il manque sa fourchette. « C’est comme ça qu’on sert son mari ? » lui lance-t-il, avant de renverser l’assiette sur la table et de partir se coucher. Entre-temps, Madame a été percutée par une fourchette.

La juge brandit une photo : « On le voit bien, il y a du sang, c’est ouvert ». Une plaie non négligeable barre le front de la plaignante, qui affirme que Sofiane lui a jeté la fourchette au visage avant d’aller ronfler. Sofiane fait profil bas : « Je présente mes excuses. » Mais il discute les faits.

« — J’ai lancé une fourchette au mur, elle a rebondi et lui a frappé la tête.

— Soit vous balancez sacrément fort les fourchettes, soit vous mentez. Vous aviez bu combien ? 3 ou 4 verres ? Vous vous rendez compte de la gravité ?

— Oui.

— Pourquoi c’est grave d’être violent avec son épouse ?

— Moi, je m’excuse, franchement je ne suis pas violent. Enfin, ça m’est déjà arrivé avant, mais je le fais plus.

— Vous avez conscience que votre épouse a peur de vous ?

— Je ne savais pas.

— Et les enfants, vous les frappez aussi, comme madame le rapporte ?

— Des fessés !

— Et des coups sur la tête ?

— C’est arrivé une fois, ma fille a esquivé une fessée et a pris un coup sur la tête.

— Bon, on ne va pas creuser ici. Mais ayez conscience que c’est grave, car dans votre foyer, tout le monde a peur de vous. »

La procureure requiert 6 mois de sursis probatoire. La défense plaide l’électrochoc de l’audience : « Monsieur est terrorisé, c’est aussi une réalité. C’est bien d’avoir peur de ses juges ! »

Après une courte pause pour délibérer, la juge condamne Abdelali à 6 mois de prison avec sursis ; il devra également suivre un stage sur les violences conjugales et  verser 1 500 euros de dommages et intérêts à Hanane. Quant à Sofiane, il écope de 5 mois de prison avec sursis probatoire : obligations de soins pour traiter sa consommation excessive d’alcool, interdiction d’entrer en contact avec son épouse et, bien entendu, de rester au domicile conjugal.