Violences conjugales : « Si j’avais une arme, ce serait bang bang dans ta tête »

Publié le 18/01/2022

Alcoolique, Manuel a transgressé l’interdiction qui lui était faite de ne pas entrer en contact avec sa femme qu’il avait menacée et agressée à plusieurs reprises. En manque d’alcool, tremblant, il comparaissait le 10 novembre devant le tribunal de Pontoise.

Violences conjugales : « Si j'avais une arme, ce serait bang bang dans ta tête"
Tribunal judiciaire de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Manuel est un cap-verdien à l’air triste. Assisté d’un interprète en langue portugaise, il se présente, mélancolique, au tribunal correctionnel de Pontoise, qui le juge en comparution immédiate pour ne pas s’être conformé à une ordonnance de protection prise à son encontre, au bénéfice de sa compagne, et pour des menaces de mort contre cette dernière.

Quand il parle d’une voix plaintive, haute et éraillée, Manuel a les paupières qui tressautent sous l’effet des sanglots, comme s’il narrait la litanie de ses malheurs. En réalité, il donne simplement son adresse et sa date de naissance, Bessancourt dans le val d’Oise, 41 ans, qu’il répète en boucle, car « Monsieur est un peu stressé », précise son avocate.

La présidente note l’adresse, regarde le dossier et, lasse, ferme les yeux un instant.

« —Monsieur, c’est l’adresse de Madame, qui est partie civile

— C’est mon adresse aussi ! » rétorque Manuel, outré.

—Vous n’avez pas le droit de vivre sous le même toit que madame, donc quelle est votre adresse ? »

Manuel finit par lâcher celle de sa modeste chambre d’hôtel, située à 200 mètres du domicile de sa femme, Héléna, trentenaire alerte qui attend sagement au fond de la salle.

Manuel est un travailleur consciencieux, 11 ans dans la même entreprise, mais il n’a pas su enrayer la prise de pouvoir du rhum sur son corps et son esprit. Le rhum, il a toujours aimé cela, il n’y a jamais été de main morte, mais il boit trop depuis 2017, estime Héléna. « Et beaucoup trop depuis 2020 », ajoute-t-elle. Pendant le confinement, désoeuvré, l’alcool a remplacé le turbin, et Manuel a sombré.

Au fil des mois, il se montre agressif, insultant, menaçant. Héléna a la tête sur les épaules, et n’entend pas subir plus longtemps l’attitude de son mari, qui a lâché prise pour de bon, pense-t-elle. La priorité est de protéger leur fille de 12 ans. « Je préfère être hors de portée de ses mains », a -t-elle expliqué en procédure.

A la mi-septembre 2021, Manuel tambourine comme une brute à la porte de la chambre de sa fille, où celle-ci et Héléna se sont réfugiées. Impuissant à les faire sortir, il se venge en  en montant le son de la télévision au maximum. Au matin, quand Héléna sort pour aller aux toilettes, il se jette sur elle pour lui prendre son téléphone, en lui tordant l’avant-bras.

« Je connais l’odeur de l’alcool : c’est celle de mon père quand il me parle »

Régulièrement, il lui écrit des messages d’insultes (« T’es qu’une sale pute »), et effraie tant sa fille qu’elle demande à sa mère de porter plainte. « Je connais l’odeur de l’alcool : c’est celle de mon père quand il me parle », dit-elle aux policiers. « Il sent mauvais, et dès fois, il ne tient pas bien debout ».

Le 30 septembre, la voisine du dessous appelle la police, car elle a entendu Héléna crier « lâche-moi » à plusieurs reprises. La police intervient, Madame se plaint de menaces de mort et se voit prescrire 3 jours d’ITT psychologiques. C’est la deuxième fois qu’elle porte plainte.

Une ordonnance de protection est prise par le juge aux affaires familiales, qui éloigne quelque peu Manuel, mais pas plus loin qu’au coin de la rue. La présidente lui demande pourquoi il ne s’est pas trouvé un autre hôtel. « C’est le seul de la ville, et je veux voir ma fille ! » Mais Manuel n’a pas le droit d’aller à leur domicile, seule une visite médiatisée est permise, au sein des locaux d’une association, dont la greffière griffonne l’adresse et le numéro, avant de glisser le papier à l’avocate de Manuel.

« Ce serait bang bang dans ta tête, et bang bang dans la mienne »

Désormais seul, Manuel fait le grand saut dans la déprime. Les policiers ont dénombré 646 appels à son ex entre le 13 octobre et le 8 novembre, dont 119 le 7 novembre. « C’est pas du harcèlement, ça ? » Manuel ne comprend pas. « Je ne savais pas si elle m’avait bloqué », alors dans le doute, il fait bis. Quand il n’y tient plus, finalement, Manuel traîne sa carcasse jusqu’au palier de sa femme. Le 7 novembre d’abord, puis le 8 novembre. Il s’excite seul devant l’huis qui demeure clos. « Si j’avais une arme, ce serait bang bang dans ta tête, et bang bang dans la mienne. Tu vas ouvrir, et c’en sera fini de tout cela. » Héléna appelle la police, qui ramasse un pochard vociférant qui pointe à 2,14 grammes à l’alcootest.

Très confus, niant tout en bloc pendant sa garde à vue, Manuel admet désormais tout sans ambages. Il tremble dans son box. Ce n’est pas la peur des juges, mais le manque d’alcool. Héléna est invitée à témoigner à la barre.

« —Malgré tout, c’est un très bon père, très aimant. Pour tout vous dire, je ne l’ai jamais vu aussi saoul en 15 ans. Et malheureusement, je suis quasiment sûr qu’il recommencera.

— Qu’est-ce que vous voudriez ? demande la présidente.

— Qu’il se soigne, qu’on l’oblige.

— Mais on ne peut pas obliger quelqu’un à se soigner. »

L’assesseur intervient. « Monsieur ? Monsieur a bien compris qu’il ne retournerait jamais chez Madame ?

— Si », répond directement Manuel.

La procureure requiert contre Manuel, dont le casier est vierge, un an de prison, dont six mois de sursis probatoire avec l’obligation de soins, de travail, et l’interdiction d’entrer en contact avec la victime, mais craint que Monsieur reste sourd aux avertissements de la justice. La défense la rassure : « Monsieur, il a peur. Cela va cesser, car le fait d’être devant vous, aujourd’hui, c’est suffisant pour un profil comme celui-ci. » En guise de derniers mots, Manuel, qui sans s’arrêter psalmodie en portugais dans sa cage en verre, dit enfin : « Je ne suis jamais allé travailler sans dire au revoir à ma fille ! »

C’est à un Manuel toujours tremblant que le tribunal a finalement infligé une peine de 4 mois de prison avec sursis probatoire, comprenant les obligations et les interdictions demandées par le parquet, ainsi qu’une interdiction de se rendre dans la commune de Bessancourt.

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