Yvelines : la police nationale et le conseil départemental forment les agents publics à la lutte contre les violences conjugales

Publié le 27/05/2024
Yvelines : la police nationale et le conseil départemental forment les agents publics à la lutte contre les violences conjugales
Tof – Photographie/AdobeStock

Des formations à la lutte contre les violences conjugales dans les Yvelines. Cette initiative est menée conjointement par la police nationale des Yvelines et le conseil départemental des Yvelines. Destinée aux fonctionnaires des communes et des agents des collectivités locales du nord du département, cette journée de sensibilisation doit permettre d’acquérir les automatismes pour accueillir, protéger et orienter une personne victime de violences conjugales. La majore Fabienne Boulard, responsable délégation d’aide aux victimes à la police nationale des Yvelines, et Carole Souied, chargée de mission prévention des violences intrafamiliales au sein du secteur d’action sociale départementale Seine Aval, animent ces sessions depuis deux ans maintenant. Elles se sont confiées à Actu-Juridique sur l’intérêt et les enseignements tirés des formations effectuées. Rencontre.

Actu-Juridique : En quoi consiste la journée de sensibilisation à la lutte contre les violences conjugales effectuée par la police nationale des Yvelines en collaboration avec le secteur d’action sociale du conseil départemental ?

Fabienne Boulard : Cette formation se déroule sur une journée et une durée de six heures. D’abord, nous commençons par les fondamentaux en définissant le phénomène, les différents types de violences, le cycle, la stratégie de l’agresseur et les conséquences sur la victime. Par exemple, nous faisons la distinction entre le conflit et les violences. D’un côté, c’est symbolisé par un désaccord dans le couple où chacun peut faire valoir ses arguments. Dans ce cas-là, il n’y a pas de situation de domination de l’un sur l’autre. Dans le cadre d’une violence, l’auteur dans le couple provoque toujours la situation peu importe le sujet et la victime n’a pas le droit à la parole.

Carole Souied : Durant cette journée, nous faisons de la sensibilisation aux violences dans le couple et nous avons besoin de recontextualiser. Aujourd’hui, 86 % des victimes de violences sont des femmes et 95 % des auteurs sont des hommes. Face à ces chiffres, nous avons parfois des réactions du type : « Il n’y a pas que les femmes… ». Nous insistons sur le fait que les conséquences sont les mêmes pour un homme victime. Mais nous recontextualisons aussi par rapport à l’histoire du droit des femmes avec les grandes dates et les évolutions légales. C’est important car la domination masculine s’inscrit dans l’histoire et elle permet d’expliquer la situation actuelle.

AJ : En quoi cette étape de définition et de recontextualisation est essentielle pour comprendre le phénomène des violences conjugales ?

Fabienne Boulard : Ces définitions et cette recontextualisation sont essentielles pour différentes raisons. D’abord, nous définissons les types de violences car certaines personnes ne se rendent pas compte ou n’ont pas conscience qu’elles sont ou ont été victimes. Elles peuvent aussi avoir honte. Dans une session, une femme aujourd’hui séparée de son mari s’est rendu compte, grâce aux explications, qu’elle avait été victime de violences. Elle a bien précisé qu’elle n’aurait pas été capable de le savoir avant la formation.

Carole Souied : L’expression « femmes battues » est encore trop utilisée. Mais il n’y a pas uniquement l’aspect physique. Il faut bien insister sur cette réalité. Les violences économiques et administratives sont aussi destructrices avec la rétention des papiers d’identité, des moyens de paiement… Sur les violences sexuelles conjugales, le texte de loi précise bien : « contrainte, menace ou surprise ». Si une femme se sent obligée d’avoir un rapport sexuel avec son mari car elle pourrait subir son comportement en cas de refus, c’est un viol. En acceptant, elle sait qu’elle sera « tranquille », si je puis dire. Certaines femmes disent qu’en cas de refus, elles peuvent vivre un enfer le lendemain, sans forcément subir des violences physiques.

Fabienne Boulard : Dans le cycle des violences conjugales, il y a quatre phases : la tension, la crise, la justification et la rémission. Ce cycle permet d’expliquer le comportement des victimes. La personne qui subit les violences va demander de l’aide ou déposer plainte pendant la crise. Dans la période de rémission, elle peut retirer sa plainte, revenir auprès de l’auteur et parfois même reconnaître sa responsabilité dans les actes de son conjoint. Cependant, ce cycle se répète et la victime ne le sait pas. Les personnes qui peuvent être en contact avec des victimes de violences conjugales doivent connaître ce cycle pour comprendre la complexité du phénomène et les comportements des victimes qui peuvent revenir vers l’auteur des violences.

Carole Souied : Il faut aussi bien préciser que les violences conjugales touchent toutes les catégories socioprofessionnelles. Parfois, l’auteur peut-être juge, maire, présentateur de télévision ou une personnalité associative d’une commune. La situation peut être difficile car l’agresseur peut être très bien inséré au sein de la ville.

Fabienne Boulard : Nous avons fait des formations où nous avons repéré des auteurs de violences qui participaient à la session. Il suffit de quelques propos, d’une question ou d’une posture adoptée qui nous donnent des indices. J’ai aussi constaté dans une autre session une femme qui ne s’est pas exprimée et qui restait discrète. J’ai eu le sentiment que c’était une victime de violences. Pour ce genre de situation, nous restons disponibles à la fin de la journée de sensibilisation pour échanger, si certaines personnes le souhaitent.

AJ : À qui est destinée cette journée et quels sont les objectifs de cette sensibilisation ?

Fabienne Boulard : Cette journée de sensibilisation est destinée à tout le monde mais principalement aux agents de la fonction publique territoriale qui pourraient avoir un contact avec une personne victime de violences conjugales. J’organise des sessions sur l’ensemble du département et dans le nord des Yvelines avec Carole Souied. Ensemble, nous couvrons 73 communes de la communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise (GPSEO) avec des zones urbaines et rurales. Concrètement, nous sommes intervenues devant des agents de communes, des bailleurs sociaux, des gardiens d’immeuble, des pompiers ou encore des policiers municipaux.

Carole Souied : Nous essayons au début de comprendre leurs besoins spécifiques par rapport à cette journée de sensibilisation. Souvent, ils attendent des pistes et de découvrir des acteurs vers qui orienter les victimes de violences conjugales. L’objectif de cette journée de sensibilisation est d’avoir un minimum de connaissance sur ce sujet. Les professionnels peuvent avoir besoin de ces éléments dans leur activité quotidienne. Mais ils sont aussi des relais vis-à-vis de leur entourage familial. Nous transmettons donc une information beaucoup plus large.

Fabienne Boulard : Cette formation doit d’abord permettre d’avoir une culture commune sur les violences conjugales. L’objectif est de tous parler la même langue sur ce sujet et de savoir parler de ce phénomène. Nous consacrons aussi toute une partie de présentation des partenaires et du réseau liés à cette thématique. En connaissant les différents acteurs sur les violences conjugales, ils peuvent orienter au mieux une victime.

Carole Souied : La logique de notre journée de sensibilisation n’est pas de donner des outils aux agents publics pour permettre d’intervenir et de prendre en charge une victime. Chacun doit rester à sa place. Si par exemple une victime choisit de se confier à un agent d’accueil d’une commune, il doit savoir accueillir cette parole et passer le relais. Il ne peut pas porter seul le poids de ce genre de situation. Tous les acteurs face à une victime de violences conjugales ne doivent pas rester seuls face à la situation. Dans ce contexte, les administrations publiques qui accueillent du public doivent créer ce genre de procédure en connaissant le réseau et les professionnels engagés sur ce sujet.

Fabienne Boulard : L’idée est aussi de permettre aux personnes d’identifier et de protéger la victime. Quand on est témoin d’une situation de violences conjugales notamment à travers des cris, on appelle le 17 pour dire qu’il y a une personne en danger. Ce n’est pas de la délation, mais de la protection. Certains témoins attendent trop longtemps avant de prévenir la police. Dernièrement, j’ai lu un témoignage d’une femme qui entendait sa voisine crier à cause des violences de son conjoint. Elle a attendu six mois avant de nous prévenir car elle voulait protéger son anonymat.

AJ : Quelle est l’origine de cette journée de sensibilisation réalisée en collaboration entre la police nationale et le secteur d’action sociale du conseil départemental des Yvelines ?

Fabienne Boulard : Nous avons commencé à effectuer cette journée de sensibilisation ensemble il y a deux ans. Auparavant, j’effectuais déjà des sessions auprès d’acteurs yvelinois. À la base, j’ai mis en place une mallette pédagogique pour mes collègues en 2019. Cet outil a été repris en e-formation. C’était un module de trois heures destinées aux policiers. Finalement, j’ai généralisé cette formation à l’ensemble des acteurs publics yvelinois et Carole Souied m’a rejoint.

Carole Souied : Il y a cinq ans, le secteur d’action sociale Seine Aval a créé ma mission sur la prévention des violences intrafamiliales. C’est une spécificité de ce territoire équivalent à la communauté urbaine GPSEO. Dans ce cadre-là, en 2021, j’ai rencontré les acteurs institutionnels et associatifs avec notamment Fabienne Boulard en charge de ce sujet au sein de la police nationale. Le réseau autour des violences conjugales dans les Yvelines est très actif et dynamique. Les professionnels sont très engagés et se respectent les uns les autres dans leurs missions respectives.

AJ : En quoi la police nationale et le secteur d’action sociale du département des Yvelines sont-ils complémentaires sur cette initiative ?

Carole Souied : Le travail et les échanges avec Fabienne Boulard sont enrichissants dans nos activités respectives. Elle m’a éclairé sur des éléments liés à la police dont je n’avais pas connaissance. Au niveau du service social, nous avions tendance il y a quelques années à renvoyer une victime de violences conjugales vers la police. L’objectif prioritaire était de porter plainte. Or le fait d’envoyer très vite déposer une plainte peut être contreproductif à cause du psychotraumatisme causé parfois par les violences. Une victime peut ne plus se souvenir exactement de ce qui s’est passé. Dans certaines situations, en fonction des cas, il faut parfois décaler le dépôt de plainte.

Fabienne Boulard : Nos échanges ont même nourri ma manière de penser le phénomène, la formation et même mon discours à mes collègues policiers. Par exemple, Carole Souied a insisté sur le fait que la police devait changer sa vision par rapport à la plainte. Au sein de la police nationale, nous avons cette vision de pouvoir régler les problèmes seuls. Or sur les violences conjugales, nous n’avons pas le monopole des compétences notamment sur la dimension psychologique et sociale. Carole Souied m’a vraiment ouvert les yeux à ce propos sur le confort à apporter à la victime pour déposer plainte de manière plus sereine. La police doit parfois savoir sortir de la culture de l’urgence, prendre en compte en profondeur la dimension sociale et développer le soutien aux victimes.

Carole Souied : Souvent oublié, le travail de l’action sociale départementale est pourtant essentiel. Nous avons énormément de victimes de violences conjugales qui arrivent en urgence chez nous. Quand elles quittent leur domicile par peur de leur conjoint, elles arrivent chez nous et nous assurons souvent la mise en sécurité. C’est le cas aussi quand elles s’orientent vers la police avec leurs intervenants sociaux qui sont essentiels dans la chaîne et qui font le lien aussi avec nous. Ensuite, Fabienne m’a apporté la connaissance de la « procédure police ». J’ai aussi compris les raisons des classements sans suite sur certains dossiers notamment à cause du manque de preuve. En revanche, la police devrait faire plus de pédagogie auprès des victimes pour leur expliquer ce classement sans suite et leur indiquer les preuves et les éléments à conserver. Autre exemple, j’ai compris la complexité d’une intervention policière en flagrance au domicile d’une famille pour des violences conjugales.

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