« L’amende, on peut la payer en espèces ? », la routine des CRPC au Tribunal de Paris
Vendredi 30 janvier, une audience de CRPC se tient dans une petite salle du 4e étage du tribunal judiciaire de Paris. Quelques dossiers qui défilent et, en une heure, l’audience est finie. Loin du tumulte des comparutions immédiates, la justice du « plaider coupable » ronronne dans son coin.

L’oisif policier détache les yeux de son smartphone, se lève et prévient le visiteur égaré : « Ici, c’est pas intéressant », puis se rassoit en haussant les épaules. « Ici », c’est l’audience des comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Deux petits rangs coincés au fond d’une salle, une juge, une greffière, des avocates qui occupent tout le prétoire et, tout de même, un box vitré qui a lui seul occupe 30% du volume de la pièce.
Les prévenus qui vont défiler ont tous eu un entretien avec un procureur qui leur a proposé une peine s’ils plaidaient coupables. Ils ont tous accepté, et sont présentés désormais dans ce box, devant une juge chargée de l’homologation de cette peine. Ni débat, ni suspense. La juge valide et la greffière tamponne.
Un jeune moldave maigre au visage anguleux, nez bosselé et large front, entre dans le box. Il vient de Chisinau. Premier défi pour la juge. « Alors, on va essayer de voir comment ça s’écrit. » L’interprète, froidement : « c’est la capitale de la Moldavie : C-H-I-S-I-N-A-U ». La juge prend note.
« Vous traduisez dans quelle langue ? »
Alexander a admis avoir volé des tablettes de chocolat dans un Franprix et trois ordinateurs dans une clinique – à un mois d’écart. « Vous êtes toujours d’accord avec la proposition de peine de Madame le procureur ? À savoir 8 mois de sursis simple, interdiction de séjour à Paris pendant un an et la confiscation de scellés.
— Oui, je suis d’accord.
— Vous savez combien de temps ça dure le sursis simple ?
— (il fait 5 avec ses doigts)
— On ne vous l’a pas soufflé ? Vous avez une peine au-dessus de votre tête pendant 5 ans. »
Fin du dossier. La greffière s’affaire : bruit d’imprimante, les pages sortent, la juge demande : « Vous traduisez dans quelle langue ?
— Russe et roumain, Monsieur parle les deux, mais aujourd’hui j’ai traduit en roumain.
— Ah ! »
Bruit d’agrafeuse et de tampon. La greffière : « Madame l’interprète, je vais vous demander de signer le procès-verbal de comparution et de faire signer Monsieur en dessous de ‘le condamné’. ». Puis elle lance : « On va prendre Monsieur D. » C’est elle qui donne le tempo.
Alexander permute avec un jeune homme élégant en Loden noir sur col roulé noir : il a 21 ans et les mains dans le dos. Il s’est fait interpeller avec de la 3-MMC, de la Kétamine : transport, détention, acquisition, offre ou cession, refus de donner son code de téléphone. « Six mois de sursis simple, stage de sensibilisation aux stupéfiants. Les 170 euros trouvés sur vous et le téléphone vous sont confisqués. Est-ce que vous êtes d’accord ?
— Totalement d’accord, fait le prévenu en faisant non de la tê
— Vous ne consommez pas de stupéfiants ?
— Non.
— Alors pourquoi … (elle s’arrête, sourit). L’appât du gain, je comprends. Mais c’est dangereux, ces substances.
— J’ai demandé à des clients, ils me disaient que c’était pour des raisons médicales », déclare l’ingénu prévenu.
Imprimante, agrafeuse, tampon, « signez ici ».
La présidente tripote ses lunettes oblongues à fine monture dorée posées sur le bout de son nez. « Demandez au bureau des stages en sortant du tribunal, la personne vous donnera une date. Au revoir, Monsieur.
— Au revoir, Madame. »
« On est modernes, nous, on prend tout ! »
Kylian entre dans le box : 22 ans et pull blanc, sourire enjôleur. 2-MMC, MDMA, Cocaïne et cannabis. La peine qu’il a acceptée : 15 mois de prison avec sursis, une amende de 500 euros et la confiscation des scellés (échantillons de stupéfiants, 35 euros en espèce, un téléphone Apple). Toujours d’accord ? Toujours d’accord. MaÎtre, des observations ?
— Pas d’observation.
— C’est pas mon jour.
— Vous voulez des observations ?
— Eh bien moi … je suis pas ‘moins les avocats parlent, mieux c’est’. Rires dans la salle. Alors, j’homologue. »
Kylian demande : « L’amende, on peut la payer en espèces ?
— On est modernes nous, on prend tout. Vous pouvez payer en espèces, en chèque, en ligne. »
Greffière : « Signez votre PV de comparution. »
Soudain la juge se lève pour décréter une « courte suspension ». Deux avocates viennent discuter avec la greffière : ça parle de délais et de renvois, de consignation, d’expertises et d’assignation ; d’audiences de mise en état. Deux dessinateurs amateurs papotent, la dessinatrice rouspète : « La greffière, elle bouge tout le temps.
— On va lui demander d’arrêter », se marre le dessinateur.
Reprise de l’audience. Avant de prendre le prochain dossier, une avocate en profite pour savoir si la présidente accepte des stages de 3e. « Je vous conseille de demander au président de la 10e chambre correctionnelle », ce sera plus intéressant pour l’adolescent.
Le gros dossier du jour. Trois avocates. Le prévenu est un policier. Des violences. Mais le regard de la présidente reste éteint : c’est un renvoi pour expertise. Le seul enjeu est une demande de consignation de 5 000 euros de la part de l’avocate de la partie civile, un adolescent molesté par ce fonctionnaire.
« Il a six mois au-dessus de la tête pendant cinq ans »
Les lunettes de la greffière sont immenses et rondes, elles lui mangent tout le visage. Ça lui donne un air sympathique et moins sévère que la juge. Elle demande au policier d’aller chercher dans le couloir une victime et sa mère : la deuxième a subi des violences conjugale, la première fait office d’interprète.
L’auteur a été condamné le 15 janvier 2024 à six mois de prison avec sursis, le dossier renvoyé pour que la victime puisse se constituer partie civile. « Est-ce que vous demandez des dommages et intérêts à l’auteur de l’infraction ? »
La fille traduit. La victime répond « non ». Elle parle français : « J’ai décidé de rester avec mon mari car ça va mieux aujourd’hui. » Elle en profite pour demande ce que ça veut dire « sursis » : « il a 6 mois au-dessus de la tête pendant 5 ans. »
« Et s’il recommence ?
— Vous allez au commissariat et vous déposez plainte. Au niveau de la justice, on verra qu’il a déjà été condamné et ce sera des violences en récidive. Ça pourra être de la prison ferme. »
La femme semble être satisfaite et quitte la salle avec sa fille. La juge se lève : « l’audience est levée ». C’est le week-end.
Référence : AJU496653
