Payer : Combien ? Pourquoi ? Sur l’exigence de motivation des peines d’amende

Publié le 18/05/2017

Après avoir revu les contraintes de motivation de la peine d’emprisonnement ou encore de la peine de confiscation en fin d’année dernière, la chambre criminelle a récemment posé le principe d’une obligation de motiver la peine correctionnelle d’amende. Elle confirme une exigence de motivation, étendue à toutes peines en vertu de l’article 132-1 du Code pénal et du principe d’individualisation, tout autant qu’au regard d’une recherche d’une meilleure accessibilité au raisonnement des juges quant au choix de la punition, et son adéquation tant aux faits poursuivis qu’à la personnalité de leur auteur. Restent à déterminer les contraintes nouvelles que de tels choix feront peser sur les prévenus et leurs avocats et sur l’étendue du contrôle de la Cour de cassation quant au raisonnement des juges.

Le grand vent pénal de la motivation qui, pour l’instant, n’a pas ébouriffé le prononcé des peines criminelles1, a cependant recomposé en novembre dernier la mise en forme de la peine d’emprisonnement ferme2, avant de retoucher sensiblement le choix de la peine d’amende, au début du mois de février 20173, ce qui amènera n’en doutons pas, un afflux de pourvois sur le seul point de la motivation de ces peines.

Cette évolution était inévitable. On pouvait d’ailleurs s’étonner, s’agissant de l’amende, que la litote fort ancienne d’un prononcé des peines « faculté, dont les juges ne doivent aucun compte », ait pu encore être d’actualité. Elle avait été fortement critiquée par une majorité de la doctrine4. Durant toutes ces années en effet, bataillaient références conventionnelles en tête, droits de la défense et impossibilité pour les parties de savoir ce qui avait dicté le choix de la peine, dans sa nature comme dans son quantum5 ; respect du contradictoire, qui s’arrêtait net au prononcé alors même que certains avocats avaient pu développer, à l’audience, voire dans des écritures déposées, sur la « juste peine » ; et arrivée en force dans le débat du principe de proportionnalité, dont on admettra qu’il implique pour le moins quelques mots d’explications, qui permettent justement d’en justifier le respect.

Le phénomène était d’autant plus étrange que la simple détermination du montant d’une pension alimentaire exige de son côté quelques mots de démonstration6, tandis que le vilain mot de « barémisation » faisait son entrée officielle, dans plusieurs domaines du droit7.

Et déjà d’autres peines exigeaient une motivation spéciale, comme l’interdiction du territoire français8.

Bref, le domaine, pourtant ô combien sensible, du droit pénal et encore plus, celui de la peine marquait un temps de retard, alors que nous savons depuis Molière que : « Lorsqu’on pend quelqu’un, il faut lui dire pourquoi c’est »9.

À l’inverse, ce n’est pas sans frayeur que les juges se demandaient ces derniers temps, comment ils allaient pouvoir répondre à cette exigence « nouvelle ».

Voyons donc en quelques mots, d’où nous venons et, pour nous rassurer, où nous allons en la matière.

I – De la non-motivation des peines d’amende…

Bien que majoritairement prononcée en répression de faits contraventionnels et délictuels, sa pratique étant autorisée mais bien rare en matière criminelle, la peine d’amende choisie par le juge s’est toujours accommodée d’une absence de motivation10. Sa seule limite était le maximum encouru et il n’est pas rare, notamment en matière contraventionnelle de trouver encore des arrêts venant sanctionner l’enthousiasme répressif de telle juridiction de proximité.

L’appui textuel de cette jurisprudence bienveillante pour les juges aurait pu étonner plus tôt, dès lors que l’article 132-20 du Code pénal dispose dans ses deux premiers alinéas que lorsqu’une infraction est punie d’une peine d’amende, la juridiction peut prononcer une amende d’un montant inférieur à celle qui est encourue ; puis, que le montant de l’amende est déterminé en tenant compte des ressources et des charges de l’auteur de l’infraction. Ainsi aurait-on pu penser avant cette année, à la nécessité pour les juridictions de justifier leur choix du montant de l’amende retenue.

Ceci aurait été d’autant plus logique que toute convocation en justice doit indiquer au prévenu qu’il a l’obligation de comparaître à l’audience en possession des justificatifs de ses revenus ainsi que de ses avis d’imposition ou de non-imposition, ou de les communiquer à l’avocat qui le représente11, obligation il est vrai bien rarement respectée en pratique. Et ce, sans évoquer même la possibilité d’un ajournement du prononcé de la peine « pour investigations complémentaires sur la personnalité ou la situation matérielle, familiale ou sociale du prévenu »12, dont la pratique a peu les faveurs des juges en ce qu’elle implique (au moins) un second audiencement de l’affaire, alors que les rôles correctionnels n’en peuvent plus de s’épaissir au fil de la folle cavalcade des taux de réponse pénale…

Enfin, la question avait été posée à la chambre criminelle de la compatibilité d’une telle jurisprudence avec l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’Homme, aux termes duquel : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ». Celle-ci, dans une affaire ou avaient été prononcées les peines de douze ans d’emprisonnement assorties d’une période de sûreté fixée aux deux tiers et de 1 000 000 € d’amende, et où le moyen critiquait qu’une telle amende ait été imposée sans qu’il soit fait état, dans les motifs de la décision attaquée, du patrimoine et des ressources de l’intéressé, rejeta le pourvoi, au motif que la cour d’appel avait satisfait aux exigences des textes alors en vigueur sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées13.

Encore faut-il relever que ces dispositions concernent le droit de propriété dans son ensemble, bien plus que le prononcé précis d’une peine d’amende. Et surtout que cet arrêt est antérieur au revirement du 1er février 2017.

On relèvera cependant que la Cour de Strasbourg a déjà considéré que l’obligation financière née du paiement d’une amende peut léser la garantie consacrée à l’article 1er du protocole, en ce qu’elle prive le requérant d’un élément de propriété, à savoir de la somme qu’il doit payer, si elle impose à la personne en cause une charge excessive ou porte fondamentalement atteinte à sa situation financière14.

II – … aux difficultés posées par l’exigence d’une motivation ?

En décidant dans son arrêt précité du 1er février 2017, et au visa des articles 132-20, alinéa 2, du Code pénal, ensemble l’article 132-1 du même code et les articles 485, 512 et 593 du Code de procédure pénale, qu’en matière correctionnelle, le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision au regard des circonstances de l’infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges, la chambre criminelle a posé le principe de l’obligation de motivation du quantum de la peine d’amende. Mais n’a-t-elle fait que cela15 ?

Il convient d’abord d’observer que ce changement s’est opéré à droit constant.

Le rajout, par la loi du 3 juin 201616, d’un troisième alinéa à l’article 132-20 du Code pénal posant que : « Les amendes prononcées en matière contraventionnelle, correctionnelle et criminelle, à l’exception des amendes forfaitaires, peuvent faire l’objet d’une majoration, dans la limite de 10 % de leur montant, perçue lors de leur recouvrement. Cette majoration, prononcée dans les conditions prévues à l’article 707-6 du Code de procédure pénale, est destinée à financer l’aide aux victimes », est peut-être susceptible d’encourager, à terme, les juges à prendre effectivement en compte la problématique de la charge de l’indemnisation des victimes, mais les verra vraisemblablement peu enclins à étendre l’application de l’amende à des situations dans lesquelles ils ne l’auraient pas prononcée.

La décision constitue donc un véritable revirement.

Mais surtout, la référence à l’article 132-1 du Code pénal dont les deux derniers alinéas disposent : « Toute peine prononcée par la juridiction doit être individualisée. Dans les limites fixées par la loi, la juridiction détermine la nature, le quantum et le régime des peines prononcées en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale, conformément aux finalités et fonctions de la peine énoncées à l’article 130-1 », appelle sans doute à s’interroger sur une volonté plus large d’exiger des juges qu’ils motivent désormais toute peine.

On sait que la peine d’emprisonnement était déjà soumise à cette exigence, qui a été reprécisée par les arrêts du 29 novembre 2016. Mais on doit observer que déjà, la chambre criminelle avait visé certes la gravité des faits mais aussi la personnalité de son auteur, de sorte que c’est bien cette personnalité de l’auteur qui semble devenir le point d’ancrage commun à toutes les poursuites et sur lequel la réflexion des juges doit s’opérer quant au choix de la peine, qu’il s’agisse de sa nature comme de son quantum et même s’il n’est pas question d’en faire le critère unique de ce choix17.

Reste qu’en matière d’amende, deux difficultés habituelles peuvent se poser : le déplafonnement de certaines amendes en vertu de dispositions spéciales et la question des éléments de preuve que le prévenu doit présenter relativement à ses ressources et charges.

L’évolution de la chambre criminelle ne permet pas de savoir ce qui sera décidé dans les espèces mettant en jeu des montants d’amende proportionnels au détournement opéré18. Le fait qu’il soit ici question d’une amende en rapport particulier avec le montant de l’infraction exclut-il toute référence à la proportionnalité en général ?

Sur qui repose, par ailleurs, la démonstration que l’amende prononcée a bien pris en compte les ressources et les charges du prévenu19 ?

Sur ce point, une récente décision20 semble permettre de dire que la chambre criminelle a pleinement tenu compte des difficultés de mise en œuvre de sa nouvelle jurisprudence. La Cour de cassation rappelle, en effet, l’exigence résultant des articles 132-20, alinéa 2, et 132-1 du Code pénal et des articles 485 et 593 du Code de procédure pénale, selon laquelle, en matière correctionnelle, la peine d’amende doit être motivée au regard des circonstances de l’infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges. Mais c’est pour immédiatement constater que, dès lors qu’aux termes de ses conclusions déposées devant la cour d’appel, le prévenu, qui faisait valoir le caractère disproportionné, eu égard à la faiblesse de ses revenus, de l’amende de 5 000 € prononcée par le tribunal correctionnel, démontrait le montant de ses ressources par la production d’avis d’imposition, sans évoquer ses charges ni les établir, la cour d’appel a justifié sa décision. Ainsi, le prévenu doit justifier de l’état de ses ressources et charges – et qui pourrait mieux le faire à sa place ? – et s’il s’en abstient, il ne saurait se plaindre du montant arrêté par les juges.

Une dernière question évidemment se pose « en bout de chaîne » : l’obligation faite aux juges de motiver le choix d’un montant de l’amende pénale et donc son prononcé mieux justifié, améliorera-t-elle son taux de recouvrement21 ?

Rien n’est moins sûr, mais on pourra désormais admettre que les juges ont fait leur part de travail.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. crim., 8 févr. 2017, n° 15-86914, PB ; Cass. crim., 8 févr. 2017, n° 16-80389 ; Cass. crim., 8 févr. 2017, n° 16-80391, PB. Par ailleurs, si la mesure de sûreté doit être prononcée par une décision spéciale, elle n’a pas à être spécialement motivée : Cass. crim., 23 oct. 1989, n° 88-84690 : Bull. crim., n° 370 – Cass. crim., 29 janv. 1998, n° 97-81573 : Bull. crim., n° 37 ; Dr. pén. 1998, comm. 67, obs. Véron M.
  • 2.
    Cass. crim., 29 nov. 2016, n° 15-86712, PB ; Cass. crim., 29 nov. 2016, n° 15-83108, PB ; Cass. crim., 29 nov. 2016, n° 15-86116, PB.
  • 3.
    Cass. crim., 1er févr. 2017, n° 15-83984, PB. V. égal. Cass. crim., 15 mars 2017, n° 16-83838, PB.
  • 4.
    Robert J-H., « Le libre choix de la peine par le juge : un principe défendu bec et ongle par la chambre criminelle… », Dr. pén. 2003, chron. 11 ; Dreyer E., « Le prononcé de la peine devant la Cour de cassation, ou l’art paradoxal de l’esquive et du raccourci », AJ pénal 2013, p. 340.
  • 5.
    Danet J. et Lavielle B., « La juste peine », Gaz. Pal. Rec. 2000, doct., p. 888.
  • 6.
    L’article 208 du Code civil retient la règle selon laquelle : « Les aliments ne sont accordés que dans la proportion du besoin de celui qui les réclame, et de la fortune de celui qui les doit », tandis que l’article 371-2 du même code dispose : « Chacun des parents contribue à l’entretien et à l’éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l’autre parent, ainsi que des besoins de l’enfant ».
  • 7.
    Bien que rejeté par l’Académie française, le terme apparaît dans la recherche de la mission de recherche droite et justice « La barémisation de la justice », et encore dans l’ouvrage Les barèmes dans le fonctionnement du droit et de la justice, in Le droit mis en barèmes ?, 2014, Dalloz, Thèmes et commentaires, I. On pourra également se référer au barème du ministère de la Justice 2015 pour la fixation des pensions alimentaires ou encore au décret n° 2016-1581 du 23 novembre 2016 qui a fixé le référentiel indicatif des indemnités pour licenciement abusifs devant le bureau de jugement.
  • 8.
    C. pén., art. 131-30-1.
  • 9.
    Molière, Amphytrion, scène IV.
  • 10.
    Ainsi et pour exemple, Cass. crim., 22 oct. 1998, n° 97-84186 : Bull. crim., n° 276 ; Dr. pén. 1999, comm. 38 – Cass. crim., 22 oct. 2008, n° 07-88111, D : Dr. pén. 2009, comm. 1, obs. Veron M. ; Cass. crim., 27 oct. 2015, n° 14-87571. La problématique des amendes forfaitaires ne sera pas abordée.
  • 11.
    CPP, art. 390 ; CPP, art. 390-1 et CPP, art. 394.
  • 12.
    C. pén., art. 132-70-1.
  • 13.
    Cass. crim., 25 mars 2015, n° 14-81279, D.
  • 14.
    CEDH, 11 janv. 2007, n° 35533/04, pt 45, Mamidakis c/ Grèce. V. égal., CEDH, 13 janv. 2004, n° 43783/98, Orion-Breclav S.R.O. c/ République tchèque (déc.).
  • 15.
    Pichon E., « Motivation de la peine, une jurisprudence vivante », Dr. pén. 2017, étude 7. Mihman A.et Maes A., « La motivation des peines correctionnelles », Gaz. Pal. 28 mars 2017, n° 291p3, p. 17.
  • 16.
    L. n° 2016-731, 3 juin 2016, art. 82.
  • 17.
    Rappelons que dans sa décision n° 2007-554 DC du 9 août 2007, JO, 11 août, p. 13478, le Conseil constitutionnel avait retenu que : « Le principe de l’individualisation des peines qui découle de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789, ne saurait faire obstacle à ce que le législateur fixe des règles assurant une répression effective des infractions ; il n’implique pas davantage que la peine soit exclusivement déterminée en fonction de la personnalité de l’auteur de l’infraction ».
  • 18.
    Par exemple, article 321-3 du Code pénal en matière de recel qui prévoit que la peine d’amende puisse être élevée au-delà de 375 000 € jusqu’à la moitié de la valeur des biens recelés ; articles 222-38 et 324-3 du Code pénal qui prévoient la possibilité d’élever l’amende jusqu’à la moitié de la valeur des biens ou fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment en matière de trafic de stupéfiants et hors trafic de stupéfiants…
  • 19.
    L’une des premières commentatrices de l’arrêt du 1er février (Fonteix C., Dalloz actualité, 16 févr. 2017), concluait son propos par : « Reste à s’interroger sur la teneur de cette obligation de motivation, notamment s’agissant des ressources et des charges du prévenu, qui contrairement à la gravité de l’infraction et à sa personnalité, sont des éléments qui ne ressortent pas nécessairement du dossier pénal. Ces éléments devront-ils être recherchés par le juge dans l’hypothèse où ils ne sont pas spontanément apportés par le prévenu ? La référence abstraite à la prise en compte de la situation financière de l’intéressé satisfera-t-elle la chambre criminelle, ou exigera-t-elle une motivation plus concrète ? Autant d’interrogations qui, à n’en pas douter, seront levées par de futures décisions, tant il paraît évident que cet arrêt va ouvrir de nombreuses perspectives pour les pourvois à venir… ».
  • 20.
    Cass. crim., 22 mars 2017, n° 16-80050, PB.
  • 21.
    En 2005, 11,4 millions d’amendes forfaitaires majorées et condamnations judiciaires ont été enregistrées, pour un montant total de 1,6 milliard d’euros. L’évolution du taux de recouvrement contentieux des amendes chiffrée par un rapport du Sénat s’élevait à 33,1 % en 2006, contre 44,4 % en 1995 et le caractère défectueux du dispositif de paiement immédiat dans les juridictions était particulièrement souligné… Un rapport de la DACG de 2013, chiffrait pour sa part, à 12 093 215 le nombre d’extraits de condamnation pris en charge en matière d’amendes par le Trésor public et à 34,7 % le taux de recouvrement.