Vincent Nioré : « Il faut que l’avocat soit présent en perquisition pénale ! »

Publié le 04/03/2025 à 9h00

« Pratique de la défense en perquisition chez le justiciable et l’avocat »* sort ce mardi 4 mars aux Éditions LGDJ (Groupe Lextenso). Un ouvrage très attendu que nous présentent leurs deux auteurs, Vincent Nioré et Elliot Bersegol. Au terme de leurs travaux, ils appellent à plusieurs réformes, en particulier concernant les écoutes d’avocats dont le régime est à leurs yeux inconventionnel et inconstitutionnel.  

Vincent Nioré : "Il faut que l'avocat soit présent en perquisition pénale !"
Vincent Nioré (Photo : ©DR)

Actu-juridique : Quel est l’objet de votre ouvrage et à qui s’adresse-t-il ?

Vincent Nioré : Nous avons tenté, à partir d’une analyse de la pratique, de la jurisprudence et des textes, de trouver des réponses aux questions qui se posent dans un contexte intrusif, par définition délétère, où le justiciable peut perdre ses moyens.

Elliot Bersegol : L’ouvrage s’adresse en premier lieu aux professionnels et futurs professionnels du droit, mais également aux justiciables, en particulier aux entreprises susceptibles d’être visées par des perquisitions.

AJ : Votre longue expérience des perquisitions en cabinet d’avocat a dû vous servir, Vincent Nioré ?

VN : Effectivement. Cet ouvrage est le fruit d’une réflexion et d’une expérience acquises tout au long de mes quarante-deux années d’exercice de la défense pénale en ce compris la période qui court de mon mandat au Conseil de l’Ordre en 2008 sous le Bâtonnat de Christian Charrière Bournazel jusqu’à ce jour, soit pendant 17 ans, où j’ai exercé les droits de la défense pour mes bâtonniers successifs dans l’intérêt des avocats perquisitionnés.

AJ : Et vous, Elliot Bersegol, qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser à ce sujet ? 

EB : Pour ma part, cette réflexion sur la perquisition est née lors de ma dernière année de formation à la Sorbonne au cours de laquelle j’ai eu le privilège de réaliser mon stage de Master 2 auprès de mon confrère Thomas Bidnic et ses associés Anne Chiron et Georges Tsigaridis. À cette occasion, j’ai rédigé un rapport de fin d’études consacré au droit à l’assistance de l’avocat de la défense au cours des perquisitions pénales.

Avec un sujet pareil, je ne pouvais que faire mon stage final aux côtés de Vincent Nioré ! Ce thème est devenu le fil rouge de notre ouvrage. Nous pratiquons quotidiennement la défense pénale et nous avons souhaité fusionner l’exercice pratique des droits de la défense et la réflexion qu’impose en permanence la contestation en matière de perquisition, que ce soit chez le justiciable ou chez l’avocat.

AJ :  Cet ouvrage est aussi pour vous l’occasion de prendre des positions sur certains sujets sensibles et de réclamer des évolutions législatives. Par exemple, vous défendez la nécessité d’harmoniser les différents régimes de perquisitions.  Pour quelles raisons ?

VN : Le renforcement des droits de la défense est une préoccupation de chaque jour. La vigilance s’impose au premier chef déjà pour maintenir les droits acquis et pour éviter de les perdre en cette période législative et jurisprudentielle tourmentée où notre secret professionnel est massacré, qu’il s’agisse de la défense et/ou du conseil. La contribution d’Elliot Bersegol à la rédaction de cet ouvrage est fondamentale dans la mesure où Elliot incarne l’esprit du jeune barreau pénaliste particulièrement combatif.

EB : En ma qualité de jeune avocat, je constate que nous évoluons dans un univers judiciaire d’une grande violence qui n’est pas celui que j’ai pu percevoir lorsque j’étudiais à l’École de Formation du Barreau. Le premier acte de violence de l’enquête pénale est souvent celui de la perquisition auquel succède la garde à vue. Cette violence commande d’appliquer une philosophie de la contestation que nos confrères plus expérimentés nous enseignent.

VN/ EB : Nous souhaitons que les droits des justiciables perquisitionnés, toutes professions confondues, soient harmonisés par l’autorisation préalable du Juge des libertés et de la détention pour toute perquisition, par la présence de l’avocat de la défense en perquisition pénale de droit commun, par la présence du Bâtonnier en perquisition lorsque des éléments couverts par le secret professionnel de l’avocat sont saisis, par la possibilité d’élever une contestation attribuée au Juge des libertés et de la détention avec possibilité pour toutes les professions réglementées d’un recours suspensif devant le Président de la chambre de l’instruction et d’un pourvoi en cassation immédiatement recevable et suspensif. Pour tous ! Que l’on soit journaliste, magistrat, avocat, notaire, médecin, commissaire de justice, expert-comptable, parlementaire. Nous avons ainsi abordé la question des perquisitions par certaines autorités administratives (AMF, Administration fiscale, Autorité de la concurrence) où la présence de l’avocat de la défense en perquisition est prévue par les textes au contraire des perquisitions pénales.

Cette présence est fondamentale lorsque l’on sait qu’en matière de perquisition, certaines autorités n’hésitent pas à procéder à la saisie globale et indifférenciée, sans aucune distinction, de tous les éléments couverts par le secret professionnel.

 AJ : Certaines des questions abordées dans le livre sont d’ailleurs en prise directe avec les affaires qui font la une de l’actualité. Ainsi, en marge du dossier « Bismuth », vous expliquez en quoi l’écoute d’un avocat est inconventionnelle et inconstitutionnelle…Pouvez-vous nous en dire plus ?

VN : Nous vivons une période où tant la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation que le législateur martyrisent le secret professionnel de l’avocat que ce soit en matière de défense ou en matière de conseil, tandis qu’à l’inverse le secret du délibéré des magistrats est jugé comme inexpugnable. En effet, le secret du délibéré des magistrats est jugé inattaquable contrairement au secret professionnel de l’avocat en matière de défense ou de conseil que certains esprits voudraient réduire à l’état de ruine.

L’exégèse de la jurisprudence de la CEDH aboutit à une situation complexe : le secret professionnel de l’avocat devrait s’évincer face à l’allégation de la commission d’une infraction au téléphone alors que le secret du délibéré des magistrats ne peut être écarté pour quelque cause que ce soit y compris dans cette hypothèse de commission d’une infraction. Il s’agit en réalité d’une discrimination dépourvue de sens s’agissant d’auxiliaires de justice ou encore d’acteurs de la justice qui interviennent ensemble pour la réalisation de l’œuvre de Justice qui n’est pas une formule vide de sens.

De plus, il faut dire, si l’on y regarde de près sans se laisser intoxiquer par des sophismes en forme de syllogismes, que le régime des écoutes des avocats est aussi anticonventionnel qu’inconstitutionnel.

Vincent Nioré : "Il faut que l'avocat soit présent en perquisition pénale !"
Elliot Bersegol (Photo : ©DR)

EB : Pourquoi permettre qu’un avocat soit écouté sur son téléphone ou sur celui du justiciable qu’il défend, avocat ou non, alors que ce même avocat ne peut voir, sur un plan légal, son cabinet, son domicile et son véhicule sonorisés (CPP, art. 706-96-1, al. 3) ? Le téléphone portable de l’avocat, objet d’une fouille en garde à vue ou au cours d’une perquisition, est en droit assimilé par la chambre criminelle au domicile et au cabinet de l’avocat et ne saurait être investigué, à peine de nullité, que par un magistrat et en présence du bâtonnier à l’exclusion des enquêteurs ! Il est rappelé que le bâtonnier est une « garantie spéciale de procédure » en perquisition pour la CEDH et un « auxiliaire de justice en charge d’une mission de protection des droits de la défense » pour la chambre criminelle.

VN : Pour pouvoir écouter un avocat, encore faut-il qu’à côté de l’enquêteur technicien soit en permanence présent de jour comme de nuit, non seulement le bâtonnier, mais également le magistrat faute de quoi l’écoute téléphonique est aussi inconventionnelle qu’inconstitutionnelle, peu importe le critère de l’indice de la participation de l’avocat à la commission d’une infraction qui procède d’un pur sophisme juridique qui doit être dénoncé et que le droit positif condamne à propos de la force intangible du secret du délibéré des magistrats.

La validité du régime des écoutes des avocats doit être subordonnée au respect des dispositions spéciales de la matière de la perquisition qui imposent la présence du bâtonnier et du magistrat à peine de nullité et il nous importe peu d’entendre dire que les moyens matériels n’existeraient pas à ce sujet.

EB : Quel que soit le lieu, quel que soit le moment, quel que soit le support matériel, le support électronique de la détection à distance des conversations confidentielles, quelle que soit la gravité, la teneur des propos confidentiels, que ces propos révèlent ou non la commission d’un crime de sang ou d’un crime financier par la voix de l’avocat ou celle du justiciable, la relation entre l’avocat et le justiciable qu’il défend ou qu’il conseille doit être couverte par un secret aussi fort que le secret du délibéré.

 VN/EB : Rien n’est plus urgent pour la CEDH comme pour le Conseil constitutionnel que de se prononcer sur la conventionnalité et la constitutionnalité du système des écoutes à la française qui doit être invalidé tant il est contraire à la dignité de la personne humaine que l’on soit justiciable ou avocat, tous deux unis par la force du secret de la confidence sans lequel la réalisation de l’œuvre de justice est un désastre.

 

*Vincent Nioré et Elliot Bersegol – Pratique de la défense en perquisition chez le justiciable et l’avocat. LGDJ mars 2025 – 328 pages, 72 euros.

Couverture Pratique de la défense en perquisition chez le justiciable et l’avocat

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