« La globalisation des échanges a changé la donne, chacun a aujourd’hui dans sa famille un jeune qui est parti faire ses études à l’étranger ou un parent qui s’est installé dans un autre pays »
Les sources du droit international privé sont nombreuses : nationales, européennes, internationales… Et pour appliquer un raisonnement juste aux situations qui se présentent à lui, le notaire doit être en capacité d’identifier les sources et leur hiérarchie ainsi que leurs différentes interprétations. C’est ce travail d’orientation que la commission de Me Caroline Ginglinger-Poyard, présidente de la 1re commission et notaire à Saint-Quentin Fallavier, a souhaité faciliter.
Les Petites Affiches
Quels étaient les grands enjeux de votre commission ?
Caroline Ginglinger-Poyard
L’objectif était avant tout de rappeler les grands principes du droit international privé. Il faut savoir que l’âge moyen des notaires se situe autour de 47 ans, leurs études à la faculté de droit, remontent donc à quelques années et le droit international privé n’est pas une matière que l’on pratique de manière aussi régulière que le droit de la famille ou le droit de l’immobilier. D’autant que le droit international privé a beaucoup évolué au cours de ces dernières années. Il y a une vingtaine d’années, nous avions encore une matière issue essentiellement de la jurisprudence. La transformation a été importante. Depuis ces dernières années, le droit international privé est essentiellement un droit écrit et européen. Partant de cet état de fait, il nous est apparu intéressant de reprendre dans le rapport les grandes étapes de cette évolution et de rappeler la diversité formellement distincte des sources. Certaines sources sont encore jurisprudentielles, d’autres sont issues du droit interne (Code civil, Code du commerce, etc.), mais elles peuvent aussi se trouver parmi les nombreuses conventions bilatérales ratifiées par la France ou encore parmi les conventions multilatérales (celles issues de la conférence de La Haye par exemple). Enfin, l’entrée en application des nombreux règlements européens constitue aujourd’hui autant de nouvelles sources pour le droit international privé, notamment en matière notariale. Je pense notamment au règlement successions de 2012, entré en application en 2015 ou plus récemment aux règlements « régimes matrimoniaux et partenariats enregistrés » entrés en application en janvier 2019.
LPA
Comment les notaires peuvent-ils améliorer leurs compétences et être plus efficaces face à la multiplicité de cas que crée le droit international privé ?
C. G.-P.
Ils pourront déjà profiter de ces trois prochains jours de Congrès puisque nous allons justement rappeler ces grandes règles ! Notre rapport constitue aussi une base essentielle. Il a été rédigé par des notaires, pour des notaires. Nous ne souhaitions pas rédiger un manuel de droit écrit par des universitaires, mais bel et bien réaliser un outil dans lequel nous avons insisté sur ce qui nous semblait essentiel pour la pratique notariale. En réalité, le droit international privé est une gymnastique à acquérir. Et Les notaires ont une faculté d’apprentissage importante, car nous absorbons au quotidien tous les textes législatifs qui sont publiés à un rythme effréné dans de nombreux domaines du droit. Je n’ai donc pas d’inquiétude sur la mise en œuvre de cette matière dans la pratique quotidienne. Jusqu’à maintenant, nous avions que peu de dossiers dans lesquels il fallait mettre en œuvre le droit international privé : il y a encore cinq ans, je n’avais pas plus d’un ou deux cas par an dans mon office. J’en traite désormais cinq ou six chaque mois ! La globalisation des échanges a changé la donne : chacun a aujourd’hui dans sa famille un jeune qui est parti faire ses études à l’étranger ou un parent qui s’est installé dans un autre pays. Nous pouvons aussi nous trouver face à des personnes qui décèdent en France etpossèdent des biens au Portugal ou en Espagne, des non-résidents qui souhaitent acheter en France… En tant que notaire nous avons une obligation de conseils vis-à-vis de nos clients. Il est essentiel pour lui d’identifier et d’appliquer la bonne règle de droit au cas d’espèce.
LPA
Quels sont les grands principes du droit international privé que doivent respecter les notaires ?
C. G.-P.
Il est nécessaire de connaître la typologie générale d’une matière. La première étape est de déterminer l’élément (ou les éléments) d’extranéité. Une fois que l’on a qualifié, rattaché et qu’on a en tête le schéma des différentes sources, l’essentiel du travail est fait. Le notaire peut alors s’orienter et identifier par l’application de la règle de conflit, la loi applicable à son cas d’espèce. Nous sommes parfois face à une difficulté supplémentaire : lorsque la règle de conflit de loi désigne la loi française, nous avons évidemment tous les outils pour la mettre en œuvre. Cependant, lorsque le notaire doit appliquer une loi étrangère il ne connaît pas forcément la jurisprudence, le contexte et la pratique. D’où l’importance de constituer un réseau de notaires dans le monde qu’il pourra contacter en cas de difficultés particulières. La création de ces réseaux est indispensable pour gagner en efficacité et en aisance dans l’application de la règle étrangère.
LPA
Vous avez également réalisé une liste des outils et plates-formes disponibles pour les juristes, pouvez-vous nous en dire un mot ?
C. G.-P.
L’idée était de reprendre et lister l’ensemble des outils mis en place par le notariat français ou la communauté du droit pour simplifier la vie du notaire et de façon plus générale celle du praticien. Ces outils sont souvent disponibles de manière dématérialisée et permettent de se mettre en rapport avec un confrère ou encore de chercher une règle de droit ou une jurisprudence. Il existe également des fiches pratiques établies sur un certain nombre de matières qui sont consultables. Cela permet par exemple de savoir où trouver la convention fiscale internationale appropriée ou d’avoir accès à une base de données.
LPA
Avez-vous un exemple d’un cas présentant des éléments d’extranéité auquel vous avez été confronté dans votre pratique personnelle ?
C. G.-P.
Je peux en effet citer celui d’un acquéreur qui souhaitait acheter un bien immobilier dans la région. Le client se présente à l’office en expliquant qu’il est de nationalité italienne, qu’il a conclu un mariage religieux au Maroc il y a trois mois avec une épouse marocaine, mais qu’en réalité ils n’ont jamais vécu sous le même toit et ne résident pas ensemble. La première étape était donc de savoir si ce couple était considéré comme marié par la loi française. En France, l’article civil 202-2 précise que le mariage est valablement célébré s’il a rempli les formalités prévues par la loi de l’État sur le territoire duquel la célébration a eu lieu. C’était le cas en l’espèce. Le mariage religieux en présence de deux personnes de confession musulmane est valable au Maroc. Après avoir déterminé que le couple était bien marié, il fallait déterminer leur régime matrimonial. En tant qu’autorité française le notaire applique la convention de La Haye de 1978, compte tenu de leur date de mariage. Cette convention fixe des éléments objectifs comme le régime matrimonial de la première résidence des époux. Sauf qu’en l’espèce, il n’y a jamais eu de résidence commune… Un deuxième critère objectif : la nationalité des époux : là encore il n’y avait pas de nationalité commune dans notre cas (lui est Italien et elle Marocaine). Dernier critère objectif, le pays qui a les liens les plus étroits avec la situation donnée. Après analyse, nous avons alors pu déterminer ensemble qu’il s’agissait du Maroc et cela tombait bien puisque le pays applique le régime de la séparation des biens. C’est donc après avoir épuisé des raisonnements à tiroirs aux rebondissements multiples que le client a pu acheter son bien en France, seul, sous le régime de la séparation des biens. Ce type de dossier est un bel exemple pour démontrer que le droit international peut surgir sans qu’on s’y attende au détour d’un cas tout à fait classique.
LPA
Quelles sont les autres thématiques traitées dans votre commission ?
C. G.-P.
Nous avons souhaité consacrer l’une des trois parties de notre commission à l’action internationale du notariat français. Une action assez ancienne, que l’on peut faire remonter à 1948, au moment de la création de l’Union du notariat latin (UINL) dont le notariat français était un des membres fondateurs. Au cours du XXe siècle, nous avons continué à établir de nombreux partenariats et à nourrir nos relations avec les notariats étrangers et les organisations internationales. Il était d’autant plus intéressant de mettre cette partie en avant qu’elle est généralement assez peu connue de nos confrères.