« Lorsqu’on s’aperçoit qu’un mariage sur sept contient un élément d’extranéité, on comprend mieux comment l’extranéité est devenue le quotidien des notaires »

Publié le 24/05/2019

Centré sur le thème de l’international, le 115e Congrès des notaires de France est aussi le fruit de deux années de réflexion et de concertation avec de nombreux experts. Les travaux préparatoires effectués par les quatre commissions ont permis d’aboutir à un rapport de 1 344 pages destiné aux notaires. Pierre Tarrade, rapporteur général du Congrès et notaire à Paris, nous apporte quelques précisions sur les grandes thématiques et les questionnements qui ont permis de guider ces travaux.

Les Petites Affiches

Comment le rapport a-t-il été structuré ?

Pierre Tarrade

L’objectif de ce rapport était de se mettre à la place du notaire et de l’accompagner dans son cheminement. Nous avons divisé la matière en quatre grandes parties qui correspondent au travail de chaque commission. La première, qui se nomme « s’orienter », permet de faire le point sur la pratique du droit international privé. Il s’agit de savoir où on en est et de quoi on aura besoin pour travailler. Cette commission rappelle les règles générales de fabrication de la norme, notamment au niveau de l’Union européenne, et permet d’identifier les ressources qui peuvent aider le notaire. Elle contient également une partie très intéressante qui fait le bilan de l’action internationale de la profession et de sa défense du modèle de droit continental. La deuxième commission, « rédiger », a cherché à identifier en quoi la pratique quotidienne du notaire peut être impactée par un élément d’extranéité dans un dossier. On y retrouve les thématiques de représentation ou de capacité, mais aussi un volet dédié au conseil qui s’est avéré très riche avec le droit social, le conseil fiscal, etc. On se retrouve quasiment avec un double volume pour cette commission.

LPA

Qu’en est-il concernant les deux dernières commissions ?

P. T.

Bien qu’elles abordent elles aussi la pratique dans le contexte international, elles sont plus classiques dans leur conception en ce qu’elles sont consacrées aux domaines traditionnels du notariat : le droit de la famille et les contrats immobiliers. La commission « vivre » couvre tous les sujets depuis la naissance jusqu’au décès, en passant par la filiation, les différentes unions qui peuvent exister, les régimes matrimoniaux, les divorces, l’anticipation successorale. Elle contient aussi une partie que j’aime beaucoup sur les faux amis : des concepts qui paraissent être une évidence pour nous tel que l’usufruit mais qui peuvent être inconnus dans un autre pays ou présenter des modalités d’application qui diffèrent des nôtres. Il est important de se poser ce type de questions en cas de transmission à l’étranger par exemple. Enfin, la dernière commission « contracter » traite donc du contrat de vente avec les questions très sensibles de l’exécution et de la publicité foncière, ainsi que du financement. C’est par exemple réfléchir à qui peut prêter à qui et avec quelles garanties.

LPA

La pratique notariale n’évoque pas forcément immédiatement la maîtrise du droit international et son application, dans quels cas les offices sont-ils confrontés à ces éléments ?

P. T.

En réalité, cette pratique internationale a toujours existé, mais aujourd’hui elle est devenue absolument incontournable. Lorsqu’on s’aperçoit qu’un mariage sur sept contient un élément d’extranéité, on comprend mieux comment elle est devenue le quotidien des notaires ; et cela tant pour le notaire des villes, que pour le notaire des champs. On doit traiter aussi bien les étrangers qui viennent vivre chez nous que les Français qui partent à l’étranger. Je peux citer par exemple une typologie de dossiers qui s’est présentée à plusieurs reprises au cours des derniers temps : celle d’une donation-partage avec un enfant qui vit à l’étranger. Pour lui, il peut y avoir une fiscalité supplémentaire ou différente par rapport à celle des autres, il faut donc se demander s’il est juste d’appliquer ce type de donation lorsqu’un héritier va payer plus d’impôts que les autres !

LPA

En quoi les notaires étrangers peuvent-ils être intéressés par ce Congrès ?

P. T.

Outre une volonté d’ouverture évidente lorsqu’on traite du sujet du droit international, la venue de juristes étrangers était particulièrement pertinente pour discuter de l’application des règlements de l’Union européenne. Nos confrères européens appliquent les mêmes textes que nous et peuvent nous témoigner les expériences qu’ils vivent dans leurs pays respectifs. Au-delà du prisme européen, il faut se souvenir qu’appliquer les règles du droit international privé consiste à trancher entre les différentes lois applicables. Ce qui nous amène à devoir appliquer des lois étrangères. Or en tant que notaire français je ne sais ni appliquer toutes les lois du monde, ni même prétendre les connaître. La pratique du droit international privé amène donc à tisser des liens et contacts avec des correspondants étrangers qui sauront mieux leur droit que je ne peux imaginer le connaître. Et lorsqu’un client me demande un notaire au Maroc, en Tunisie, en Allemagne ou en Italie, il est nécessaire que je puisse lui recommander une personne de confiance avec qui j’ai déjà pu travailler auparavant.

LPA

Il s’agissait du premier Congrès des notaires tenu à l’étranger, est-ce que cette expérience est amenée à se reproduire ?

P. T.

Je ne peux évidemment pas me prononcer avec certitude sur les futurs congrès, mais peut-être qu’un tabou sera en effet franchi. Cependant, il faut garder en tête que le choix d’une destination impose de remplir certains critères tels que la facilité d’accès et la capacité hôtelière. Un congrès, ce sont des milliers de notaires qui se déplacent, le minimum est de choisir une ville à la distance géographique et l’accessibilité raisonnables pour les confrères venant de toute la France. Bruxelles remplissait tous ces critères et présentait de surcroît l’opportunité d’être une capitale européenne.

LPA

Les propositions ont-elles aussi vocation à s’adresser au législateur européen ?

P. T.

En tant que notaires de France nous n’avons évidemment pas de titre particulier pour nous adresser directement aux organes législatifs européens, d’autant que le CNUE est là pour ça. Mais les propositions sont là pour être faites à qui veut les entendre, que ce soit l’État français et ses relais à Bruxelles, les instances professionnelles ou le CNUE. On peut donc très bien imaginer que ces propositions soient entendues à Bruxelles ou ailleurs.

LPA

Que souhaitez-vous aux congressistes présents lors de ces trois prochains jours ?

P. T.

Qu’ils découvrent ou redécouvrent que le droit international privé est véritablement au cœur de notre pratique quotidienne. On en parlait autrefois comme d’un droit savant, ce n’est plus le cas aujourd’hui et c’est désormais une pratique qu’il nous faut nous approprier.

LPA 24 Mai. 2019, n° 144t3, p.7

Référence : LPA 24 Mai. 2019, n° 144t3, p.7

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