Avocats : le contrôle des clauses abusives d’une convention d’honoraires

Publié le 31/10/2022

La cour de cassation s’est prononcée le 27 octobre (Cass. 2e civ., 27 oct. 2022, n° 21-10.739, LM) sur un dossier de clauses abusives dans une convention d’honoraires entre un avocat et son client. Me Patrick Lingibé analyse cet arrêt et met en garde ses confrères sur la nécessité de vérifier les clauses contenues dans les conventions d’honoraires qu’ils proposent à leurs clients.

Avocats : le contrôle des clauses abusives d’une convention d’honoraires
Photo : ©AdobeSTock/Lusyaya

Par un arrêt rendu le 27 octobre 2022, pourvoi n° 21-10.739, la deuxième chambre civile vient de rendre une intéressante décision dans le contentieux des honoraires d’avocat. En effet, c’est la première fois qu’elle prononce expressément une sanction fondée sur le caractère abusif de clauses contenues dans une convention d’honoraires liant un avocat à son client.

Le 20 mars 2014, Madame G. confiait la défense de ses intérêts à une société d’avocats pour l’assister dans une procédure l’opposant à son conjoint. Ce cabinet concluait le même jour une convention d’honoraires, conformément aux termes de l’article 10, troisième alinéa, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. Ce document prévoyait d’une part, un honoraire forfaitaire, non remboursable, de 3 500 euros TTC, en cas de dessaisissement de l’avocat par le client et d’autre part, une clause d’indemnité de dédit prévoyant, dans la même hypothèse que l’honoraire restant à courir serait dû avec un plafond à 2 500 HT, soit 3 000 euros TTC. Le 6 octobre 2015, Madame G. décidait de mettre fin au mandat confié à la société d’avocats dans un premier temps suivant un courriel du 6 octobre 2015 qu’elle confirmait dans un deuxième temps suivant lettre du 28 décembre 2015. Par la suite, elle saisissait le bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau de Paris d’une contestation d’honoraires afin d’obtenir le remboursement des honoraires versés au cabinet d’avocats. L’autorité ordinale parisienne rendait sa décision de taxation le 21 décembre 2017. Saisi en appel, le premier président de la cour d’appel de Paris rendait une ordonnance le 27 novembre 2020 aux termes de laquelle il jugeait les deux clauses précitées de la convention litigieuse comme étant abusives et ordonnait en conséquence au cabinet d’avocats de rembourser à Madame G. les honoraires que cette dernière lui avait réglés.

La société d’avocats a formé un pourvoi fondé sur deux moyens résumés ci-après. Le premier moyen soutenait la nullité de l’ordonnance du 21 décembre 2017 rendue par le bâtonnier de Paris en ce qu’il avait statué sur la contestation formée par Madame G. en dehors du délai de quatre mois qui lui est imparti pour se prononcer, affectant ainsi par voie de conséquence la saisine du premier président qui aurait du tirer les conséquences de cette nullité. Le deuxième moyen se déclinait en trois branches. La première contestait au premier président une compétence pour se prononcer sur le caractère abusif de clauses d’une convention d’honoraires au motif qu’elle touche à l’existence ou à la validité du mandat confié à un avocat qui échappe au champ de la contestation d’honoraires. La deuxième branche déniait la qualification de clause abusive donnée par le premier président en indiquant que l’honoraire forfaitaire demandé était inférieur à l’honoraire facturé sur un coût horaire. La troisième branche critiquait l’appréciation porté par l’autorité judiciaire sur le travail fourni par l’avocat en méconnaissance des dispositions de l’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée.

La cour a rejeté le premier moyen invoqué sans motivation pour irrecevabilité de celui-ci ainsi que la troisième branche du second moyen qui n’était effectivement pas de nature à entraîner une cassation. Nous nous pencherons donc sur les première et deuxième branches du second moyen examinés par la Cour de cassation.

I – Quelle relation avocat-client ?

L’avocat offre à une personne une prestation intellectuelle de nature juridique relevant soit d’une activité de pur conseil, soit d’une activité de représentation et/ou d’assistance devant une juridiction. Cette relation relève du code de consommation : le client de l’avocat est un consommateur d’une prestation de droit. Cela induit que le client justiciable doit disposer d’une protection efficace de ses droits dans sa relation avec l’avocat qui est présentement un professionnel au sens du droit consumériste.

L’Union européenne a mis en place une protection du consommateur européen. Ainsi, le Conseil prenait une directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, avec notamment la motivation suivante : « considérant que le consommateur doit bénéficier de la même protection, tant dans le cadre d’un contrat oral que dans celui d’un contrat écrit et, dans ce dernier cas, indépendamment du fait que les termes de celui-ci sont contenus dans un ou plusieurs documents ; ». L’article 5 de cette directive dispose : « Dans le cas des contrats dont toutes ou certaines clauses proposées au consommateur sont rédigées par écrit, ces clauses doivent toujours être rédigées de façon claire et compréhensible. En cas de doute sur le sens d’une clause, l’interprétation la plus favorable au consommateur prévaut. (…) ». Cette directive a été complétée par la directive 2019/2161/UE du 27 novembre 2019 visant à assurer une meilleure application et une modernisation des règles de l’Union en matière de protection des consommateurs. Saisi d’une question préjudicielle posée par la juridiction hongroise Budaörsi Varosi Birosag le 22 mai 2008, la Cour de justice de l’union européenne a, par arrêt du 4 juin 2009, dit que « 2) Le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet. Lorsqu’il considère une telle clause come abusive, il ne l’applique pas, sauf si le consommateur s’y oppose. Cette obligation incombe au juge national également lors de vérification de sa propre compétence territoriale.  2) Il appartient au juge national de déterminer si une clause contractuelle telle que celle faisant l’objet du litige au principal réunit les critères requis pour être qualifiée d’abusive au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13. (…) » (CJUE 15 janv. 2015, Birute Siba c/Arunas Devenas, aff. C-537/13).

Au niveau de notre droit national, il convient de relever que l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats et du régime général de la preuve des obligations a intégré un contrôle du déséquilibre significatif à travers les clauses abusives dans le droit commun des contrats avec le nouvel article 1171 du code civil : « Dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation. ». L’article 212-1 du code de la consommation, modifié également par cette même ordonnance, a prévu un dispositif de protection : « Dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Sans préjudice des règles d’interprétation prévues aux articles 1188, 1189, 1191 et 1192 du code civil, le caractère abusif d’une clause s’apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les clauses du contrat. (…) L’appréciation du caractère abusif des clauses au sens premier alinéa ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. » Cette protection législative a été complétée par les quatre articles R. 212-1 à R. 212-5 du code de la consommation détaillant la typologie des clauses abusives.

La relation de l’avocat et de son client relève donc sans ambiguïté du code de la consommation qui vise à protéger le consommateur du professionnel contre les clauses contractuelles déséquilibrées que ce dernier pourrait lui imposer. Ce qui implique donc que soit mis en place un contrôle efficace des contrats conclus dans l’intérêt avant tout du client consommateur de l’avocat.

II – Quel contrôle des clauses des conventions d’honoraires ?

La société d’avocats faisait grief à l’ordonnance du premier président parisien d’avoir jugé comme non écrites les deux clauses de dédit figurant aux articles III-1 et V-5.5 de la convention d’honoraires jugées comme abusives au sens du code de la consommation et d’avoir fixé à la somme de 900 euros TTC les honoraires dus au final et de condamner l’avocat à rembourser la somme de 2 600 euros TTC sur les 3 500 euros TTC d’honoraires payées par Madame G.

Le moyen invoqué contestait la compétence du juge de l’honoraire à apprécier le caractère abusif d’une clause et donc le déséquilibre qui peut en résulter dans une convention d’honoraires qui est un contrat. Il soutenait que la procédure prévue par l’article 174 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 modifié organisant la profession d’avocat organisait uniquement une procédure de contestations limitée au quantum et au recouvrement des honoraires des avocats, cette procédure spéciale ne permettant pas au juge de l’honoraire de se prononcer sur l’existence ou sur la validité du mandat confié à l’avocat.

La convention d’honoraires soumise par un avocat à son client qui en accepte les termes, constitue la loi entre les parties signataires suivant le principe rappelé par les dispositions de l’article 1103 du code civil : « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. ». Cependant, cette loi contractualisée entre les parties ne fait pas obstacle à l’intervention du juge de l’honoraire qui exerce un pouvoir de modération en vue de protéger le consommateur client de l’avocat. Ainsi, par arrêt rendu le 21 janvier 2010, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a jugé « Mais attendu que l’existence d’une convention entre l’avocat et son client ne fait pas obstacle au pouvoir du juge, statuant sur une contestation en matière d’honoraires, de réduire les honoraires convenus lorsque ceux-ci apparaissent exagérés au regard du service rendu ; Et attendu qu’ayant fait ressortir le caractère exagéré des temps mentionnés sur les notes d’honoraires alors que le travail de l’avocat n’avait été que préparatoire à la défense de la commune, le premier président, qui n’était pas tenu de suivre les parties dans le détail de leur argumentation et n’avait pas à effectuer d’autres recherches, faisant état des critères déterminants de son estimation, a souverainement apprécié le montant des honoraires dus par la commune ;» (Cass. 2ème civile, 21 janvier 2010, n° 06-17.179). La contestation de l’honoraire organisé par l’article 174 précité doit nécessairement conduire le juge de l’honoraire, en l’espèce le bâtonnier en première instance et le premier président en appel, à procéder à une analyse de la convention d’honoraires litigieuse et donc nécessairement de la validité de certaines clauses qui y figurent, pour pouvoir statuer in fine sur la rémunération de l’avocat. Ainsi, la Cour de cassation a approuvé un premier président d’avoir prononcé la nullité d’une convention d’honoraires en raison de l’honoraire de diligence qui revêtait en l’espèce un « caractère manifestement dérisoire par comparaison avec l’honoraire de résultat » (Cass. 2ème civile, 10 novembre 2021, n° 19-26.183).

Il ressort que la motivation retenue par la Cour de cassation dans l’arrêt commenté ne peut qu’être approuvée : « 9. Il entre dans les pouvoirs du premier président, statuant en matière de fixation des honoraires d’avocat, d’examiner le caractère abusif des clauses des conventions d’honoraires lorsque le client de l’avocat est un non-professionnel ou un consommateur. 10. C’est donc sans excéder ses pouvoirs que le premier président, qui ne s’est pas prononcé sur la validité du mandat de l’avocat, a retenu que les dispositions du code de la consommation sont applicables aux conventions d’honoraires d’avocats et a examiné le caractère abusif des clauses de la convention litigieuse ».

La Cour a relevé en l’espèce que deux articles de la convention litigieuse étaient en contradiction s’agissant de leur montant. En effet, l’article III-1 prévoyait qu’en cas de dessaisissement de l’avocat par le client, les honoraires forfaitaires de 3 500 euros TTC restaient dus en totalité à l’avocat. Par contre, l’article V-5-5 prévoyait que les indemnités de dédit ne pouvaient dépasser 2 500 euros HT, soit 3 000 euros TTC. La Cour a jugé que ces deux clauses contractuelles établies par l’avocat « ont, chacune, pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre entre les doits et les obligations des parties au contrat, dès lors que, d’une part, l’avocat obtiendrait de sa cliente, le paiement de la totalité des honoraires ou leur quasi-totalité alors qu’il n’avait effectué que deux prestations sur les six qu’il s’était engagé à effectuer pour le montant forfaitaire fixé et que les deux montants du dédit apparaissaient disproportionnés avec les diligences réalisées, d’autre part, qu’il n’est nullement prévu, en cas de « dessaisissement » anticipé par l’avocat, une clause de dédit en faveur de la cliente. »

La Cour sanctionne ici les clauses de désistement et de dédit en ce qu’elles n’ont été établies que dans l’intérêt exclusif de l’avocat et qu’elles conduisent finalement à un déséquilibre manifeste des relations contractuelles. En l’espèce, par ces deux clauses de dessaisissement et de dédit, Madame G. se trouve pénalisée pour avoir mise fin à la relation avec son avocat, avec l’attribution contractuelle d’un quantum prédéterminé d’honoraires réglées totalement disproportionnés au regard des diligences accomplies au moment de la rupture de cette relation.

Cet arrêt est l’occasion de rappeler aux avocats la nécessité de vérifier les clauses contenues dans les conventions d’honoraires qu’ils proposent à leurs clients. Il est impératif de veiller à ce que les clauses de dessaisissement et de dédit n’aboutissent pas à un déséquilibre manifeste qui aurait pour effet de dissuader le client de provoquer toute rupture par un mécanisme de pénalité financière. Les termes d’une convention d’honoraires établie par un avocat doivent être clairs, compréhensibles et intelligibles pour le client. Nous ajouterons également que les termes doivent être proportionnés et prévoir également des dispositions en faveur du client en cas de dessaisissement et dédit de l’avocat.

Pour conclure, il convient de préciser que dans une décision récente rendue le 22 septembre 2022, la Cour de justice de l’Union européenne a répondu à une question préjudicielle posée sur le fondement de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne par le tribunal de première instance n° 10 bis de Séville, Espagne, concernant les clauses abusives qui peuvent être contenues dans les conventions d’honoraires conclues entre les avocats et leurs clients à travers. Elle réaffirme à cette occasion la place et le rôle du juge lato sensu dans le contrôle de la relation contractuelle nouée entre l’avocat et son client (CJUE, 22 septembre 2022, Vicente c/ Delia, affaire C-335/21).

Il appartient donc aux juges de l’honoraire que sont les bâtonniers et les premiers présidents de procéder à l’examen des conventions d’honoraires litigieuses et de sanctionner le cas échant toutes clauses abusives au sens de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 et de l’article L. 212-1 du code de la consommation qui porteraient atteinte aux droits et intérêts du client consommateur de prestations juridiques.

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