L’avocat référent : le CNB fixe le cadre

Publié le 12/12/2024

Le Journal Officiel du jeudi 12 décembre 2024 a publié une décision du 11 décembre 2024 portant modification du règlement intérieur national de la profession d’avocat prise par le Conseil national des barreaux (CNB) concernant le statut de l’avocat référent. Me Patrick Lingibé décrypte ce nouveau cadre. 

L'avocat référent : le CNB fixe le cadre
Photo : ©AdobeSTock/Lusyaya

Nous commenterons cette décision en rappelant dans un premier temps la compétence normative du Conseil national des barreaux (I). Dans un deuxième temps, nous aborderons le cadre de l’avocat référent.

I – LA COMPETENCE NORMATIVE PROFESSIONNELLE DU CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX

Il convient de rappeler qu’aux termes du premier alinéa de l’article 21-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, le Conseil national des barreaux est un établissement d’utilité publique doté de la personnalité morale et est chargé de représenter la profession d’avocat notamment auprès des pouvoirs publics.

Le même alinéa lui confie une compétence normative en précisant :

  « (…) Dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, le Conseil national des barreaux unifie par voie de dispositions générales les règles et usages de la profession d’avocat. (…). »

Cette compétence d’unifier par voie réglementaire les règles et usages professionnels de l’avocat a fait l’objet d’une confirmation par différentes décisions rendues par le Juge du Palais-Royal qui en a délimité également les limites.

Il convient de souligner sur ce point que le Règlement Intérieur National constitue un acte administratif normatif qui peut être contesté devant le juge administratif soit par la voie de l’action dans le délai de recours de deux mois, soit par la suite par la voie de l’exception d’illégalité.

Ce pouvoir réglementaire d’unification s’exerce dans la  « limite dans les droits et libertés qui appartiennent aux avocats et dans les règles essentielles de l’exercice de la profession ; que le Conseil national des barreaux ne peut légalement fixer des prescriptions nouvelles qui mettraient en cause la liberté d’exercice de la profession d’avocat ou les règles essentielles qui la régissent et qui n’auraient aucun fondement dans les règles législatives ou dans celles fixées par les décrets en Conseil d’État prévus par l’article 53 de la loi du 31 décembre 1971, ou ne seraient pas une conséquence nécessaire d’une règle figurant au nombre des traditions de la profession ; » (Conseil d’État, 28 avril 2017, SELARL A.C.A.C.C.I.A. c/ CNB, 400832, cons. 2).

Dans cet arrêt rendu en 2017, le Conseil d’État a ainsi jugé légal le fait que le Conseil national des barreaux ait fait application de son pouvoir réglementaire pour préciser les règles de dénomination des cabinets :

« (…) que les dispositions critiquées du règlement intérieur national se bornent, ainsi qu’il a été dit au point 6 ci-dessus, à préciser les conditions et limites dans lesquelles peuvent être choisies les dénominations par lesquelles les avocats ou les structures d’exercice sont identifiés ou reconnus, afin d’assurer le respect des exigences déontologiques qui s’imposent aux avocats ; qu’il en résulte, eu égard à l’objet et à la portée des dispositions critiquées et aux impératifs d’ordre public sur lesquelles elles reposent, qu’en n’exceptant pas de leur application les structures existantes, le Conseil national des barreaux n’a pas illégalement porté atteinte, contrairement à ce que soutient la société requérante, à des situations contractuelles existantes ; » (arrêt précité, cons. 7).

Par ailleurs, s’agissant particulièrement d’un sujet touchant à la formation, il convient de préciser que le Conseil national des barreaux a une compétence normative particulière et renforcée en ce domaine, à travers notamment sa commission formation dont la composition est normée.

C’est donc sur la base de cette compétence normative confiée au Conseil national des barreaux par le législateur que la décision du 12 décembre 2024 est intervenue afin de fixer un cadre commun de l’avocat référent s’imposant de jure à l’ensemble des avocats et des ordres.

Il convient de préciser que cette décision normative signée de la présidente Julie Couturier résulte d’un rapport commun conséquent présenté à l’assemblée générale du 11 octobre 2024 du Conseil national des barreaux par les présidents des commissions formation, règles et usages et collaboration.

Plus précisément ce rapport est le résultat des travaux menés par le groupe de travail constitué par les trois commissions précités, composé comme suit :

*Paule ABOUDARAM, présidente déléguée de la commission Formation professionnelle

*Roland RODRIGUEZ, président de la commission Règles et usages

*Pierre BRASQUIES, président de la commission Collaboration

*Pierre-Henri MARTERET, vice-président de la commission Formation professionnelle

*Sophie ANDRIEU, membre des commissions Formation professionnelle et Règles et usages

*François COUTARD, membre des commissions Formation professionnelle et Collaboration

*Pauline GIRERD, membre de la commission Formation professionnelle

Il convient de préciser que l’article 85-2 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié, créé par l’article 33 du décret n° 2023-1125 du 1er décembre 2023 relatif à la formation professionnelle des avocats (voir notre article sur ce décret), dispose :

« Au cours de leurs deux premières années d’exercice professionnel, les personnes mentionnées au 1° de l’article 93 sont accompagnées par un avocat référent ayant exercé pendant au moins deux années.

 L’avocat référent est chargé de parfaire la formation pratique de l’avocat qu’il accompagne et de l’aider dans son parcours professionnel conformément aux règles et usages définis par le Conseil national des barreaux.

 Il est désigné par le conseil de l’Ordre. »

 Ce nouvel article s’applique aux avocats accédant à la profession à compter du 1er janvier 2025.

Comme le rappelle pertinemment le rapport précité, ce nouvel article 85-2 est la suite de plusieurs mesures antérieures, à savoir :

– une proposition des États généraux de l’avenir de la profession d’avocat, soutenue par les avocats et élèves avocats, de « mettre en place, dans le prolongement de l’objectif de professionnalisation, un programme de parrainage « très jeune barreau » dès l’entrée à l’école et jusqu’au début de l’exercice professionnel ».

– une proposition votée par le Conseil national des barreaux à deux reprises : le 3 juillet 2020 sur le rapport relatif au programme de parrainage « très jeune barreau ») et le 4 juin 2021 sur le rapport compilant toutes les propositions de modification du décret du 27 novembre 1991 relatives à la formation.

– une proposition du rapport du groupe de travail sur la formation des avocats coprésidé par Sandrine CLAVEL et Kami HAERI remis au garde des Sceaux le 23 octobre 2020.

L’objectif sous-tendu par cette réforme était double : d’une part, aider et accompagner les jeunes avocats dans leur préparation à l’exercice de la profession, notamment les formalités administratives à remplir et d’autre part, favoriser leur intégration au sein du barreau.

Ces points étant rappelés, il convient de voir le cadre posé par l’organe représentatif de la profession d’avocat.

 

II – LE CADRE DE L’AVOCAT RÉFÉRENT

 L’article 1 de la décision normative insère après le titre sixième du Règlement Intérieur National de la profession d’avocat, un titre septième intitulé « Titre VII ACCOMPAGNEMENT DE L’AVOCAT AU COURS DE SES DEUX PREMIÈRES ANNÉES D’EXERCICE ».

1° La fonction de l’avocat référent.

L’article 22 du Règlement Intérieur National intitulé « L’avocat référent. » prévoit que l’avocat référent prévu à l’article 85-2 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié doit accompagner les avocats titulaires du certificat d’aptitude à la profession d’avocat et, sur proposition du conseil de l’Ordre, ceux en étant dispensés, au cours de leurs deux premières années d’exercice professionnel.

Le Conseil national des barreaux a pallié la carence rédactionnelle de l’article 85-2 précité qui ne prévoit aucune obligation pour le conseil de l’ordre de désigner un avocat référent pour les avocats ayant bénéficié d’une dispense du CAPA en fonction des activités précédemment exercées par référence aux articles 97 et 98 du décret du 27 novembre 1991 modifié ou au regard de leur qualité d’avocat européen ou étranger prévue par les articles 99 et 100 du même décret.

Or, ces personnes qui intègrent la profession par les voies parallèles ont d’autant plus besoin d’un dispositif d’accompagnement qu’elles n’ont pas été formées dans les écoles d’avocats et ont une connaissance très réduite des référents communs de la profession, notamment sur les usages, la déontologie et les mises en situation.

Le Conseil national des barreaux, faute de disposition normative expresse, a donc renvoyé à chaque conseil de l’ordre le soin de fixer le dispositif d’accompagnement des personnes qui ne sont pas visées par l’article 85-2 précité.

2° – Désignation de l’avocat référent.

L’article 22.1 du Règlement Intérieur National intitulé « Désignation de l’avocat référent »
prévoit que l’avocat référent doit être désigné par le conseil de l’Ordre de son barreau d’appartenance parmi les avocats en exercice du même barreau ayant exercé la profession pendant au moins deux années.

Plus précisément, cet article dispose que le conseil de l’Ordre doit désigner un avocat référent :

– n’exerçant pas dans la structure de l’avocat qu’il accompagne, même par l’intermédiaire d’une filiale, société de moyens ou société de participations financières de professions libérales.

– qui ne peut être par ailleurs chargé de contrôler l’éventuel contrat de collaboration conclu avec l’avocat qu’il accompagne ou les éventuels contrats conclus par son collaborant avec d’autres collaborateurs, et ce, préalablement, pendant, et durant les deux années qui suivent la fin de l’accompagnement.

– qui ne peut être par ailleurs chargé de contrôler les conditions d’exécution des contrats susvisés et ce, préalablement, pendant, et au cours des deux années qui suivent la fin de l’accompagnement.

– pour accompagner un ou plusieurs avocats dont le nombre ne peut être supérieur à celui qui a été fixé par le conseil de l’Ordre.

Ces contraintes nous paraissent totalement justifiées afin que l’avocat référent joue réellement son rôle d’“ avocat référent “ et de confident.

Par ailleurs, l’article 22.1 dispose que le conseil de l’Ordre peut retirer sa désignation à tout moment durant les deux années de l’accompagnement et désigner un autre avocat référent au cours de cette période, notamment à la demande du bâtonnier, de l’avocat accompagné ou de l’avocat référent.

Ce retrait de désignation peut d’ailleurs résulter soit d’une demande de l’avocat accompagné qui rencontrerait des difficultés avec son avocat référent soit encore d’une demande de l’avocat référent qui souhaiterait se décharger de sa mission, compte tenu notamment des contraintes que cela lui impose.

3° La mission de l’avocat référent.

L’article 22.2 du Règlement Intérieur National intitulé « Mission de l’avocat référent »
prévoit que l’avocat référent est chargé de parfaire la formation pratique de l’avocat qu’il accompagne et de l’aider dans son parcours professionnel conformément aux principes essentiels de la profession.

Il doit s’abstenir de le conseiller dans l’approche juridique des dossiers dont il a la charge. Ce n’est effectivement pas son rôle.

 Cette mission d’avocat référent doit être exercée à titre gratuit, toute rémunération étant exclue.

Cet article prévoit également que l’avocat référent et l’avocat qu’il accompagne doivent adhérer à une charte encadrant leur relation que le Conseil national des barreaux doit établir et publier.

L’assemblée générale du Conseil national des barreaux a adopté le 11 octobre 2024 en annexe 2 du rapport sur le projet de décision normative relative à l’avocat référent aboutissant à la décision présidentielle du 11 décembre 2024 publiée au Journal Officiel du jeudi 12 décembre 2024 la charte-type de la relation entre l’avocat référent et l’avocat qu’il accompagne que nous reproduisons ci-dessous.

 

CHARTE-TYPE DE LA RELATION ENTRE L’AVOCAT RÉFÉRENT ET L’AVOCAT QU’IL ACCOMPAGNE La présente charte a pour objet de définir la relation entre l’avocat référent et l’avocat qu’il accompagne et les engagements de chacune des parties.

 L’article 85-2 (nouveau) du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, créé par l’article 33 du décret n° 2023-1125 du 1er décembre 2023 relatif à la formation professionnelle des avocats, dispose :

« Au cours de leurs deux premières années d’exercice professionnel, les personnes mentionnées au 1° de l’article 93 sont accompagnées par un avocat référent ayant exercé pendant au moins deux années.

 L’avocat référent est chargé de parfaire la formation pratique de l’avocat qu’il accompagne et de l’aider dans son parcours professionnel conformément aux règles et usages définis par le Conseil national des barreaux.

 Il est désigné par le conseil de l’Ordre. »

Ce nouvel article s’applique aux avocats accédant à la profession à compter du 1er janvier 2025.

 Le titre septième titre intitulé « Titre VII ACCOMPAGNEMENT DE L’AVOCAT AU COURS DE SES DEUX PREMIÈRES ANNÉES D’EXERCICE » du Règlement intérieur national de la profession d’avocat dispose :

 L’ACCOMPAGNEMENT :

 L’avocat référent est un avocat en exercice qui souhaite accorder de son temps à un nouvel avocat, afin de l’accompagner dans ses deux premières années d’exercice et lui apporter son expérience dans son parcours professionnel conformément aux principes essentiels de la profession.

 L’accompagnement consiste en un partage d’expériences, de connaissances et de compétences.

 L’accompagnement n’est pas :

 *Une relation à sens unique : en effet, tant l’avocat référent que l’avocat accompagné s’investissent dans la relation ;

*Une relation basée sur des obligations hiérarchiques ;

*Une intermédiation entre l’avocat accompagné et les tiers (et notamment le bâtonnier, l’éventuel collaborant, d’autres confrères…).

*Un cours particulier ou une formation.

Chaque binôme est libre d’organiser ses rencontres, au rythme qui lui convient.

 Il n’y a pas de nombre minimum de rendez-vous à respecter, mais il est important de mettre en œuvre sa meilleure volonté afin de réaliser les objectifs de l’accompagnement. Cela implique ainsi que les binômes puissent échanger et se rencontrer plusieurs fois au cours de l’année. Les binômes peuvent, par exemple, se mettre d’accord dès le début de l’accompagnement sur la fréquence de leurs rencontres, ainsi que sur leurs divers moyens de communication (courriels, SMS, téléphone, visio-conférence etc.).

 Un accompagnement réussi passe par un dialogue ouvert entre le référent et l’avocat accompagné, où chacun se sent en confiance. Ce lien de confiance se traduit par un respect mutuel et une réciprocité d’implication.

LA CONFIDENTIALITÉ :

 Tous les échanges entre l’avocat référent et l’avocat qu’il accompagne, verbaux ou écrits quel qu’en soit le support (papier, télécopie, voie électronique …), sont par nature confidentiels. 

 LES ENGAGEMENTS DE L’AVOCAT RÉFÉRENT :

 L’avocat référent s’engage à :

*être à l’écoute de l’avocat qu’il accompagne (qu’il s’agisse de ses difficultés, questionnements, etc.) ;

*partager ses expériences en lien avec les besoins de l’avocat qu’il accompagne ;

*apporter des conseils dans la réalisation professionnelle de l’avocat qu’il accompagne (considérations déontologiques, administratives, relationnelles, etc.) en toute indépendance, sans s’immiscer dans les affaires de la structure de l’avocat qu’il accompagne ;

*orienter vers les institutions professionnelles ;

*exercer sa mission d’accompagnement à titre gratuit.

 Le référent n’a pas vocation à se substituer à l’éventuel collaborant pour donner des conseils quant à la conduite des dossiers du cabinet.

 LES ENGAGEMENTS DE L’AVOCAT ACCOMPAGNÉ :

 L’avocat accompagné s’engage à :

*Être ouvert aux conseils du référent ;

*Participer à un dialogue à double sens ;

*Préparer les sujets et les demandes qui seront abordés lors des rencontres avec le référent ;

*Partager ses propres retours d’expérience sur des sujets intéressant le référent. Il peut faire bénéficier de sa plus grande sensibilité à certaines tendances affectant la profession (ex : outils numériques, attentes de sa génération vis-à-vis de l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle…).

 FIN DE LA MISSION

 Le conseil de l’Ordre peut retirer sa désignation à tout moment durant les deux années de l’accompagnement, et désigner un autre avocat référent au cours de cette période.

 Le retrait de la désignation pourra résulter d’une demande de l’avocat accompagné qui rencontrerait des difficultés avec son référent ou d’une demande du référent qui souhaiterait se décharger de sa mission.

 

4° La confidentialité avocat-référent – avocat accompagnant.

L’article 22.3 du Règlement Intérieur National intitulé « Confidentialité » précise que tous les échanges entre l’avocat référent et l’avocat qu’il accompagne, verbaux ou écrits quel qu’en soit le support, sont par nature confidentiels.

 

 

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