L’impossibilité pour le conseiller de la mise en état de limiter les écritures des parties

Publié le 08/07/2025 à 16h14

Sur la question très sensible du formatage des écritures des parties, la Cour de cassation vient de rendre, le 3 juillet dernier, un arrêt qui va dans le sens des avocats. Décryptage avec Loïc Pelissier, Chargé d’enseignement à l’Université Toulouse Capitole. 

L’impossibilité pour le conseiller de la mise en état de limiter les écritures des parties
Cour de cassation (Photo : AdobeStock)

 Cour de cassation, 2e civ. 3 juillet 2025, n° F 22-15.342

« Le décret-loi du 30 octobre 1935 avait institué un juge chargé de suivre la procédure. Sa mission était de surveiller la marche de l’instruction et de susciter, le cas échéant, son accélération. Mais, à défaut de pouvoir contraindre les parties à diligence, son rôle demeurait passif et sa réforme se solda par un échec »[1]. Aujourd’hui, la Cour de cassation s’interroge sur les prérogatives du magistrat chargé de la mise en état et de la possibilité dont il pourrait disposer d’obliger les parties à synthétiser leurs écritures.

En l’espèce, des personnes physiques sont opposées à une société commerciale et à la CPAM des Hauts-de-Seine. Les personnes physiques ont interjeté appel.

Le conseiller de la mise en état (CME), constatant que les conclusions des appelants étaient d’une certaine longueur, a enjoint à leur avocat de synthétiser ses écritures afin de les limiter à 35 pages maximum. Cette injonction s’est faite par voie d’ordonnance du 3 juillet 2020. Par la suite, le CME a prononcé la radiation de l’affaire avec une seconde ordonnance en date du 10 septembre 2020, constatant que l’avocat des appelants n’avait pas réduit ses conclusions à 35 pages, comme cela lui avait été demandé.

Même si l’arrêt ne le mentionne pas, l’ordonnance a sans doute fait l’objet d’un déféré devant la cour d’appel, sur le fondement de l’article 913-8 du Code de procédure civile. Les consorts forment ensuite un pourvoi en cassation en vue de faire annuler les ordonnances du CME.

Ils avancent le fait que le magistrat chargé de la mise en état ne peut qu’enjoindre aux parties de mettre leurs conclusions en conformité aux dispositions des articles 954 et 961 du Code de procédure civile (concernant notamment la structure, le dispositif, le bordereau, etc …). Ainsi, en demandant de ne pas dépasser 35 pages et en sanctionnant d’une radiation pour défaut de diligence, le conseiller aurait commis un excès de pouvoir. Les parties retiennent également que cette injonction constitue un formalisme excessif contraire au droit d’accès au juge d’appel.

La question posée à la Cour de cassation est de savoir si le magistrat chargé de la mise en état peut valablement enjoindre à une partie de synthétiser et réduire ses écritures et la sanctionner par une radiation dans l’hypothèse où elle ne se plierait pas à cette injonction.

La Cour de cassation commence par dire le moyen recevable, même si les recours contre les mesures d’administration judiciaires sont extrêmement restreints. Ensuite, la haute juridiction constate que le Code de procédure civile ne donne pas au CME le pouvoir de contraindre les parties à limiter le nombre de pages sous peine de radiation. Elle en conclut que l’ordonnance du magistrat constitue un excès de pouvoir contraire à l’exercice du droit d’appel.

Une précision relative à la radiation, mesure d’administration judiciaire.

La radiation est une mesure d’administration judiciaire. Par définition, celles-ci ne peuvent, en principe, faire l’objet de recours. La doctrine s’est déjà interrogée sur l’éventualité d’un recours pour excès de pouvoir contre une mesure d’administration judiciaire dans l’hypothèse où celle-ci serait prise en violation d’un droit fondamental[2]. Et effectivement, la deuxième chambre civile de la Haute Cour avait déjà jugé qu’une radiation pour défaut d’exécution portait atteinte à « l’exercice du droit d’appel, de sorte qu’elle peut faire l’objet d’un recours en cas d’excès de pouvoir »[3]. Par conséquent, le recours contre l’ordonnance du CME est recevable et les moyens du demandeur au pourvoi seront examinés.

Un excès de pouvoir contraire au droit d’accès au tribunal.

La Cour de cassation fonde sa décision sur le droit d’accès au juge pour sanctionner l’ordonnance du CME. La solution est claire : aucune disposition ne lui donne « le pouvoir de contraindre les parties (…) à limiter le nombre de pages de leurs conclusions (…) sous peine de radiation, ce qui serait de nature à entraver l’exercice du droit d’appel. » La Cour en déduit donc que, si le conseiller n’avait pas le droit d’enjoindre à une partie de limiter la taille de ses écritures, il ne pouvait pas non plus l’en sanctionner en prononçant la radiation pour défaut de diligence. La cassation pour excès de pouvoir a donc été valablement prononcée.

L’argument insuffisant du CME devant veiller au déroulement loyal des débats.

Dans ses développements, la Cour de cassation rappelle les prérogatives du CME concernant les injonctions de mise en conformité des conclusions. Sans qu’elle ne le dise clairement, elle semble sous-entendre le caractère limitatif des dispositions des articles 954 et 961 du Code de procédure civile. Pourtant, l’arrêt rappelle que ce pouvoir d’injonction dévolu au magistrat chargé de la mise en état s’inscrit dans le principe général de loyauté des débats. Ainsi, on aurait pu penser que, dans la mesure où l’article 913 du Code confie au CME le rôle de veiller au déroulement loyal des débats, il pourrait légitimement imposer aux parties de réduire leurs écritures. La Cour en a décidé autrement, puisque l’arrêt conclut finalement à une entrave au droit d’appel justifiant l’annulation de l’ordonnance.

Une dissymétrie entre procédure orale et procédure écrite ?

Lors des débats, le président d’audience peut-il interrompre une plaidoirie ? L’article 440, al. 3 du Code de procédure civile le permet effectivement « lorsque la juridiction s’estime éclairée ». Dans la pratique, il n’est pas rare que le président d’audience enjoigne à un défenseur « d’abréger » sa plaidoirie[4]. En procédure écrite, la Cour de cassation vient conforter les avocats : le magistrat ne peut leur enjoindre de les « abréger ». Cette décision de la 2ᵉ chambre civile est donc bienvenue pour la garantie d’un procès équitable.

 

 

[1] L. Cadiet, E. Jeuland, Droit judiciaire privé, LexisNexis, 12e éd. 2023, n° 918.

[2] L. Gaurier, « La notion de mesure d’administration judiciaire à l’épreuve de son régime », D. 2023, p. 2201.

[3] Civ. 2e, 9 janv. 2020, n° 18-19.301 : D. 2020. 89, et 2021. 543, obs. N. Fricero ; Rev. prat. rec. 2022. 21, chron. F. Rocheteau ; RTD civ. 2020. 449, obs. P. Théry ; JCP 2020, n° 11, p. 522, note R. Laher ; Gaz. Pal. 2020, n° 16, p. 51, note J. Théron.

[4] Pour bon nombre d’exemples en matière pénale, v. M. REDON, Cour d’assises et cour criminelle départementale, déroulement des débats du procès criminel, Dalloz, Répertoire de procédure pénale, 2024, n°399.

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