Avotech : la première association d’avocats Legal-startupers
En octobre, l’association Avotech était lancée par douze avocats portant également l’autre casquette de créateurs de legaltech. Face aux bouleversements induits par la digitalisation croissante du métier, Mathieu Davy (Call A Lawyer), Jérôme Giusti (Fast Arbitre), Charlotte Hugon et Julia Katlama (Votre Bien Dévoué), Samya Badouraly (teg-innovo et bailcommercial-innovo), Henri de la Motte Rouge (Avomarque.fr, Deep Block), Jean-Philippe Touati (Indexity-legal et Deep Block), Robin Stuckey (BADPayeur.com), Nicolas Rebbot (Call A lawyer), Alexandra Sabbe Ferri (mesindemnites.com), Cédric Dubucq (LexAfrica), et Barthélémy Lemiale (ipocamp.org) ont décidé de lancer un « do tank » pour « parler d’une seule voix, repousser les freins qui se situent parfois au sein même de la profession » et « formuler des propositions concrètes sur l’évolution de la profession et la création d’entreprises du droit comme périmètre des avocats ». Entretien avec deux éléments du noyau dur d’Avotech, Mathieu Davy et Jérôme Giusti.
Les Petites Affiches
Comment définiriez-vous Avotech en quelques mots ? Quel est son objectif ?
Jérôme Giusti
Aujourd’hui, nous sommes un groupe d’avocats créateurs de start-up du droit. Individuellement et collectivement, cela a pris forme naturellement. Nous nous sommes dit : « C’est étrange, nous sommes tous très impliqués dans nos cabinets et par nos exercices entrepreneuriaux, mais en même temps on se voit comme des inaudibles, des invisibles par rapport à des start-up du droit créées par d’autres ou même des avocats qui ont quitté la profession ». Or notre voix est un peu particulière : notre temps de travail est très extensible, avec les activités annexes et accessoires. Avotech sert donc à nous compter et à échanger pour voir si l’on partage les mêmes idées, les mêmes approches. On a été ébahis de constater qu’on ne connaissait pas des confrères qui ont pourtant des projets extraordinaires. Notre identité commence à se structurer autour de cette diversité.
Mathieu Davy
On est avant tout des acteurs, ce que nous avons fondé est un « do tank ». Nous avons commencé à dix, nous serons bientôt vingt. Vingt individualités et vingt legaltech, lancées par des avocats qui sont aussi des acteurs des barreaux locaux, à Paris, mais aussi à Aix, Marseille, Lyon, Bordeaux, Montpellier et bientôt Rennes. Mais une legaltech n’appartient pas à un barreau. On réunit des confrères de la France entière pour porter le message du digital. Par ailleurs, les avocats start-uper ne sont pas si nombreux. Les quelques pionniers sont des spécialistes du droit des nouvelles technologies. Il existait déjà des confrères identifiés comme les plus experts en nouvelles technologies, voire des créateurs d’entreprises eux-mêmes. On s’est identifié cet été, assez rapidement et de manière assez réjouissante, et depuis, d’autres confrères nous ont identifiés à leur tour et nous ont fait part de leurs projets. Chaque semaine, un confrère nous appelle pour nous poser des questions. « Je lance ma marketplace, une appli, ou une blockchain, on peut discuter ? ». Et on assiste à la mise en place d’un cercle vertueux. Entre les avocats existe un principe fort de confraternité qui nous permet de discuter et avancer ensemble, même entre éventuels concurrents.
LPA
Que dire de l’émergence d’une vraie legaltech à la française ?
J.G.
Il y a une vraie énergie des legaltech françaises, on en bénéficie aussi. On pense à toutes les start-up de legaltech créées par des développeurs, des ingénieurs qui viennent « hacker », par exemple, le droit du travail. Ils viennent casser l’idée que la justice coûterait cher. Le marché du droit est un marché qui est porteur de croissance et d’emploi. C’est ce qu’on partage avec eux.
M.D.
Au même titre qu’on a clairement une « french touch », on a une « french legal touch ». De notre côté, on n’est plus si jeunes, on a un peu essuyé les plâtres, mais on voit des confrères de 25 ans, très entrepreneurs dans l’esprit, sans doute liés à la génération Y, à l’idée de la « start-up nation », avec une vraie poussée pas seulement à Paris, mais partout en France. Aujourd’hui, c’est un défi, demain, je l’espère, une réussite.
LPA
Quels sont justement les défis auxquels sont confrontés les jeunes avocats qui voudraient se lancer dans l’entreprenariat ?
J.G.
Le risque, c’est que les jeunes ne veuillent plus accéder à la profession d’avocat, qu’ils quittent la robe pour se lancer seulement dans l’entreprenariat, car ils ont le sentiment que la profession est trop archaïque. Nous revendiquons une hybridation, montrant ainsi que l’on peut être avocat et vouloir entreprendre, ce qui nous est permis depuis le décret Macron (D. n° 2016-878, 29 juin 2016 , D. n° 2016-879, 29 juin 2016 , D. n° 2016-882, 29 juin 2016 : JO 30 juin 2016). On peut être les deux en même temps, en acceptant d’être à certains moments plus l’un que l’autre. Si l’on va dans le commerce, c’est que l’on a des valeurs qui nous viennent de notre profession d’avocat, qui lui sont consubstantielles : le désintéressement, une part gratuite qui vient de notre culture d’auxiliaire de justice, en faveur de l’accès au droit pour tous. Le marché du droit est certes un marché économique, mais ce n’est pas un marché comme les autres, car il touche à des fonctions régaliennes, démocratiques.
M.D.
Nous sommes face à une paupérisation de la profession, les gens font de moins en moins appel à des avocats. On doit réconcilier les justiciables avec les avocats. Dans ces conditions, certains confrères seraient prêts à accepter des nouvelles nouveaux circuits courts et forfaitisés de leurs interventions, car ils ouvrent des possibilités de clientèle.
LPA
En tant que « do tank », que préconisez-vous face à des risques plus éthiques ? Quelle place pour les autres corps de métier ?
M.D.
Quand on créé une legaltech, les consultations sont réalisées par des avocats. Nous avons donc des interrogations : est-ce qu’on impose des prix déterminés aux avocats ? Sont-ils « trip advisorisés » (notés et jugés sur leurs performances sur des forums, ndla) ? On pense qu’il faut garder un niveau élevé de déontologie : on ne veut pas que des plates-formes braconnières du droit fassent appel à des juristes ou des étudiants en droit, qui seront exploités. C’est « logique », si vous voulez faire baisser le coût d’une consultation, mais cela relève d’une publicité trompeuse. Si ces legaltechs parlent de « consultation juridique », il est clair que derrière cette expression, il doit y avoir un avocat. Sinon, le consommateur qui a l’impression d’être face à un avocat, est trompé. On souhaiterait la mise en place d’un label « AvoTech ». Les membres signeraient ainsi la charte Open Law, qui fixe un minimum de droits et les règles des legaltech, en définissant de nouveaux standards, des exigences spécifiques et qui stipule que l’on est au niveau concernant les consultations juridiques. Peut-être même que les instances nous demanderont un avis d’expert sur un service, afin de vérifier s’il y a bien des avocats.
J.G.
Pour être clairs, on ne veut pas faire une chasse aux sorcières : il existe des legaltechs qui sont très bonnes, et avec qui nous travaillons. On n’est pas dans la stigmatisation. Le fait de créer sa société amène à travailler avec d’autres métiers. En étant avocat, je n’ai pas appris le marketing, les finances. Nous ne sommes pas dans le combat corporatiste mais dans un rapprochement professionnel.
M.D.
Au même titre, on n’est pas une chapelle « avocat versus non-avocat ». Chez AvoTech, on a décidé de faire rentrer des legaltechs dont nous sommes les créateurs, en incluant nos associés, qui se trouvent ne pas être avocats mais développeurs, conseillers en stratégie digitale, commerciaux… Ils nous permettent de créer des entreprises qu’on ne pourrait pas créer entre avocats seuls et nous permettent d’avancer sur les questions de croissance, de communication, de relations clients…
LPA
Quels sont les objectifs d’Avotech envisagés dans un futur proche ?
J.G.
Nous voulons que l’article 111 du décret Macron qui a donné le droit aux activités commerciales et connexes, soit pleinement compris par nos ordres. Nous souhaitons aussi conseiller nos confrères sur l’interprétation du texte, notamment dans le cadre de mesures disciplinaires ou ordinales prises à leur encontre. Comme nous sommes une profession atomisée (entre différents barreaux, ndla), le risque est qu’il y ait, sur le territoire national, différentes interprétations du texte face à la loi.
M.D.
Entre nous, on s’appelle « article 111 » ! C’est l’extension du domaine de la lutte. Nous sommes attachés au droit et à la liberté d’entreprendre. Nous allons être vigilants et nous assurer que nous ne rencontrons pas d’obstacles. Nous allons réaliser des interviews des candidats au Conseil de l’ordre sur leur conception de l’avocat du futur, leur demander leur vision de l’article 111, et ces interviews seront diffusées sur un media partenaire. Dans les mois qui viennent, nous avons aussi en tête de créer une plate-forme de crowdfunding spécialisée sur les projets d’avocats entrepreneurs et qui serait lancée auprès des confrères, qui deviendraient ainsi actionnaires. On sélectionnera quelques projets prometteurs pour leur permettre de lever des fonds. Le nom ? « AxeLawrator », jeu de mots subtil qui mixe notre volonté de permettre l’accès au droit, à un avocat au centre (à l’axe) de la cité, le plus vite possible et pour tout le monde.